Il constitue un important secteur économique, car il mobilise des ressources financières considérables, en impliquant toute une chaîne d’acteurs. Pourtant, le secteur de la bière de banane reste toujours informel.
<doc5048|left>Il est lundi, vers 9 heures, jour de marché au centre Nyeshenza, à 10 km du centre Rugombo, en commune Mugina, province Cibitoke. Sur les lieux, deux marchés en parallèle, l’un pour les magasins et boutiques, l’autre pour la bière et le jus de banane. Ce dernier est plein à craquer. Mais des files de personnes continuent d’arriver en provenance de Mabayi, des vélos transportant plus de 8 bidons chacun, et des hommes, femmes ainsi que des enfants, un bidon sur la tête.
Même en tentant de foncer pour entrer à l’intérieur, il est difficile de se frayer un chemin : on risque de se faire bousculer ou de se faire mouiller par les portefaix qui déplacent la bière dans des barils mal-couverts. Des dizaines de véhicules, de marque FUSO, pleins de tonneaux « Rudi paint », sont également présents. Ce sont les acheteurs grossistes du jus et de la bière en provenance de Bujumbura. Ils sont surnommés, par les habitants, les « jumbura ». On assiste à des bousculades autour d’un « jumbura » qui détient une grande quantité de billets de banque dans sa main. Ils négocient le prix de vente. Toutefois, ces acheteurs qui sont en petit nombre, imposent leur prix. La loi de l’offre et de la demande oblige.
Eulalie Ndabitezimana, vient d’écouler ses 10 bidons de bière. Elle les a vendus 8.000F chacun. Elle affirme que l’affaire s’est conclue au meilleur des prix : « Ma bière était de 1ère qualité, appelée insongo ». Sinon, indique-t-elle, le prix peut chuter jusqu’à 2000F le bidon, voire 1000F, surtout en saison de récolte des bananes. Néanmoins, elle s’insurge contre ces acheteurs qui forment un cartel, pour imposer leurs prix : « Ces jumbura s’entendent, avant de venir, sur le prix plafond au-delà duquel ils n’achètent pas ». Ainsi, poursuit-elle, les vendeurs n’étant pas organisés de leur côté, ils n’ont qu’à s’exécuter. Version que rejettent ces grossistes. « Ici, c’est la concurrence qui joue », rétorquent-ils. Ils assurent qu’il est difficile voire impossible de s’entendre sur le prix à offrir.
<doc5049|right>Un grand secteur avec plusieurs acteurs
Selon les chiffres avancés par les agents trouvés sur les lieux, les transactions drainent un flux de 70 millions de francs en moins de 5 heures. Ce produit fait rentrer dans la caisse communale, précise Bazira Jean, conseiller communal chargé du développement, 6,4 millions de Fbu par mois et par marché. A noter que la province en compte cinq.
Dans la chaîne, plusieurs intervenants entre en jeu. A en croire les dires des personnes trouvées sur place, le secteur mobilise plus d’une quinzaine d’acteurs, du simple producteur de la banane jusqu’au consommateur de la bière à Bujumbura. Et tout se fait en moins de deux semaines, précisent-elles.
Vianney Butoyi et ses coassociés ne sont ni cultivateurs de banane, ni producteurs de bière. Mais ce secteur leur a permis de créer leur propre business. Ils gardent les bicyclettes de ceux qui ont amené la bière. «Chaque client nous paie 200F en contrepartie d’un reçu qu’il présente, au retour, pour récupérer son vélo », nous indique M.Butoyi. Ce dernier affirme que l’affaire est rentable. « En un mois de service, nous en sommes à 50 clients. C’est une portion très minime par rapport à tous les vélos garés ici», dit-il.
Ce commerce reste toujours informel et rudimentaire
Tous les agents, vendeurs, acheteurs, portefaix, connaissent le nombre de jumbura qui viennent s’approvisionner. « Ils sont au nombre de 20, aujourd’hui, et ne seront que 15 pour vendredi », lance, sans trop réfléchir, un des marchands. Mais du côté de ceux qui sont venus écouler leur bière, personne ne saurait les dénombrer. «Nous ne taxons que les jumbura. Nous ne pouvons rien changer », affirme Jean Bazira, conseiller administratif chargé du développement. Et d’expliquer aussitôt : « On ne saurait comment faire contribuer ces milliers de gens anonymes. »
En outre, fabriqué avec du simple jus et de la levure, le produit reste toujours de fabrication locale. « Cette bière ne peut dépasser 4 jours sans se détériorer. Pourtant, si le produit est industrialisé, sa garantie pourrait s’étendre jusqu’à deux ans minimum», explique Alfonse Fumberi, un industriel engagé dans la transformation de la banane. Pailleurs, il déplore que la mesure d’alcool que contient ce produit ne soit pas connue, ce qui est dangereux pour la santé.
Cet industriel fait la comparaison avec le Rwanda : « Les entreprises rwandaises de fabrication de jus et de bière de banane sont d’une grande envergure, et elles sont très avancées ». M.Fumberi ne manque pas, également, d’évoquer le contexte du moment. L’industrialisation du secteur, soutient-il, permettrait d’avoir un produit substitut à ceux de la Brarudi qui, d’ailleurs, se renchérissent de jour en jour.