Selon des témoins, le bilan des attaques à la grenade perpétrées ce lundi 15 février à Bujumbura, dont deux en plein centre-ville, serait de 4 morts et d’une cinquantaine de blessés. Le ministre de la Sécurité publique parle d’un enfant tué et de 32 blessés.
La première attaque a été perpétrée vers 8 heures et demie à la station « Interpetrol » à côté de l’ex-hôtelNovotel non loin du rond-point central. Selon des témoins, il y aurait eu 10 blessés. Ils ont tous été évacués vers des hôpitaux. Cette grenade meurtrière était emballée dans un sac en plastique noir, indiquent les mêmes sources.
D’autres témoins parlent d’un mort et de 5 blessés. La police dont des éléments de la brigade anti-émeute lourdement armés est arrivée sur les lieux quelques minutes après l’explosion. Officiellement, il y a eu 8 blessés dont 3 grièvement. Des ambulances de la Croix-Rouge ont fait plusieurs navettes pour évacuer les blessés.
Une heure après, une autre grande explosion de grenade a retenti au centre-ville, à la « Maison Fleurie » en face de la Librairie Saint Paul. Un des fleuristes présent lors de cette attaque affirme que 4 de ses collègues ont été blessés. «Avant le grand boucan, il y a eu un sifflement assourdissant bizarre dans les branches. Et là tout le monde a compris qu’il s’agissait d’une grenade lancée. On s’est mis à courir dans tous les sens».
Au même moment, il y avait une autre attaque à la grenade à Ruvumera en face du marché de Buyenzi. C’était également à 8 heures et demie. Cette grenade a explosé en pleine route, juste devant la banque BCB. « J’étais juste à la porte et je m’apprêtais à entrer, un taxi-moto venait de me déposer quand cette grenade a explosé. Il y a eu 2 blessés, une moto a été endommagée de même que deux véhicules qui ont eu des vitres brisées», relate un témoin. Plusieurs policiers se sont dépêchés sur les lieux.
«Détecter, prévenir et réprimer», dixit Bunyoni
Mais avant que ces forces de l’ordre ne terminent leur constat, elles apprennent que deux autres grenades viennent d’exploser en face du marché appelé « Chez Siyoni ». Selon des témoins, cette attaque aurait fait 3 morts dont un enfant de la rue. Ils parlent également de plusieurs blessés. La police parle d’un enfant de la rue tué et de 18 blessés.
Signalons qu’une autre attaque à la grenade a été menée vers 9 heures et demie par des inconnus à Ngagara au Quartier V. C’est juste en face du camp municipal abritant la brigande spéciale appelée API (Appui à la protection des institutions). Selon des sources sur place, il y a eu deux blessés dont une fillette de 10 ans. La police affirme qu’un suspect a été arrêté.
Après ces attaques, le ministre burundais de la Sécurité publique, Alain-Guillaume Bunyoni a tenu un point de presse où il a parlé d’un réseau de terroristes à traquer et à mettre hors d’état de nuire. «Un présumé terroriste a été arrêté. Une moto qu’un de ces terroristes aurait utilisée, a été saisie», a-t-il indiqué. Il a affirmé que « les enquêtes se poursuivent » pour démanteler ce réseau.
Selon le ministre Bunyoni, les forces de l’ordre sont sur le qui-vive. Et d’appeler la population à plus de collaboration : «Il faut que la synergie « Population-Force de l’ordre-Administration-Justice » soit au bon fixe ». «Détecter, prévenir et réprimer», tel est le mot d’ordre lancé par le ministre burundais de la Sécurité publique.
Plus de 60 blessés soignés par MSF lundi
« Médecins Sans Frontières a pris en charge plus de 60 personnes ce lundi matin après une série d’explosions de grenades dans divers lieux de Bujumbura », a indiqué un communiqué de cette organisation, qui a dû « déclencher un plan catastrophe » afin de faire face à cet afflux.
Parmi les 61 patients, « il y avait 18 femmes et trois enfants » alors que « deux décès ont été rapportés », précise le communiqué de MSF.
MSF décrit dans son communiqué des patients « souffrant de divers traumas tels que des fractures ouvertes, des blessures à la tête ou des plaies ».
« C’est la deuxième fois en moins d’une semaine que nous avons autant de blessés d’un coup dans notre centre de traumatologie », a déclaré Efstathios Kyrousis, chef de mission de MSF au Burundi, après l’admission jeudi le 11 février de 55 personnes à la suite de deux attaques à la grenade à Bujumbura.
Une semaine ponctuée d’attaques à la grenade
Kamenge, attaque à la grenade au « Terminus »
Selon des sources policières, une attaque à la grenade perpétrée ce jeudi 11 février vers 20 heures par des inconnus à Kamenge dans le quartier Twinyoni à la 11ème avenue, à l’endroit communément appelé ’’Terminus’’, a fait 10 blessés dont 2 policiers. Ces victimes ont été évacuées vers différents hôpitaux de la capitale.
Mutakura, des armes saisies
Les forces de l’ordre ont découvert ce vendredi 12 février lors d’une patrouille menée à la 13ème avenue 2 fusils de type Kalachnikov, 5 chargeurs garnis, un fusil de type RPG 7 et ses 2 bombes. Il y a eu 5 arrestations pour des raisons d’enquête.
Musaga, des armes saisies et des arrestations
Suite aux tirs à l’arme automatique entendus dans la nuit de ce jeudi à vendredi 12 février, la police a effectué dans la matinée une fouille perquisition à la 1ère et à la 2ème avenue. Résultats : au bar communément appelé ’’Kwitaba’’, la police a saisi un lance-roquette, un fusil de type Mi-Kalachnikov et 2 grenades. 10 personnes ont été arrêtées pour des raisons d’enquête.
Kirundo, une personne tuée par balle et 5 blessés dans une attaque à la grenade à Murama
Un agent d’Interbank, antenne de Ngozi, a été tué par balle ce dimanche soir au chef-lieu de la province de Kirundo, au nord du pays. Sa femme a été blessée, touchée par plusieurs balles.
La nuit de ce jeudi à vendredi 12 février a été longue pour les habitants de la localité de Murama, c’est à quelques kilomètres du chef-lieu de la province de Kirundo.
De fortes détonations ont été entendues, elles ont dérangé la quiétude de cette zone plutôt calme. Il s’agissait d’une attaque à la grenade. Selon des sources hospitalières, il y a eu 5 blessés.
>>>Réactions
Willy Nyamitwe (Twitter) : « Comme l’UE se réunit aujourd’hui et comme d’habitude les terroristes #Sindumuja tuent des civils à la grenade. »
Gaston Sindimwo
« Quand on fait face à des terroristes, ils changent de tactiques. Et c’est pourquoi les forces de défense et de sécurité doivent aussi changer de tactique. Nous devons tout faire pour mettre hors d’état de nuire ces terroristes. Vous avez entendu qu’il y a prochainement une visite de Chefs d’Etat pour s’enquérir de la situation, pour aggraver il faut faire quelque chose. Donc ces gens qui prétendent faire la promotion du crime le gouvernement du Burundi n’est pas d’accord avec ça et nous allons les traquer par tous les moyens que nous disposons pour les mettre hors d’état de nuire. »
Alain Guillaume Bunyoni, ministre de la Sécurité publique
« Les forces de l’ordre prendront et ont déjà pris toutes le mesures pour traquer et mettre hors d’état de nuire ces terroristes. C’est tellement déplorable qu’une criminalité ignoble qui use des méthodes terroristes puisse affecter des populations paisibles dans la mairie de Bujumbura ».
Freddy Mbonimpa, maire de la ville de Bujumbura
« Nous avons pris la décision d’interdire les taxi-moto de circuler dans la commune de Mukaza étantdonné qu’ils sont à l’origine de certains actes de terrorisme qui lancent des grenades dans différents endroits de la ville. »
Jacques Bigirimana, président du FNL
« Le Parti FNL condamne fermement le jet des grenades dans le pays en général et dans la ville de Bujumbura en particulier emportant des vies innocentes y compris celle des enfants et des femmes. Je demande à la communauté internationale de condamner elle aussi de tels actes de barbarie, surtout qu’une partie d’elle héberge certains politiciens qui incitent les acteurs de ces crimes. »
Jérémie Minani, commissaire chargé de la communication au Cnared
« Le Cnared condamne fermement ces attaques.Après les attaques du 15 février, le Cnared trouve que cela a un double objectif. D’une part, c’est une tactique de Bujumbura de se faire passer pour une victime du terrorisme de ses opposants. D’autres part, ces attaques sont exploitées comme une excuse pour réprimer aveuglement les milieux contestataires ou arrêter et éliminer des personnes se trouvant sur des listes préétablies. Elles s’inscrivent dans le prolongement du terrorisme d’Etat pour se maintenir au pouvoir en dehors de tout cadre légal. Il s’agit d’une manśuvre de discréditer les opposants et ainsi avoir une excuse de continuer à refuser les négociations inclusives sous médiation internationale avec ceux que Bujumbura qualifie de terroristes. »
Le mouvement RED-TABARA a publié un communiqué dans lequel il a « condamné avec énergie cet acte barbare d’un autre âge », et a présenté ses condoléances les plus attristées aux familles des victimes de cette barbarie anachronique. Dans ce communiqué, ce mouvement a rappelé que sa seule cible est les forces de l’ordre et de la défense.
Nadine Nibigira : «la crise prend une autre dimension »
Selon cette criminologue, ces actes s’inscrivent dans une ascension de la crise que connaît le pays depuis le 26 avril 2015.
A voir l’endroit où ont été lancées les grenades le 15 février 2016, force est de constater que ce ne sont pas des positions des forces de l’ordre qui étaient visées. «Ce genre d’actions n’illustrent, en aucun cas, ni une stratégie d’une rébellion ayant un objectif de gagner la popularité, ni une volonté d’intimider les forces de l’ordre pour rallier à sa cause une partie d’entre elles. Encore moins d’amener le gouvernement à prendre en considération leurs revendications. Sous d’autres cieux, ce sontles édifices administratifs, les sièges qui charrient le symbolique du pouvoir qui sont visés ».Elle ajoute qu’il y a lieu de dire que ce sont plutôt des groupes d’individus qui veulent créer une sorte de paranoïa générale pour des intérêts propres à eux.
L’absence de revendication tout comme les qualifications du gouvernement en disent trop au bout du compte.
Mais, nuance-t-elle, il y a eu plusieurs accusations disant que c’est le pouvoir de Bujumbura qui aurait commandité ces explosions afin de ternir l’image de tous les groupes qui lui sont hostiles. D’autres disent qu’il y aurait une rivalité entre les groupes qui se réclament armés.
«Quoi qu’il en soit, les auteurs de ces actes ne font que tuer les civiles innocents, des fois qui n’ont rien à avoir avec la crisepolitique et sécuritaire en cours dans le pays, sauf d’être au mauvais endroit».
Or, quels que soient les belligérants, il faut d’abord respecter le Droit international humanitaire, a fortiorila vie de ceux qui ne sont pas concernés par le conflit, conclut-elle.
Lier la présence rapide du ministre de la sécurité sur le lieu du crime à l’acte commandité par le gouvernement de Bujumbura serait juste un raccourci car même en temps normal il devrait poser le même acte, car la sécurité est dans ses attributions.
>>>Analyse
Sans revendication de ces attaques, on ne peut faire que des hypothèses. La première est que ceux qui lancent les grenades sont réellement ceux qualifiés de terroristes par le pouvoir. Cela signifierait qu’ils ont encore une certaine marge de manśuvre malgré la répression qu’ils ont subie. Ils ont gardé une certaine capacité de nuisance pour montrer qu’ils existent encore et pour montrer à la communauté internationale que la répression du pouvoir, qu’ils provoquent, continue. Une sorte de légitimation pour appeler au secours, à l’aide contre larépression de l’Etat.
Pour cette première hypothèse, une des principales conséquences est que les contestataires du pouvoir qui lanceraient ces grenades risquent de réduire le capital de sympathie qu’ils avaient vis-à-vis des certains Burundais et d’une partie de la communauté internationale. Ce qui ne déplairait pas au pouvoir qui, lui-même, serait prêt à tout pour arriver à un tel résultat.
Des actes lâches…
La seconde hypothèse est que le gouvernement serait l’auteur de ces attaques à la grenade. Politiquement, cela voudrait dire que le régime a raison de faire la répression des gens qu’il a déjà qualifiés de terroristes, pour montrer qu’il maitrise la situation. Et surtout, ce terme « terroristes » qui est en vogue chez les ténors du pouvoir, passerait plus facilement aux yeux de la communauté internationale qui elle-même, en majorité, fait de la lutte contre le terrorisme une priorité. Et donc chaque Etat a ses propres terroristes qu’il a le droit de réprimersouverainement. Cela signifie aussi que le pouvoir a raison de continuer dans la logique répressive pour montrer à l’opinion nationale et internationale qu’il maitrise la situation. Et surtout qu’il ne peut pas négocier avec des terroristes, à l’instar des Etats-Unis.
Mais cette hypothèse a également des conséquences. Notamment que la population risque de perdre confiance en un pouvoir qui ne peut la protéger. Ensuite, il y a risque de radicalisation des contestataires, puisque de tels actes s’accompagnent avec une plus grande répression.
Une chose est sûre cependant. Outre ces conséquences, lancer des grenades parmi de paisibles civils désarmés est effectivement un acte lâche et de terrorisme.