Le phénomène des enfants en situation de rue est alarmant à Kirundo. L’administration essaie de les sortir de cette situation, en vain. Les autorités provinciales et les associations de défense des droits des enfants en appellent à la responsabilité des parents.
La nuit vient de tomber sur Kirundo. Le chef-lieu de cette province du Nord ne fait pas l’exception au reste du pays, les voies ne sont pas éclairées. Certains passants hâtent le pas pour regagner le bercail. C’est le premier dimanche de l’année. Lundi, c’est le retour au travail. D’autres se dirigent vers des bars. Il y en a à chaque coin de rue.
A quelques mètres de l’Auberge du Nord, le plus vieil établissement hôtelier situé à quelques encablures du futur parking des bus en cours d’aménagement, sur le site de l’ancien marché, des enfants se rassemblent curieusement au lieu de rentrer chez eux. C’est à l’arrière de la station d’essence dénommée «Rwihinda» sur la route menant vers Busoni. Non loin du bureau de l’Agence de voyage Volcano.
Intrigué, je tente de les approcher. A la vue d’un inconnu qui avance vers eux, certains détalent. Tels des intouchables, personne ne va vers eux. Mais quelques braves gamins, sur le qui-vive, restent sur place. Les peureux de tout à l’heure un peu rassurés reviennent sur leurs pas. «T’as pas la tête des policiers avec leur uniforme qui nous mènent la vie dure», confie leur responsable, visiblement mineur mais, apparemment, il inspire le respect aux autres.
Ces enfants sont des habitués des maisons carcérales. Ils affirment que tous ont déjà séjourné en prison au moins une fois. Récidivistes, ils se font un malin plaisir à fumer manifestement la «sèche». Plus grave, ils se droguent avec de l’essence. Après avoir inhalé son odeur, racontent-ils, ils ne sentent plus le froid, ne se rappellent pas non plus qu’ils dorment à la belle étoile. «Il s’agit d’un calmant», disent-ils en chœur.
Chacun d’entre eux possède un petit flacon avec le liquide. Ils se servent de l’argent qu’ils gagnent comme porte-faix pour s’en procurer.
Au fil du temps, le groupe s’agrandit. D’autres vont arriver. Cet endroit est un lieu de rencontre prisé par les enfants de la rue au chef-lieu de Kirundo.
Ils se définissent eux-mêmes comme des «Mayibobo», un vocable péjoratif qui désigne communément des enfants en situation de rue. La nuit avance, il est presque 21 heures. Parmi eux, le petit Bizimana, 5 ans, résiste aussi au sommeil.
Irresponsabilité des parents ?
Tous ses parents sont encore en vie à en croire ses compagnons d’infortune. Pourtant, ce petit garçon ne veut pas rester auprès de sa famille.
Patrice (pseudonyme), un officier de police en jogging, s’arrête pendant un court moment. Interrogé, il explique que toutes les tentatives de les sortir de la rue sont restées vaines. «Nous avons à plusieurs reprises tenté de les faire ramener chez eux, mais quelques jours après, nous les retrouvons dans la ville. Pourtant, certains viennent des communes lointaines».
Il trouve incompréhensible qu’ils n’aillent pas à l’école alors que la gratuité de l’enseignement à l’Ecole fondamentale est toujours en vigueur. Avant de s’en aller, un peu découragé, le policier leur conseille de retourner à la maison, de se soumettre à l’autorité de leurs parents et de s’inscrire à l’école.
Les associations de défense des droits des enfants en province Kirundo dénoncent l’insouciance des parents. D’après Lazare Niyonkuru, président de l’Action en Faveur des Enfants Vulnérables (AFEV), les parents ne se préoccupent pas de leur progéniture.
Les parents dépensent de l’argent à longueur des journées dans les bars. Ils ne se soucient pas de leur avenir ni de celui de leurs enfants. Il témoigne du cas d’un père de famille, dont le fils a «volé» du haricot chez la deuxième femme. Il ne subvenait pas aux besoins de ses enfants de la première femme. Sur son ordre, l’élève de la 3ème année primaire a été arrêté et emprisonné.
1200 enfants déjà réintégrés
M. Niyonkuru souhaite que les droits des enfants soient mieux connus et respectés en vue de réduire sensiblement ce phénomène. Il pense surtout aux belles-mères qui éduquent des enfants dont elles ne sont pas les mères biologiques et qui ont tendance à les délaisser.
AFEV prend en charge notamment des enfants victimes de la négligence des parents comme Queen Kimana, 9 ans. Son père est inconnu. Sa mère l’a délaissée et s’est livrée à la prostitution. Cette fillette dit avoir été l’objet de tentatives de viol dans la famille qui l’hébergeait. La petite a été sauvée par un voisin qui l’a emmenée à ce centre.
Jacques Nshimirimana, président de la Fédération nationale des associations engagées dans le domaine de l’enfance (Fenadeb), parle de la nécessité des centres d’hébergement temporaire. Ceux-ci seront chargés de la rééducation en vue de leur réintégration. Autrement, comme une perdrix, dans une basse-cour, elle finit par retourner à la vie sauvage.
Ce défenseur des droits des enfants se veut optimiste : «Il y a un léger mieux par rapport aux autres pays de la région. Le Burundi vient en deuxième position après le Rwanda». Une enquête menée en 2014 fait état de 3600 enfants. Ce chiffre est en diminution grâce à la politique du gouvernement de réintégrer les enfants dans leurs communautés en cours depuis 2017 : «1200 enfants ont été ramenés dans leurs familles».
Alain-Tribert Mutabazi, gouverneur de la province Kirundo, assure que l’administration provinciale veut mettre fin à ce phénomène. «Nous les avons tous ramenés dans leurs familles, aucun ne restait.» Mais, poursuit-il, ils sont revenus après quelques jours.
Son objectif reste le même. Qu’il n’y ait pas un seul enfant en situation de rue dans toute la province. Il affirme que ce pari a été déjà gagné dans les communes.
Il en sera de même au chef-lieu de la province. Les parents devront reprendre les enfants qui sont retournés dans les rues. Pour ceux qui ont besoin d’aide, ils en bénéficieront mais en étant en famille. Par ailleurs, le gouverneur prévoit une sensibilisation sur la planification familiale et le devoir d’éducation des parents vis-à-vis de leurs enfants.