Des tueries, des coups d’Etats, des exclusions,… ont jalonné le passé burundais. Certains procès ont été engagés et tranchés. Néanmoins, des voix se sont élevées pour dénoncer des tricheries dans ces dossiers. La CVR y reviendra-t-elle ?
Dans la commune Makebuko, province Gitega sur la colline Kiyange. Il est 11heures. A quelques mètres de la route Gitega-Rutana, dans une pénéplaine, quelques boutiques. Tout autour des habitations parsemées, une bananeraie verdoyante malgré la saison sèche. De loin dans la vallée, des champs de haricots et de patate douce dominent. Dans cette matinée ensoleillée, quelques hommes étanchaient déjà leur soif. Le vin de banane coulait à flot.
Jérémie, un sexagénaire de la colline Sindwe, assure qu’aucun jugement sur les crimes commis dans cette localité au cours de différentes crises, n’a été rendu. Cependant, il reconnaît la difficulté d’entamer des poursuites judiciaires dans de pareils cas. Et Claude de préciser : « Il est tellement difficile, par exemple, de poursuivre les assaillants parce qu’ils n’ont pas été identifiés. » Privat, 50 ans, ne l’entend de cette oreille. Pour rendre justice, il estime qu’il faut commencer par les hauts cadres : « Ce sont eux les commanditaires des massacres. Et une fois la vérité connue les bourreaux doivent demander pardon aux victimes.»
Des tricheries dans certains dossiers tranchés
Malgré le traitement de certains dossiers, Pierre Claver Mbonimpa, président de l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (Aprodh) dénonce des tricheries. Il donne l’exemple du dossier sur l’assassinat du Prince Louis Rwagasore où la Belgique s’est hâtée à arrêter et fusiller quelques princes du PDC (Parti démocratique chrétien) sans toutefois indiquer sa part dans cette affaire. M.Mbonimpa revient aussi sur la mort de Ntare V et les massacres de 1972 qui s’en sont suivi. Il rappelle l’assassinat de Melchior Ndadaye où la justice n’a fait qu’arrêter quelques militaires subalternes.
Tatien Sibomana, juriste de formation indique que certains dossiers n’ont pas été traités objectivement parce qu’on a tout politisé. Il signale que des personnes ont été blanchies alors qu’elles étaient déjà mortes. La question essentielle, selon lui, est de savoir « à qui profiter le crime ? ».
La CVR revisitera-t-elle certains dossiers ?
-Après la mort du Prince Louis Rwagasore, les Belges ont mis en place un tribunal piloté par un procureur belge Bourguignon qui a condamné certains auteurs. Un grec Kajorjis a été pendu et d’autres burundais condamnés. Après l’indépendance, les nationaux rouvrent le procès : Yatrou, Birori, Ntidendereza, Nahimana et Ntakiyica sont condamnés à mort.
-1965, les présumés coupables dans l’assassinat de Pierre Ngendandumwe ont été arrêtés mais vite relâchés.
-1972 : Dans l’audience publique du 6 mai 1972, le siège fait du Commandant Alexis Nimubona, le capitaine Jean Baptiste Bagaza, le sous-lieutenant Charles Kazatsa, l’officier du ministère public Bernard Kayibigi et le greffier Grégoire KABUNDA condamne une liste de personnes pour avoir massacré des Tutsi dans la nuit du 29 avril dans les régions de Mabanda, Makamba, Nyanza- lac, Rumonge, Kabezi, Bujumbura, Gitega et Bururi.
-1993 : Après la mort du président Ndadaye, dans la fraîcheur des faits, certains militaires subalternes sont condamnés.
Se référant à l’exemple sud africain où la CVR n’a tranché que sept affaires, M.Mbonimpa est pessimiste : « Les gens qui se sont succédé au pouvoir ne vont pas faciliter la mise en place d’une cour de justice. Car beaucoup d’entre eux sont des présumés coupables. »
Même si certains témoins sont encore en vie, le président de l’Aprodh indique que plusieurs questions les taraudent : « Pourquoi dois-je témoigner ? A qui le dire ? A quoi serviront mes témoignages ? Quel est l’intérêt pour les familles des victimes ? »
Pierre Claver Mbonimpa estime qu’il sera difficile à la CVR de revenir sur des dossiers sensibles car les magistrats auront peur de s’en occuper. Et d’ajouter qu’en cas de déni de justice des juridictions nationales, ils porteront plainte auprès de la Cour pénale internationale (CPI). « S’il n’y a pas au moins quelques cas de hautes autorités poursuivies pour ces crimes, le Burundi ne retrouvera jamais son image d’antan. Car, tout le monde se servira d’un mauvais exemple », conclut Tatien Sibomana.
« La population a besoin de la justice »
Tatien Sibomana souligne que la population a besoin de justice et de vérité. Selon lui, ce sont quelques politiciens qui essaient de convaincre la population de se prononcer en défaveur de la justice pour chercher une couverture. Il signale qu’ils font tout pour éliminer cette notion de justice des mécanismes de justice de transition.
M.Sibomana estime que même si une volonté politique manque, une justice réconciliatrice est nécessaire: « Il faut catégoriser les infractions selon leur lourdeur et organiser un dialogue social ».