Mercredi 21 août 2024

Société

La coutume contre la loi: La Cour suprême met les droits des femmes en péril

20/08/2024 3
La coutume contre la loi: La Cour suprême met les droits des femmes en péril
Emmanuel Gateretse

Dans une décision controversée, le président de la Cour suprême du Burundi a récemment appelé à un retour en arrière en matière d’héritage foncier, en privilégiant la coutume au détriment de la loi. Cette position est en contradiction avec la Constitution et les normes internationales.

Le 16 août 2024, Emmanuel Gateretse, président de la Cour suprême, a émis une note adressée à tous les chefs de juridiction du Burundi concernant la jurisprudence foncière. Dans cette note, le président met en garde contre « des imperfections dans la revue de jurisprudence, notamment concernant les arrêts qui consacrent l’égalité des filles et des garçons dans l’héritage foncier en milieu rural. » Selon lui, ces arrêts sont en contradiction avec la coutume burundaise traditionnelle régissant l’héritage foncier (amatongo y’umuryango).

Le Président de la Cour suprême poursuit en affirmant que « la revue ne sera publiée qu’une fois que ces arrêts auront été retirés », cela afin « d’éviter toute confusion et d’assurer la conformité avec la coutume ». Il enjoint donc explicitement aux chefs de juridictions de « continuer à appliquer la coutume dans le règlement des litiges fonciers liés à l’héritage, en attendant la publication définitive de la revue ».

Dr Aimé Parfait Niyonkuru, enseignant-chercheur, rappelle le principe fondamental de l’indépendance du juge. Selon lui, « le juge, quel que soit son niveau dans la hiérarchie judiciaire, doit fonder ses décisions uniquement sur la loi et non sur des instructions venant de supérieurs hiérarchiques ». De plus, il précise que « la revue de jurisprudence est un outil de diffusion de la jurisprudence, mais ne constitue pas en soi une source de droit contraignante ».

L’expert affirme que la jurisprudence, c’est-à-dire l’ensemble des décisions de justice, constitue une source de droit. Il considère que la jurisprudence est une interprétation de la loi par les juges et sert de référence pour les décisions ultérieures. Cependant, il s’interroge sur le rôle de la revue de jurisprudence en précisant que « la revue ne devrait pas dicter aux juges comment ils doivent appliquer la loi ».

M. Jacques Bitababaje, juriste et professeur d’université, estime que « la lettre du président de la Cour suprême nous renvoie, dans les années 70, 80, à un rétropédalage de la jurisprudence en la matière, c’est désolant ». Selon lui, il suffit de lire les articles 19 et 62 de la Constitution.

L’article 62 de la Constitution burundaise stipule que « toute personne a le devoir de respecter ses compatriotes et de leur témoigner de la considération, sans discrimination aucune ». Mais c’est l’article 19 qui, selon Me Bitababaje, est encore plus explicite. En effet, « comme le droit international public prime sur le droit interne et qu’en outre, tous les instruments juridiques cités dans cet article 19 mettent sur le même pied d’égalité les femmes et les hommes, cette discrimination est inexplicable ».

Me Jacques Bitababaje met en garde contre les dangers d’une application exclusive de la coutume non codifiée. Il souligne que « quand on applique une coutume non codifiée, donc non écrite, il n’y aura pas de constance de solution pour les mêmes cas ».

Autrement dit, « la coutume n’est pas appliquée de la même manière dans toutes les régions du pays ». Il donne l’exemple des juges du Sud et de l’Est qui pourraient ne pas rendre les mêmes décisions pour un même cas de succession. Face à cette situation, Me Bitababaje plaide pour une codification de la matière : « Il y a urgence à ce que cette matière soit régie, elle aussi, par le droit écrit au lieu de la coutume et que par question de la hiérarchie des normes, le juge ne devrait pas appliquer une coutume alors qu’il y a une source écrite et pas n’importe laquelle, la Constitution en son article 19 ».

Dr Pacifique Niyonizigiye, chef du département de droit à l’université du Burundi, souligne que « la hiérarchie des normes juridiques est un principe sacro-saint ». Selon lui, « la coutume ne saurait en aucun cas primer sur la Constitution ». Cette situation, alerte-t-il, « crée de l’insécurité juridique, qui entravera la réalisation de la vision 2040-2060 d’un État de droit ».

Contactée, Diane, membre de l’association des femmes juristes du Burundi, a annoncé qu’un commentaire sur cette note du président de la Cour suprême serait publié ultérieurement par l’association.
Devis Gateretse

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Kabizi

    A ce que nous savons.
    Il y a une seule propriété où seuls les enfants de sexe masculin héritent.
    Les autres sont partagés en parties égales entre tous les enfants.
    Voici, ce que j’étudie dans le Cours de Droit Foncier.
    PS: Je ne suis qu’un Ir Agronome.
    Vyahindutse ryari?
    Merçi Iwacu pour plus d’éclaircissements

  2. hakizimana jean capistran

    umuhinga canke umukuru w amategeko arayahindura ntayarenga. Je comprend mal comment un juge pourrait fondE sa decision sur une coutume en tournant le dos sur ce que dit la constitution. L’histoire de la hierarchie des normes est une notion elementaire du droit que meme un non juriste pourrait ne pas se soucier aisement.

    • Kariburyo

      Un autre cas qui illustre parfaitement le degré de l’INCOMPÉTENCE d’un grand nombre de ceux qui oeuvrent dans les postes dirigeants du pays.
      Ce président de la Cour suprême a-t-il pris le temps de prendre connaissance de ce qu’est la CONSTITUTION d’un pays et ce qu’elle contient???

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