Dimanche 19 janvier 2025

Économie

La corruption a toujours de beaux jours

19/12/2024 1
La corruption a toujours de beaux jours

Le 9 décembre 2024, le monde a célébré la Journée internationale de lutte contre la corruption. Selon l’indice de perception de la corruption (IPC) de Transparency International publié en janvier 2024, le Burundi occupe la 162e place sur 180 pays avec un score de 20 sur 100. Quant au classement de la Fondation Mo Ibrahim de novembre 2024, le Burundi occupe la 43e place sur les 54 pays africains enquêtés avec un score de 41,4 sur 100 en 2023. Pour nombre d’observateurs, les organes chargés de la répression de la corruption sont aux abonnés absents.

« Même s’il y a une volonté manifeste de la part du gouvernement de lutte contre la corruption, des efforts restent à conjuguer », estime l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (Olucome) dans un communiqué de presse sorti le 9 décembre 2024. Selon cette organisation, il s’agit de la mise en application des conventions et des outils juridiques de prévention et de lutte contre la corruption ratifiées ou adoptés par le Burundi comme la Convention des Nations-unies contre la Corruption ; la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption ; la Constitution de la République du Burundi et la loi portant prévention et répression des actes de la corruption et les inflations connexes adoptée le 18 avril 2024 ainsi que la mise en application de la loi contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. D’après l’Olucome, cette dernière a besoin des améliorations car elle contient quelques rancunes.

« La journée du 9 décembre 2024 arrive au moment où certains articles de ces outils de lutte contre la corruption ne sont pas mis en application. A titre illustratif, certains articles des lois régissant le Burundi ne sont pas respectés dans l’administration burundaise.Il s’agit de l’article 95 de la Constitution du Burundi et de l’article 29 de la loi portant sur la prévention et répression des actes de la corruption et des infractions connexes qui stipulent que tous les mandataires publics doivent déclarer leurs biens et patrimoines en entrant et en sortant de leur fonction. »

En plus de cela, poursuit l’organisation, le Burundi affiche une mauvaise note au niveau international en matière de lutte contre la corruption. L’Olucome trouve que cela est motivé par des détournements de fonds qui se manifestent dans les entreprises publiques, le manque de transparence dans la gestion des revenus émanant de l’extraction minière et dans la gestion des devises ainsi que l’opacité et le monopole qui caractérisent les marchés publics au Burundi. « La corruption et la mauvaise gouvernance dans les services publics d’une part et dans le secteur privé de l’autre part ont fait que le Burundi devienne le pays le plus pauvre du monde avec un PIB/hab./an de moins de 350 USD selon les institutions internationales crédibles. Son taux de pauvreté actuel tourne autour de 70%. »

Transparency International est très critique

Dans son rapport de juin 2024 intitulé « Burundi : An overview of corruption and anti-corruption efforts. », Transparency International indique que les citoyens burundais sont confrontés à des niveaux élevés de corruption administrative lorsqu’ils tentent d’accéder aux services.

« Il existe également une corruption à grande échelle, impliquant le parti au pouvoir, le CNDD-FDD, et des acteurs du secteur de la sécurité dans la captation à grande échelle des ressources publiques et affectant de nombreux secteurs tels que le foncier, les mines, l’administration fiscale, les douanes et la politique monétaire. Ces formes de corruption et les flux financiers illicites qui en résultent contribuent à la faiblesse de l’économie du Burundi et favorisent d’autres formes d’instabilité dans le pays. »

D’après Transparency International, le Burundi a perdu, entre 1985 et 2013, environ 3,7 milliards de USD en flux financiers illicites avec des pertes importantes dues aux fuites de balance des paiements et aux fausses factures commerciales.

« En outre, certains membres de l’élite politique burundaise sont soupçonnés d’avoir détourné des réserves de devises étrangères, contribuant ainsi à des dommages économiques structurels au Burundi. Par exemple, les sociétés minières et les coopératives collaborent fréquemment avec les représentants de l’Etat et sous-déclarent leur production pour éviter de payer des impôts et contourner les processus de contrôle à l’aéroport international du Burundi et aux postes frontières terrestres. »

Selon cette organisation internationale, bien que le Burundi soit signataire des traités clés tels que la Convention des Nations-unies contre la corruption et membre de réseaux régionaux, son cadre juridique et institutionnel de lutte contre la corruption est miné par la faiblesse des institutions qui manquent d’indépendance et par l’absence de mesures législatives anti-corruption telles que la propriété effective et la déclaration de patrimoine.


Réactions

Gabriel Rufyiri : « Les institutions de lutte contre les corruptions existantes ne peuvent pas en aucune manière être efficaces. »

Le président de l’Olucome revient sur les éléments essentiels en matière de lutte contre la corruption, à savoir la Convention des Nations-unies contre la corruption et la Convention africaine contre la corruption qui ont été ratifiées par le Burundi le 18 janvier 2005. « La Convention des Nations-unies contre la corruption prône une institution spécialisée qui juge tout le monde accusé de corruption. C’est ce qu’on trouve dans d’autres pays comme le Kenya, le Gabon et ailleurs. Après les crimes contre l’humanité, les crimes économiques viennent en deuxième lieu selon les observateurs de la lutte contre la corruption. Il est plus urgent que cette institution voit le jour. »

Selon Gabriel Rufyiri, nous avons aussi des lois locales notamment la loi anti-corruption, promulguée le 18 avril 2006 et la loi contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme promulgué en 2008. « Ces instruments prônent des institutions, malheureusement des institutions qui ont été biaisées, qui ne sont pas capables de répondre aux exigences de la Convention des Nations-unies contre la corruption. »

M. Rufyiri rappelle que la loi contre la corruption de 2006 met en place la Cour anti-corruption et la Brigade anti-corruption. « La brigade n’existe plus. Même quand elle existait, c’était une brigade qui n’était pratiquement pas capable de juger quelqu’un qui est nommé par décret. La loi de 2008 contre le blanchiment des capitaux met en place une cellule nationale de renseignement financier. Elle n’a aucune force. Il est important de repenser vraiment la lutte contre la corruption au Burundi. »

Le président de l’Olucome trouve que les institutions de lutte contre la corruption qui existent actuellement ne peuvent pas en aucune manière être efficaces. « Nous prônons actuellement qu’il y ait une stratégie nationale de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption qui annoncera toutes les stratégies de lutte contre la corruption et les processus à mettre en place en vue d’avoir d’un côté des institutions spécialisées de répression de la corruption et des institutions de prévention d’un autre. »

D’après Gabriel Rufyiri, la lutte contre la corruption est dite au niveau des discours mais, les actions restent toujours problématiques parce que même les lois qui ont été promulguées ne sont pas en train d’être suivies. « Il suffirait seulement de voir les articles 95 et 29 de la Constitution qui prônent la déclaration du patrimoine des mandataires publics. Jusqu’à aujourd’hui, rien n’est fait. Il faut des hommes et des femmes qu’il faut dans les places qu’il faut. Nous voyons qu’aujourd’hui, il y a une élévation de la médiocrité dans l’administration burundaise. »

Faustin Ndikumana : « Les institutions de répression sont paralysées par le pouvoir exécutif. »

« Aujourd’hui, on constate l’existence de plusieurs institutions disparates avec des moyens humains et matériels insuffisants et sans indépendance. Actuellement, on constate amèrement qu’elles sont dominées par le Service national des renseignements (SNR), car celui-ci s’occupe des dossiers et les clôture de sa manière dans l’indépendance totale », fait savoir le directeur national de Parcem.

Faustin Ndikumana rappelle certains dossiers avec une odeur de corruption notamment l’Office burundais des recettes (OBR), la Fonction publique, le barrage de Mpanda, la Banque centrale, certains hôpitaux et des entreprises publiques au bord du gouffre, … « On entend toujours des hauts cadres qui sont appelés au SNR pour s’expliquer, pour être interrogés, mais les dossiers sont immédiatement clôturés. Aucune institution de répression n’ose s’autosaisir de ces dossiers parce que les institutions de répression sont paralysées par le pouvoir exécutif. »

Selon lui, la justice n’est pas indépendante. « Jusqu’à maintenant, la Haute Cour de justice n’a pas encore eu lieu pour juger les plus hautes autorités. La justice a été dépourvue d’institutions spécialisées de lutte contre la corruption, notamment la Brigade. Maintenant, on parle de Cour anti-corruption. Aucun pays au monde ne peut prétendre lutter contre la corruption sans une institution spécialisée. Maintenant, la force se trouve dans les juridictions ordinaires. »

Or, poursuit-il, la Cour des comptes et l’Inspection générale de l’Etat (IGE) sont actuellement des institutions par excellence pour la prévention, mais on constate des chevauchements. « Normalement, l’IGE est une institution à caractère administratif. Elle donne un rapport au président de la République. Elle fait des inspections permanentes, mais quand elle émet des rapports, aucune suite n’y est réservée. »

Quant à la Cour des comptes, souligne-t-il, c’est une institution à caractère juridictionnel sur le contrôle budgétaire d’autres entités. « Jusqu’à maintenant, malgré le rétablissement de sa mission juridictionnelle, le jugement des comptes n’est pas encore là. Plusieurs entités ne déposent pas leur bilan à la Cour des comptes, en tout cas moins de 20%. C’est un constat amer. Leurs rapports fonctionnels ne sont pas clairs. »

D’après le directeur national de Parcem, l’IGE devrait donner ses copies de rapports à la Cour des comptes, mais ces institutions sont toujours en rivalité, en conflit, notamment au niveau de l’adhésion à l’INTUSAI, qui est une institution internationale dans laquelle adhèrent les institutions de contrôle. « Les problèmes que rencontrent ces deux institutions est qu’il y a toujours un budget insuffisant. La Cour des comptes n’a pas de magistrats de carrière. Elle n’a pas la capacité de gérer les comptes. La mise en application de leurs recommandations reste problématique. Aucune institution de répression ne réserve de suite à leurs rapports. »

Comme solution, Faustin Ndikumana trouve qu’il faut réformer ces institutions et le cadre légal de lutte contre la corruption ; mettre sur pied une seule institution de contrôle, avec des pouvoirs juridictionnels, qui coordonne toutes les actions de prévention, de contrôle, avec une mission claire de poursuivre les cadres qui se rendent coupables de certaines malversations économiques.

Hamza Venant Burikukiye : « Que les mécanismes déjà mis en place jouent pleinement leurs rôles. »

« On ne peut pas nier qu’au Burundi le phénomène de corruption est observé. Toutefois, l’essentiel est que le gouvernement en a pris conscience en mettant en place les lois et les mécanismes de lutte contre la corruption dans toute sa forme », indique le représentant légal de l’Association Capes+. En témoignent, d’après lui, les lois et les instances juridictionnelles pour décourager et réprimer les cas de corruption aussi bien pour les corrupteurs que les corrompus.

Pour lui, les lois ne sont pas lacunaires. Il faut plutôt qu’elles soient respectées et suivies. « Quant au recours de la Haute Cour de justice, même si elle est créée et qu’elle ne remplisse pas ses missions, il n’y aura pas de valeur ajoutée pour réprimer la corruption. Que les mécanismes déjà mis en place jouent pleinement leurs rôles ! »
Pierre Nduwayo : « En investissant dans la jeunesse, on aboutira à un monde meilleur exempte de toute forme de corruption. »

Le président de l’Association burundaise des consommateurs ( Abuco-TI Burundi) rappelle que le thème de la journée était « S’unir avec la jeunesse contre la corruption : Former l’intégrité de demain ». « L’Abuco-TI Burundi a compris cette nécessité de former la jeunesse sur les valeurs d’intégrité puisque depuis 2019, elle a entamé ce processus à travers le projet « Intégrité en milieu scolaire au Burundi » auquel la jeunesse a manifesté un engouement à s’investir dans les valeurs d’intégrité. »

Selon Pierre Nduwayo, cette expérience a montré qu’en investissant dans la jeunesse l’on aboutira à un monde meilleur exempte de toute forme de corruption puisque c’est elle qui, demain, sera au pouvoir car comme le disait si bien Nelson Mandela, « L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde »

L’Abuco-TI Burundi propose, entre autres, de renforcer les programmes traitant de l’intégrité dans les milieux scolaires et universitaires ; de mettre en place la Haute Cour de justice qui servirait beaucoup à rassurer les citoyens burundais et les investisseurs étrangers ainsi que l’implication du secteur privé et la société civile dans la recherche de l’éradication de la corruption.

Kefa Nibizi : « L’Etat décrie constamment des détournements de biens publics et de la mauvaise gouvernance »

Pour le président du parti Codebu- Iragi rya Ndadaye, la corruption est une réalité au Burundi. « Elle est décriée constamment par les organisations de la société civile qui sont dans le domaine de lutte contre la corruption. Les plus hautes autorités de l’Etat décrient constamment cet état de fait où il y a des détournements de biens publics et de la mauvaise gouvernance. »

D’après Kefa Nibizi, les militants de son parti rapportent ce qui se passe dans différentes localités du pays. « C’est très déplorable que le pays soit parmi les dix pays les plus corrompus au monde. Cela explique effectivement d’autres conséquences qu’on observe maintenant. »

En ce qui concerne la répression de la corruption au Burundi, M. Nibizi pense que ce fléau n’est pas réprimé. « Nous avons entendu pas mal de cas où des gens qui ont détourné les deniers publics. Au lieu d’être sanctionnés conformément au Code pénal, ils continuent d’abord leurs fonctions sans être inquiétés. On leur somme tout simplement de rembourser l’argent détourné, ou parfois, on utilise d’autres moyens non officiels pour aller chercher de l’argent partout où ils les ont mis. » Selon lui, la corruption continue à gangrener la sphère de la République à cause de ce manque de répression.

Malgré que la loi existe, souligne Kefa Nibizi, il n’y a plus d’organes suffisants pour lutter contre la corruption. Aussi, les lois qui existent ne sont pas respectées. Le président du parti Codebu trouve que la Haute Cour de justice n’est pas vraiment indispensable dans la lutte contre la corruption parce que, souvent, les cas de grande corruption sont commis par des personnes qui peuvent être jugées par les juridictions ordinaires jusqu’à la Cour suprême, si la loi devait être respectée, si la politique et la volonté politique n’étaient pas d’épargner certaines personnalités.

« Il y a une liste très importante de détenteurs de pouvoirs publics ou de chargés de missions publiques qui ont trempé dans la corruption et qui auraient dû être sanctionnés si les organes étaient là et fonctionnaient bien et s’il y avait effectivement une volonté politique. » Et d’ajouter : « Malgré les discours qui sont prononcés à la longueur de la journée, on peut dire sans tergiverser qu’il n’y a pas de volonté politique pour lutter contre la corruption conformément à la loi. Vous avez même entendu les autorités qui invitaient les gens à rendre les biens qu’ils ont volés alors qu’ils devraient être forcés par la loi et par les organes compétents. »


Interview avec André Nikwigize : « Au Burundi, la corruption est politico-administrative »

Selon cet économiste, le virus de la corruption s’est ramifié dans toutes les sphères de la République. André Nikwigize fait savoir que quelle que soit la structure qu’on mettra en place, aussi longtemps que le leadership ne s’implique pas pour changer, le pays restera toujours gangrené par la corruption.

Quel est l’état des lieux de la corruption au Burundi ?

Avec la corruption, l’Etat devient « privatisé » à l’avantage des détenteurs du pouvoir. Au Burundi, la corruption est politico-administrative. Elle génère l’interpénétration des intérêts publics et privés.

Cela leur garantit un enrichissement aussi bien personnel (par le détournement de fonds) que pour le parti au pouvoir ainsi que de nombreuses possibilités de favoriser leur entourage (par l’octroi de récompenses multiple formes).

Les gros contrats d’infrastructures, cibles de toutes les convoitises, et la multiplication des entités administratives décentralisées (provinces, communes…) agissent comme un véritable terreau de la corruption.

Et la population ?

L’attitude du public devient même ambiguë. Elle oscille entre victime passive et acteur. Particulièrement, dans ces moments d’élections prochaines, c’est l’occasion pour les populations de profiter, à leur tour, des fruits de la corruption, étant convaincues que le moment de la redistribution verticale de la corruption est arrivé et l’accepter comme un mode de vie. Le langage associé c’est : « C’est notre tour de manger », « Aidons-nous les uns les autres ».

Concrètement

Depuis 20 ans de pouvoir du CNDD-FDD, très peu de cas de corruption ont été traités. Que ce soit la Cour anti-corruption, la Cour des Comptes ou l’Inspection générale de l’Etat, ces organes ont rendu très peu de rapports de corruption et très peu d’arrestations pendant les 20 ans. Même si quelques affaires ont été transmises par la Brigade spéciale au parquet anti-corruption concernant certaines autorités, celles-ci n’ont le plus souvent pas connu de suite.

Beaucoup de cas de corruption impliquaient de hauts responsables de l’Etat ou du parti au pouvoir, le CNDD-FDD. Par conséquent, ces institutions sont devenues inopérantes.

En janvier 2023, devant les membres de son parti CNDD-FDD, le président Ndayishimiye demanda à tous ceux qui ont détourné des fonds publics d’aller les rendre discrètement et de les déposer sur le compte du Trésor public. La population burundaise considère cette déclaration comme un aveu d’échec du pouvoir en place de lutter contre la corruption. Ce qui se comprend étant donné que tous les hauts fonctionnaires sont impliqués. Arrêter les coupables risquerait d’éclabousser toute la hiérarchie du parti au pouvoir. Plusieurs dossiers sont demeurés classés et le pouvoir en place n’ose pas y toucher de peur d’éclabousser toute l’armature du parti CNDD-FDD. Avec l’aveu d’échec du chef de l’Etat à pouvoir combattre la corruption, le Burundi est dans une impasse. Les coupables ne sont pas inquiétés.

Quel est l’impact pour le Burundi ?

Aujourd’hui, le Burundi est classé 162e pays de l’Indice de Corruption sur 180 pays recensés par Transparency International. Au sein de l’East African Community (EAC), le Burundi arrive en tête du classement des pays les plus corrompus. L’accumulation des affaires de grande corruption depuis 2005 est à l’origine des tensions avec les partenaires au développement. Elle a impacté les relations avec l’Union européenne qui, jusqu’aujourd’hui, hésite à débloquer l’aide budgétaire au Burundi ; la Banque mondiale et le FMI qui, dans leurs rapports, insistent sur la transparence dans la gestion des fonds publics, et d’autres partenaires.

Avec un tel niveau de corruption, le Burundi ne connaîtra pas de développement. La pauvreté s’accentuera tandis que les bailleurs de fonds et les investisseurs privés continueront à bouder le Burundi. C’est une honte pour le Burundi, l’un des pays les plus pauvres du monde, de figurer en tête de liste des pays où la corruption est devenue endémique.

D’ores et déjà, la Banque mondiale place le Burundi dans la catégorie des pays dont les performances institutionnelles sont très médiocres avec une note variante entre 2 et 3, depuis 2014. Ce qui classe le Burundi parmi les pays non crédibles, ne pouvant bénéficier que de dons et non de crédits. Cette mauvaise image du Burundi fait également craindre les investisseurs privés qui estiment que le Burundi, avec son système élevé de corruption, ne peut pas protéger les investissements privés. Cette image est également mal perçue par la Diaspora burundaise qui hésite à investir dans leur pays d’origine.

Le virus de la corruption, -comme tout virus-, s’est ramifié dans toutes les sphères de l’administration nationale et provinciale, l’armée et la police, le parti au pouvoir, le CNDD FDD. Aucun secteur économique n’est épargné.

Il est évident que quelle que soit la structure qu’on mettra en place, aussi longtemps que le leadership ne s’impliquera pas pour changer, le pays restera toujours gangrené par la corruption qui a infecté tous les autres secteurs de l’économie : les minerais, l’’énergie, les routes, l’agriculture sans oublier l’administration, les services des douanes, la Banque centrale, etc. Si le Parlement et le Sénat n’ont pas été en mesure de suivre et de contrôler l’action gouvernementale ; si certaines hautes autorités n’hésitent pas à se servir dans les caisses de l’Etat ; si la Justice n’est pas capable de protéger les intérêts de l’Etat en sanctionnant ceux qui détournent et gaspillent les ressources publiques ; si les fonctionnaires, les administratifs, les policiers, les agents, à tous les niveaux ; si la Cour anti-corruption, la Cour des comptes, l’Inspection générale de l’Etat n’ont pas été facilitées dans leurs missions respectives, à quoi servirait d’ajouter une autre institution telle que la Haute Cour de Justice ?


Rencontre avec Maître Simon Sibomana: « En l’absence d’une lutte efficace contre la grande corruption, la répression de la corruption restera un vœu pieux. »

Selon Me Simon Sibomana, avocat au Barreau près la Cour d’Appel de Bujumbura, la persistance de la corruption tient à l’absence d’une volonté politique claire accompagnée par des actions concrètes à commencer par les hautes sphères de l’Etat. Pour le juriste, ce n’est pas un problème de loi, mais le problème se situe au niveau de ceux qui sont chargés de sa mise en application.

Que pensez-vous de la répression de la corruption au Burundi ?

La répression de la corruption au Burundi est un sujet complexe qui soulève des questions sur la gouvernance et l’Etat de droit. S’il est vrai que la petite corruption est parfois traquée et réprimée, il en va autrement pour la grande corruption qui se passe dans les processus de passation et d’exécution des marchés publics, les détournements de l’aide et autres captations illégales de fonds à des fins d’enrichissement personnel.

Il ne se passe pas une semaine sans qu’on entende sur les réseaux sociaux de grands scandales de corruption et autres détournements de fonds publics dont les auteurs présumés ne sont jamais inquiétés. L’absence de poursuites et sanctions à l’endroit des auteurs de la grande corruption crée un sentiment général d’impunité et favorise le développement de la petite corruption. En l’absence d’actions concrètes pour lutter efficacement contre la grande corruption, la répression de la corruption en général restera un vœu pieux.

Les lois sont-elles lacunaires en cette matière ?

Je ne suis pas de ceux qui pensent que l’impunité des auteurs de la corruption serait liée au caractère lacunaire de la législation. La loi N°1/12 du 18 avril 2006 portant mesures de prévention et de répression de la corruption et des infractions connexes et la loi organique N°1/21 du 3 août 2019 portant modification de la loi N°1/07 du 25 février 2005 régissant la Cour suprême offrent un cadre assez suffisant pour lutter efficacement contre la corruption. Le problème se trouve peut-être au niveau de ceux qui sont chargés de la mise en application de la loi.

Que dire des organes chargés de la répression de la corruption ?

Les organes chargés de la répression de la corruption sont la Brigade spéciale anti-corruption, la Cour anti-corruption et son parquet général et la Cour suprême et son parquet général. Les enquêtes et actions pénales relatives à la corruption doivent être mises en mouvement par la Bridage spéciale anti-corruption, le Parquet général près la Cour anti-corruption et le Parquet général de la République. Ce sont ces trois organes qui doivent se saisir des enquêtes et instructions des cas de corruption avant de les fixer devant la juridiction compétente. Le grand problème se trouve à ce niveau puisque ces organes ne jouent pas du tout leur rôle.

Selon vous, pourquoi cette persistance de la corruption au Burundi ?

A mon avis, la persistance de la corruption tient à l’absence d’une volonté politique claire accompagnée par des actions concrètes pour lutter contre la corruption à commencer par les hautes sphères de l’Etat. Il faut aussi noter que la répression de la corruption au Burundi nécessite une approche intégrée qui aborde non seulement la corruption elle-même mais aussi les causes systémiques que la favorisent. Cela inclut notamment la promotion de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance ; le renforcement des institutions et le respect des droits humains.

Pour certains observateurs, la mise en place de la Haute Cour de justice pourrait atténuer l’ampleur. Est-ce ton avis ?

Ce n’est pas du tout mon avis. Il faut rappeler ici que la Haute Cour de justice n’est compétence que pour juger cinq personnalités, à savoir le président de la République, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, le vice-président de la République et le Premier ministre. Si les crimes de corruption qui demeurent impunis étaient seulement celles imputables à ces cinq personnalités, j’estime personnellement que la situation serait meilleure qu’elle ne l’est actuellement.

Force est cependant de constater que de nombreux cas de corruption dont les auteurs ne sont pas justiciables de la Haute Cour de justice restent impunis. Il faut ensuite rappeler que, même dans l’hypothèse où la Haute Cour de justice serait opérationnelle, l’Instruction d’un dossier impliquant l’une des cinq personnalités susmentionnées serait conduite par le Parquet général de la République.

Personnellement, je conçois mal comment le Parquet général de la République qui reste incapable de poursuivre un directeur général ou un ministre, pourrait mettre en accusation le président de la République ou l’une ou l’autre de ces personnalités justiciables de la Haute Cour de justice.

C’est pour ces raisons qu’à mon avis, la mise en place de la Haute Cour de justice ne serait pas en soi une solution au problème de la corruption au Burundi. Il faut une volonté claire et affichée du président de la République qui doit prêcher par le bon exemple en se soumettant notamment à l’obligation de déclaration de patrimoine et en accordant plus d’indépendance et de moyens à l’appareil judiciaire pour bien faire son travail.

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1 réaction
  1. Jean Pierre Hakizimana

    Merci chers Mrs d’avoir eu le courage de mettre la vérité sur la table. Bref, le Burundi est dans le chemin du Zaire, sous le fameux maréchal Mobutu. Nous savons comment ce film a fini, je dirais que la RDC souffre toujours, ce que Mobutu a fait de ce pays si vaste et riche. Observez comment le President Chisekedi est un president sans pouvoir car il est incapable de reverser la situation car il est exactement un produit des générations d’avant. Résultat: Le Zaire, aujourd’hui la RDC est un pays contrôlé par des bandes de mafiosi! Cela est l’avenir du Burundi.

    Dire que le CND-FDD veut attirer des investissements direct de l’étrangers! Ne retenez pas vos souffres chers Mrs & Mmes de la CND-FDD, car les détenteurs des capitaux ont accès à plus de détails spécifiques de ce que Mr André Nikwigize parle.

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