31 stations de lavage de la Sogestal Kirimiro n’ont pas encore débuté les travaux pré-campagnes. Les caféiculteurs sont inquiets. Les employés des usines de lavage prédisent le pire. Chronique d’une catastrophe annoncée.
« Cette situation n’a jamais existé dans l’histoire de la campagne café », le verdict sans appel d’un producteur de café rencontré lundi 14 janvier à l’usine de lavage de Nyanzari sur la colline Songa de la commune de Gitega.
L’usine de Nyanzari offre l’image d’une infrastructure abandonnée. Entre les tables de séchage, complètement usées, les herbes grouillent. Autour des cuves et du canal de gradage, des cultures verdoyantes de maïs. Le canal de gradage transportant les grains dépulpés de la dépulpeuse aux cuves de fermentation est en mauvais état : des trous sont visibles. Visiblement, les travaux préparatoires de la campagne café 2020/2021 ne sont pas pour demain.
Excepté Luka, un caféiculteur, originaire de Songa, les lieux sont déserts. Interrogé, Luka confirme ce que tout visiteur soupçonne : la campagne s’annonce mal. « Je ne sais pas si cette usine va acheter notre récolte ou pas », lâche Luka.
Le producteur confie qu’il s’est fait enregistrer pour écouler sa production à la station. Après l’inscription, il a reçu un numéro. Mais personne ne le reçoit depuis la semaine dernière.
Luka dit que les grains du café commencent à mûrir. D’ici un mois, il espère vendre les prémices. Mais à la vue de cette usine à l’arrêt, il est inquiet.
A la Sogestal Kirimiro, un des gestionnaires des stations de lavage rencontré confirme les craintes des producteurs de café. «La station de Nyanzari n’est pas un cas isolé. Les activités préparatoires n’ont pas encore commencé dans 31 usines de lavage de la Sogestal Kirimiro».
« Du jamais vu dans l’histoire de la campagne café », lâche notre source. Dans la campagne précédente, précise-t-il, plusieurs travaux d’entretien se sont clôturés avec la troisième semaine du mois de janvier 2019.
La situation est perdue, d’après lui. « Nous sommes très en retard. Même si nous commençons les travaux aujourd’hui, nous ne pourrons pas rattraper le temps perdu».
Il égrène les problèmes : l’entretien des dépulpeuses exige plus de temps. Et certaines pièces, notamment les disques, sont réparés à Bujumbura. Or, les techniciens ne sont pas encore venus les prendre. Normalement, ils auraient déjà testé les dépulpeuses.
Ainsi, les stations de lavage ne peuvent pas collecter et transformer la récolte de la cerise à temps. L’installation et le montage de ces disques dans 31 stations de lavage prendront au moins 2 mois.
Pour K.L, un technicien spécialisé, personne ne sait si les motos-pompes acheminant l’eau dans les dépulpeuses fonctionnent ou pas. Autre souci : aucune usine n’a fait l’essai de pompage. Si les motopompes ne font pas monter l’eau, les dépulpeuses ne peuvent pas tourner suite au manque d’eau. Dans ce cas, il faudrait acheter une nouvelle motopompe.
Ce technicien fait savoir aussi que le réservoir d’eau de son usine s’est fissuré depuis l’année dernière. Ils ne peuvent donc rien faire sans eau.
Et la réhabilitation ce réservoir prendra du temps. Il faut d’abord chercher les techniciens et faire la commande des matériaux de construction.
Les tables de séchage sont également en mauvais état. « Leur réparation est un travail de longue haleine. Une équipe de quatre personnes répare seulement deux tables de séchage par jour». Chaque usine compte au moins 200 tables. Pour les réparer en 25 jours, il faut au moins 16 ouvriers.
Pour l’instant, la Sogestal n’a pas de matériaux nécessaires notamment les planches. « Elle devrait faire une commande. Ce qui prendra aussi du temps », poursuit-elle
Habituellement, la Sogestal achète des planches. Elles sont stockées dans la cour de la station de lavage de Nyanzari. Toutes les stations venaient s’y approvisionner. Aucune planche en vue.
Enfin, cet employé de la Sogestal Kirimiro indique que les usines n’ont pas encore commencé d’inscription des caféiculteurs. D’habitude, les caféiculteurs viennent s’inscrire dans les stations de lavage au mois de décembre.
D’après lui, fin janvier de l’année dernière, presque toutes les usines avaient terminé l’inscription. A la mi-janvier de l’année dernière, il avait déjà enregistré plus de 500 caféiculteurs.
Les conséquences de tous ces problèmes sur la production du café et les revenus des caféiculteurs sont inévitables. Les employés de la Sogestal Kirimiro sont très pessimistes sur la campagne 2020-2021.
CNAC alerte
Mêmes inquiétudes à la confédération nationale des caféiculteurs du Burundi (CNAC murima w’Isangi). Dans son intervention, lors de l’atelier organisé portant sur le lancement de la campagne café 2020-2021. « Les Sogestal achetant plus de 70% du café ne se préparent pas pour collecter la récolte du café», s’inquiète Macaire Ntirandekura, chargé de la plaidoirie. Les gestionnaires des Sogestal ont reçu des lettres de mise en demeure. Le gouvernement leur demande de payer les dettes et les arriérés de salaires des employés endéans huit jours. Faute de quoi, le contrat qui lie les Sogestal et le gouvernement sera résilié
A ce que je sache, poursuit ce représentant des caféiculteurs, les Sogestal n’ont ni remboursé les dettes ni payé les employés. « C’est clair. Ils ne peuvent pas se lancer dans la préparation de la campagne », constate Macaire Ntirandekura.
Ce représentant des caféiculteurs alerte. Aujourd’hui, aucune activité n’est entreprise dans les stations de lavage. « Nous ne sommes pas à la veille de la campagne café 2020-2021. Nous sommes en pleine campagne. Où les caféiculteurs vont-ils écouler leur production ?»
Président de l’alliance des stations de lavage au Burundi Coffee Washing Station Alliance (COWASA) ne mâche pas ses mots : « Je ne peux pas mentir. Nous ne sommes pas en train de nous préparer à la campagne. »
Ce dernier avance qu’ils ne savent pas le contenu de la stratégie de redressement et de la redynamisation du secteur café initié par le gouvernement. Selon cet homme d’affaires, aucun entrepreneur rationnel ne peut ouvrir son usine de lavage avant la fixation du prix du café cerise.
Mwikomo Boniface, conseiller économique à la Deuxième vice-présidence et président du conseil d’administration de l’Autorité de Régulation de la Filière, fait savoir que le président n’a pas encore signé ladite stratégie. « Excusez-moi, je ne peux pas vous dire les détails de ce document».