Dans une décision controversée, le président de la Cour suprême du Burundi a récemment appelé à un retour en arrière en matière d’héritage foncier, en privilégiant la coutume au détriment de la loi. Cette position est en contradiction avec la Constitution et les normes internationales.
Le 16 août 2024, Emmanuel Gateretse, président de la Cour suprême, a émis une note adressée à tous les chefs de juridiction du Burundi concernant la jurisprudence foncière. Dans cette note, le président met en garde contre « des imperfections dans la revue de jurisprudence, notamment concernant les arrêts qui consacrent l’égalité des filles et des garçons dans l’héritage foncier en milieu rural. » Selon lui, ces arrêts sont en contradiction avec la coutume burundaise traditionnelle régissant l’héritage foncier (amatongo y’umuryango).
Le Président de la Cour suprême poursuit en affirmant que « la revue ne sera publiée qu’une fois que ces arrêts auront été retirés », cela afin « d’éviter toute confusion et d’assurer la conformité avec la coutume ». Il enjoint donc explicitement aux chefs de juridictions de « continuer à appliquer la coutume dans le règlement des litiges fonciers liés à l’héritage, en attendant la publication définitive de la revue ».
Dr Aimé Parfait Niyonkuru, enseignant-chercheur, rappelle le principe fondamental de l’indépendance du juge. Selon lui, « le juge, quel que soit son niveau dans la hiérarchie judiciaire, doit fonder ses décisions uniquement sur la loi et non sur des instructions venant de supérieurs hiérarchiques ». De plus, il précise que « la revue de jurisprudence est un outil de diffusion de la jurisprudence, mais ne constitue pas en soi une source de droit contraignante ».
L’expert affirme que la jurisprudence, c’est-à-dire l’ensemble des décisions de justice, constitue une source de droit. Il considère que la jurisprudence est une interprétation de la loi par les juges et sert de référence pour les décisions ultérieures. Cependant, il s’interroge sur le rôle de la revue de jurisprudence en précisant que « la revue ne devrait pas dicter aux juges comment ils doivent appliquer la loi ».
M. Jacques Bitababaje, juriste et professeur d’université, estime que « la lettre du président de la Cour suprême nous renvoie, dans les années 70, 80, à un rétropédalage de la jurisprudence en la matière, c’est désolant ». Selon lui, il suffit de lire les articles 19 et 62 de la Constitution.
L’article 62 de la Constitution burundaise stipule que « toute personne a le devoir de respecter ses compatriotes et de leur témoigner de la considération, sans discrimination aucune ». Mais c’est l’article 19 qui, selon Me Bitababaje, est encore plus explicite. En effet, « comme le droit international public prime sur le droit interne et qu’en outre, tous les instruments juridiques cités dans cet article 19 mettent sur le même pied d’égalité les femmes et les hommes, cette discrimination est inexplicable ».
Me Jacques Bitababaje met en garde contre les dangers d’une application exclusive de la coutume non codifiée. Il souligne que « quand on applique une coutume non codifiée, donc non écrite, il n’y aura pas de constance de solution pour les mêmes cas ».
Autrement dit, « la coutume n’est pas appliquée de la même manière dans toutes les régions du pays ». Il donne l’exemple des juges du Sud et de l’Est qui pourraient ne pas rendre les mêmes décisions pour un même cas de succession. Face à cette situation, Me Bitababaje plaide pour une codification de la matière : « Il y a urgence à ce que cette matière soit régie, elle aussi, par le droit écrit au lieu de la coutume et que par question de la hiérarchie des normes, le juge ne devrait pas appliquer une coutume alors qu’il y a une source écrite et pas n’importe laquelle, la Constitution en son article 19 ».
Dr Pacifique Niyonizigiye, chef du département de droit à l’université du Burundi, souligne que « la hiérarchie des normes juridiques est un principe sacro-saint ». Selon lui, « la coutume ne saurait en aucun cas primer sur la Constitution ». Cette situation, alerte-t-il, « crée de l’insécurité juridique, qui entravera la réalisation de la vision 2040-2060 d’un État de droit ».
Contactée, Diane, membre de l’association des femmes juristes du Burundi, a annoncé qu’un commentaire sur cette note du président de la Cour suprême serait publié ultérieurement par l’association.
Devis Gateretse
Je suis abasourdi. La correspondance N° 552/01/1287/CS/2024 du 16 août 2024 envoyée à tous les Chefs de juridiction avec copie au ministre commence ainsi :
« Nous avons appris que certaines juridictions, notamment celle du ressort de la Cour d’Appel de Ngozi, se référaient déjà à la jurisprudence contenue dans le tome 5 de la revue de la jurisprudence de la Cour Suprême pour trancher les litiges relatifs au partage de la succession portant sur les propriétés foncières reçues en héritage (amatongo y’umuheto) en milieu rural. »
Un des commentaires parle à juste titre de la hiérarchie des normes. On pourrait également y ajouter le principe du parallélisme des formes et celui de la séparation des pouvoirs qu’il faut respecter.
Le recueil dont il est question dans a été publié en 2022 et son avant-propos où l’on peut lire ce qui suit est signé de la main de ……Monsieur Emmanuel GATERETSE, Président de la Cour suprême. Ce qui m’a d’abord étonné en lisant cette fameuse correspondance du 16 août 2024 est que le Président de la Cour Suprême vient d’apprendre l’existence de ses propres recommandations deux ans après qu’il les ait publiées.
La problématique de la succession au Burundi est compliquée par l’absence d’une loi pour la régir. En effet, jusqu’à ce jour, ce domaine est régi par la coutume. Même le code foncier, principal texte juridique dans le domaine, renvoie implicitement à la coutume notamment pour ce qui est des conflits relatifs aux successions (article 29 du code foncier). Or, la coutume n’est ni uniforme encore moins codifiée pour en connaitre le contenu à côté d’une jurisprudence presqu’inexistante. Par ailleurs, le Code foncier n’est pas toujours bien appliqué par certains juges qui tranchent souvent en équité et en référence à la coutume au lieu de trancher en se référant à loi écrite, notamment le Code foncier.
[…]
Nous souhaitons que ce recueil soit utile à tous les praticiens du droit, les chercheurs, les justiciables ainsi que tous ceux qui s’intéressent au contentieux foncier dans notre pays. Notre volonté est de continuer à faire connaître la jurisprudence de nos cours et tribunaux conformément à l’article 25 de la loi régissant la Cour suprême.
Je vous en souhaite une bonne lecture qui, j’en suis sûr, vous apprendra énormément sur la jurisprudence de nos cours et tribunaux en matière foncière.
Sé : Le Président de la Cour suprême du Burundi
Emmanuel Gateretse
Dans ce recueil, il y a quatre arrêts qui consacrent le partage équitable entre successibles de l’héritage foncier sans distinction de sexe. Je vais revenir rapidement sur trois d’entre eux.
Le premier, l’arrêt RCC 30 127 du 29.07.2021, a été rendu par cette même Cour suprême.
En commentaire de cet arrêt, à la page 14 de ce recueil, la Cour Suprême écrit :
La Cour pose une règle générale selon laquelle, en matière successorale, les propriétés foncières sont partagées en parts égales entre tous les enfants.
L’arrêt RCC 30 127 de la Chambre de cassation contribue à l’enrichissement de la jurisprudence en matière successorale portant sur la propriété foncière. C’est un arrêt de principe qui peut inspirer le juge dans la prise de décision dans des cas similaires.
Le deuxième, à savoir l’arrêt RCSA 5178 du 01.10.2021 a été rendu par la Cour d’appel de Ngozi. Sans entrer dans les détails, je reproduis un extrait des commentaires faits par la Cour suprême et à mon avis, validé, par Monsieur le Président de cette Cour :
« Toutes les parties sont des descendants d’un même père et ont par conséquent sur son patrimoine les mêmes droits.
L’arrêt RCSA 5178 de la Cour d’appel de Ngozi est un bon arrêt qui consacre l’égalité des enfants du De Cujus et fait avancer la jurisprudence en matière de succession. Ainsi, de l’arrêt RCSA 5178 ressort cette règle générale de droit : « Les descendants d’un même père ont les mêmes droits sur le patrimoine familial ». C’est une question de justice et de dignité humaine qui est tranchée. L’arrêt RCSA 5178 rendu le 1/10/2021 par la Cour d’appel de Ngozi est donc un arrêt modèle » (page 18).
Le troisième, l’arrêt RCSA 5633 du 29/09/2021 rendu par la Cour d’appel de Ngozi
Aux pages 28 et 29 de ce recueil, dans ses commentaires, la Cour Suprême indique concernant l’arrêt RCSA 5633 :
L’arrêt trouve d’abord son fondement sur le prescrit des articles 13, 19 et 36 de la Constitution du Burundi qui consacrent l’égalité de tous devant la loi, la jouissance libérale des biens par le propriétaire et l’élimination de toutes sortes de discrimination.
En plus de ces dispositions jugées pertinentes par la Cour d’appel de Ngozi, celle-ci a fondé sa décision sur trois instruments internationaux qui sont la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 1er), le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (article 3) et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme (article 15, points 1 et 2).
Le présent arrêt fait avancer la jurisprudence burundaise relativement au domaine successoral encore régi par la coutume instable et non harmonisée.
C’est un arrêt innovant qui peut servir de guide pour la promotion des droits des enfants.
A ce que nous savons.
Il y a une seule propriété où seuls les enfants de sexe masculin héritent.
Les autres sont partagés en parties égales entre tous les enfants.
Voici, ce que j’étudie dans le Cours de Droit Foncier.
PS: Je ne suis qu’un Ir Agronome.
Vyahindutse ryari?
Merçi Iwacu pour plus d’éclaircissements
umuhinga canke umukuru w amategeko arayahindura ntayarenga. Je comprend mal comment un juge pourrait fondE sa decision sur une coutume en tournant le dos sur ce que dit la constitution. L’histoire de la hierarchie des normes est une notion elementaire du droit que meme un non juriste pourrait ne pas se soucier aisement.
Un autre cas qui illustre parfaitement le degré de l’INCOMPÉTENCE d’un grand nombre de ceux qui oeuvrent dans les postes dirigeants du pays.
Ce président de la Cour suprême a-t-il pris le temps de prendre connaissance de ce qu’est la CONSTITUTION d’un pays et ce qu’elle contient???