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La CNTB, ange ou démon ?

05/05/2013 Commentaires fermés sur La CNTB, ange ou démon ?

Depuis quelques temps, la CNTB et son président controversé occupent le devant de la scène médiatique burundaise. Acclamé par les uns, le travail de cette commission est pourtant perçu par d’autres comme un danger pour la paix, sous l’œil passif du pouvoir.

<doc6043|left>{"Mwanka, mukunda, tuzohabakura ku nguvu"} (Que vous le vouliez ou non, nous vous ferons quitter cet endroit par force.) Tels sont les mots de Mgr Sérapion Bambonanire aux déplacés du site de Ruhororo, où il avait été invité, début novembre, par l’administrateur communal pour lancer la campagne de retour de ces déplacés sur leurs collines.

A la tête de la Commission Nationale Terres et Autres Biens (CNTB), Mgr Sérapion Bambonanire rappelle à qui veut l’entendre, à chaque fois que l’occasion se présente, que sa principale mission est de rétablir les rapatriés dans leurs droits, face à des résidents qui, dit-il, occupent illégalement les terres d’autrui. « Nous devons, à tout prix, permettre à ceux qui ont été forcés de quitter leurs terres, d’abandonner leurs biens, par force ou par crainte pour leur sécurité, de retrouver l’intégralité de leurs terres », a-t-il déclaré le 6 novembre 2012, à Rumonge.

Et comme si elle tenait à en découdre au plus vite, la CNTB vient d’annoncer qu’elle va bientôt passer à une autre phase, celle des autres biens : « Nous avons déjà une liste de propriétaires de maisons acquises illégalement à la faveur de la crise de 1972, ces maisons sont notamment à Bujumbura, à Gitega, à Rutana et à Rumonge, etc. nous allons bientôt les céder à leurs véritables propriétaires », a déclaré le porte-parole de la commission, au cours d’une conférence de presse qu’il a personnellement animée à Bujumbura ce 11 novembre.

Une mission illégale et dangereuse

Cette campagne de la CNTB suscite pourtant des inquiétudes chez certains, qui la qualifient même d’illégale. « La CNTB a sauté, pieds joints, plusieurs étapes prévues à Arusha et a commencé à régler les problèmes de terres et autres biens sans attendre le travail de la CVR », indique le député uproniste, Bonavebture Niyoyankana. Propos soutenus par François Bizimana, porte-parole du parti CNDD : « la CNTB n’a aucune prérogative pour le moment de déposséder les terres des uns pour les attribuer aux autres. Elle doit impérativement attendre les conclusions de la Commission Vérité-Réconciliation, comme le prévoit les Accords d’Arusha signés en août 2000. »

M. Niyoyankana souligne que Mgr Bambonanire et son équipe vont jusqu’à revoir les cas tranchés par leurs prédécesseurs, en proposant aux rapatriés de les analyser de nouveau, les dressant ainsi contre les occupants. Il associe les récents remous dans les sites de déplacés à ce zèle de Mgr Bambonanire : « Ces sites sont presque viabilisés et implantés près des routes principales avec des aménagements d’eau courant. Les communes, avec la complicité de la CNTB, veulent y ériger des maisons pour cadres locaux et les députés. »

Pour Frédéric Bamvuginyumvira, qui se réfère à l’article 8 du premier chapitre du protocole 4 de l’Accord d’Arusha, la CNTB ne remplit que partiellement sa mission. Car, s’il reconnaît le droit à la propriété à chacun, il souligne aussi le droit à une indemnisation juste et équitable pour les sinistrés. Pour M. Bamvuginyumvira, les missions de la CNTB sont de trois ordres, la restitution des terres, la réconciliation et la paix. Mais, remarque-t-il, la commission ne se borne qu’à la restitution.

<doc6045|right>Un pouvoir complice ?

Bonaventure Niyoyankana donne deux raisons à cet acharnement à chasser les déplacés. La première est des les disperser sur les collines, gérées par leurs anciens bourreaux, pour les affaiblir, afin qu’ils ne puissent pas témoigner à la CVR. La seconde raison est de pouvoir les intimider, grâce à l’action des Imbonerakure, pour qu’ils votent pour le parti au pouvoir en 2015. M. Niyoyankana considère le président de la CNTB, consommé par la haine ethnique, comme un outil du parti au pouvoir qui veut transformer un conflit de nature ethnique en conflit ethnique.

Quant à M. Bamvuginyumvira, cette situation n’est pas seulement imputable à la CNTB, mais à la présidence de la République qui en assure la tutelle. « C’est un problème de conception et d’orientation du pouvoir par rapport aux problèmes du pays. La réconciliation est négligée en avantageant une ethnie, comme si la paix est faite par une seule. »

Une issue fatale …

Pour Bonaventure Niyoyankana, la seule issue de ces agissements de la CNTB et ses commanditaires est la guerre, entre des citoyens et un parti qui veut se venger contre une partie de la population, toutes ethnies confondues. « La CNTB considère comme des lâches les hutu qui n’ont pas fui et ont accepté des terres des différents pouvoirs tutsi », souligne-t-il.

Pour le vice-président du Frodebu, le pouvoir veut créer une mobilisation des Hutu pour 2015, qui le considéreront comme un pouvoir qui rassemble. « Mais le lésé n’est pas seulement le Tutsi, mais également le Hutu car les problèmes fonciers n’ont pas d’ethnie. En soutenant les rapatriés, on lèse aussi les Hutu qui sont restés au pays. » Pour M. Bamvuginyumvira, ce qui est perçu comme une illusion du pouvoir est donc, en réalité, une faiblesse qu’on veut cacher.

Le porte-parole de la CNTB se dit étonné que Bonaventure Niyoyankana réagisse après autant d’années de travail de la commission. « Après six années, demander que la CNTB attende la mise en place de la CVR vise tout simplement à déranger le travail de la commission », indique-t-il.

<doc6046|right>Des politiciens saboteurs …

« Les Upronistes ont des intérêts à protéger; c’est pourquoi ils nous accusent de favoriser les rescapés », indique le porte-parole de la CNTB. Pour lui, si aujourd’hui la commission est au-devant de la scène, c’est à cause du mécontentement de ceux qui se disent lésés par les décisions de la CNTB, qui travaille sans relâche. « Mais, mise à part ceux qui parlent pour défendre les autres, sans avoir été mandatés, le travail de la CNTB est réconciliateur ! »

Car, souligne M. Mbonimpa, la CNTB est régie par une loi qui lui est propre, tout comme la CVR aura la sienne. Dieudonné Mbonimpa précise que l’objectif de la CNTB est de rétablir dans leurs droits les sinistrés, parfois à l’amiable. « Depuis 2006, plus de 12.000 dossiers ont été clôturés par des arrangements à l’amiable. »
M. Mbonimpa tient à préciser que la CNTB est apolitique, la preuve : son président est un prélat de l’église catholique, qui a juré devant Dieu d’apaiser les âmes : « Son unique intérêt est de régulariser ceux qui ont été injustement traités. »

Que prendre ou laisser ?

La vice-présidente de la CNTB a reconnu sur la RPA que la loi régissant la CNTB a besoin d’être revisitée. Alphonsine Nduwayo admet aussi que la CNTB peut ne pas bien se comporter, en travaillant en dehors de la loi, mais sans être en dehors de l’Accord d’Arusha. Mais, selon Dieudonné Mbonimpa, porte-parole de la CNTB, la mission de la CNTB est comprise de la même façon par tous ses membres, entre lesquels n’existe aucune divergence.

Pourtant, même Léonidas Hatungimana, porte-parole du président de la République, a annoncé, sur la radio Isanganiro, que les textes de loi qui régissent la CNTB seront revus dans un proche avenir pour corriger certaines imperfections.
Pour Onésime Nduwimana, porte-parole du parti CNDD-FDD, la première mission de la CNTB est de faire en sorte que chaque sinistré ait une place dans ce pays, un toit et une portion de terre, mais sans que personne ne se retrouve à la rue. Et il condamne toute exploitation politicienne du travail délicat de la CNTB.

Une CNTB aux pleins pouvoirs actuellement, puisque, selon son président, les tribunaux n’ont aucune place dans ses décisions. Cependant, selon Elie Ntungwanayo, porte-parole de la Cour suprême, la loi accorde des prérogatives à la justice sur toutes les décisions que les parties en cause jugent illégales, et la CNTB ne constitue pas une exception.

| Une chose est sûre : le travail de la CNTB suscite des cris dans plusieurs coins du pays et des discours alarmants chez certains politiciens qui brandissent le sceptre d’un autre conflit, auquel il faudra trouver une autre appellation, mais pas ethnique. Car les victimes des décisions de la CNTB, dont l’intransigeance ethnique de son président est évoquée par certains, ne sont pas d’une seule ethnie. Et le pouvoir, toujours égal à lui-même, comme à chaque fois que la population veut être rassurée dans une telle situation, garde le silence. De là à imaginer que la CNTB, qui est sous la tutelle de la présidence, fait son jeu, il n’y a qu’un pas. Mais, quelles que soient les visées des uns et des autres, aucune stratégie ne devrait être maintenue, si stratégie il existe, comme on peut s’en douter devant un tel silence, tant qu’elle cause le malheur d’une partie de la population. |

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