Jean-Baptiste Simbare
À mes enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants au sens large. Autobiographie.
Bujumbura, novembre 2016, 195 pages
En novembre 2016, Jean-Baptiste Simbare publiait son autobiographie. Cet octogénaire est l’un des pionniers en vie de l’entrepreneuriat d’investissement au Burundi ainsi qu’une figure bien connue des amoureux de pain et de bonne soupe de la capitale burundaise. Vingt mois plus tard, un abonné d’Iwacu découvre le livre et en partage sa critique.
Dans son état famélique chronique, la littérature burundaise n’avait sans doute jamais imaginé qu’elle pût un jour être ranimée par la livraison d’un boulanger. C’est pourtant bien à l’autobiographie de Jean-Baptiste Simbare, un propriétaire et manager de cafétérias et boulangeries-pâtisseries à Bujumbura que cette littérature doit une des rares preuves cliniques qu’elle respire encore. De la grisaille rurale et sans issue de Kiganda à son épanouissement dans l’entrepreneuriat commercial, l’auteur reparcourt sur trois quarts de siècle son chemin de vie jusqu’à ses vœux et ses préoccupations de testateur en puissance.
Jean-Baptiste Simbare est né en 1934 sur la sous-colline de Kuwiraro, à Kiganda, dans les hauteurs paisibles et vallonnées du centre du Burundi, rythmées au son des cloches d’église. Né de parents modestes chevillés à Dieu et à leur terre, il grandit au sein d’une famille et d’une communauté sclérosées dans leur entente débonnaire avec l’ordre des choses. Enfant, se souvient l’auteur, « je me faisais un point d’honneur de me soumettre », un oxymore qui annonce les tourments futurs de sa conscience. Lorsqu’ils remontent le parcours de sa scolarité, ses souvenirs marquent une halte méditative sur son échec précoce au collège des Pères Barnabites de Bukavu. Cet insuccès le renvoie à la compagnie des bovins sur sa colline d’origine ainsi qu’à deux années de vie oisive vécues comme une éternité. À cette étape, l’auteur décrit la décantation progressive de sa personnalité, la montée en lui d’une révolte sourde contre le ronron et les impasses de cette vie entre prières et tâches agropastorales. Il connaîtra sa première échappée du « cloître » de Kiganda en se lançant tout seul, à pied, sur la route de Kitega et de l’inconnu. La chance lui ouvrira sa carrière dans la fonction publique coloniale comme « secrétaire indigène ». Ce premier saut dans le vide marquera le point de départ d’une série de décisions et d’aventures qui traceront le sentier de cet autodidacte vers les affaires. Le facteur transversal de tous ses choix de carrière ? Son refus constant d’admettre la fatalité de sa condition socioéconomique, sans bien-être ni perspective de mobilité sociale ; son audace, une voix intérieure lancinante le poussant à défier le sort, à sortir de l’ornière, vaille que vaille. C’est entre autres en cela que l’autobiographie de Jean-Baptiste Simbare aura des résonances prolongées chez les Burundais qui la liront ou plus vraisemblablement, qui se la feront raconter. Elle dépeint des situations d’impasse sociale semblables à celles vécues par des millions de Burundais, pourtant indéboulonnables de leurs sièges à bord de leurs vols low-cost de la vie à la mort, en classe misère.
D’aventure en aventure, l’entrepreneur apprécie avec reconnaissance et humilité l’importance des valeurs, le rôle-clé et le mérite des personnes, au sein de sa famille, dans son voisinage et dans son entreprise, qui lui déminèrent et pavèrent le chemin du succès. Il a la mémoire marquée par ces multiples gestes du cœur qu’étant jeune, il reçut de son entourage et de tant d’inconnus, comme ceux qui lui donnèrent cordialement le gite et le couvert lors de ses périples d’un acte téméraire à un autre. Simbare revendique l’héritage positif de son éducation familiale, des bonnes valeurs et mœurs d’antan. Il relate notamment comme il en imprègne ses rapports avec ses employés. C’est sur l’angle de ces valeurs et à l’aide d’une anecdote que le boulanger-pâtissier ausculte, avec furtivité et mélancolie, les moments de déchirements interethniques.
Dans sa remontée chronologique du temps, son récit prend comme repères des phases cruciales d’entretiens privés et des faits anecdotiques lourds de sens. Ils mettent au premier plan ses parents, des bienfaiteurs anonymes, son épouse, ses enfants, ses employés, des concurrents, etc. Il sonde leurs sentiments et leurs manières de voir, d’être, de recevoir et de donner. Il en tire des leçons de vie qu’il professe dans la posture du vieil homme enrichi du meilleur de la culture burundaise, rebellé et affranchi de ses pesanteurs.
L’auteur voulut un « testament moral » public. Le voici donc livré en pâture au jugement de tous. Il aura maille à partir avec ceux qui pointeront chez lui une certaine frilosité à mettre ses sociétés à l’air de son temps. Le patriarche de Kiganda se fera sans doute aussi clouer au pilori par plusieurs de ses lecteurs, quand il s’applique à justifier sa décision de flanquer à son épouse la compagnie d’une seconde femme, pour s’assurer d’un héritier mâle. Beaucoup de ses compatriotes ne mangent pas de ce pain-là ! Qu’à cela ne tienne, bien qu’il soit loin d’être parfait, ce livre a le mérite de dessaouler des gribouillages politiques qui polluent trop souvent le biotope de l’édition du livre au Burundi. Le lecteur étranger peut aussi être averti : l’octogénaire qu’il cernera page après page est un reflet assez fidèle du Burundais dans ce qu’il a de transcendant et d’impénitent à la fois. Depuis les premiers temps de l’évangélisation jusqu’à l’heure du selfie, cet attachement indéfectible aux origines collinaires, à Dieu et à la terre, ce sens de la solidarité sociale, ce labeur à la tâche n’ont pas beaucoup changé, fort heureusement. En revanche, pour ce qui ressort comme des forces distinctes de ce self-made man, à savoir son autonomie, sa résilience dans l’adversité, sa ténacité dans la quête de mobilité sociale honnête et d’équilibre dans le bien-être des siens, il ne crève pas les yeux que Simbare ait fait de nombreux émules au Burundi.
Louis-Marie Nindorera