En commune Ntega de la province Kirundo, deux militants du CNL, ont été tués dans la soirée du 18 août sur les collines Murungurira et Rushubije. Entre violences politiques et règlement de compte, les avis sur ce double assassinat divergent. Iwacu a mené une enquête.
Par Edouard Nkurunziza et Fabrice Manirakiza
Du 18 au 19 août, une nuit cauchemardesque chez l’un des représentants du CNL à Kirundo. «Gahungu n’est plus. Son cadavre vient d’être retrouvé au centre Murungurira». Le message nécrologique tombe sur son téléphone vers 3 heures du matin. Deux heures plus tard, un autre SMS. Cette fois-ci, c’est le cadavre de Révérien Kamarampaka de la colline Rushubije qui vient d’être repêché dans la rivière Kabamba.
Au vu de cette concomitance, ce responsable pense sans hésitation aux violences politiques. Les deux victimes avaient un dénominateur commun.
C’étaient des militants du CNL. Néanmoins, pour le cas de Jean Prosper Hitimana (dit Gahungu) de Murungurira, le dossier semble un peu complexe. Iwacu a rencontré des habitants de Murungurira qui parlent d’un assassinat planifié depuis longtemps.
Des agressions en cascade
A l’origine, une mésentente entre deux éducateurs autour d’un retard de remboursement d’une dette. L’affaire remonte à fin 2017. Jean Prosper Hitimana, enseignant de l’Ecole primaire de Murungurira, prête de l’argent (325 mille BIF) à Gérard Ntukabumwe, directeur de cette école. Ce dernier veut s’acheter des tôles pour achever la construction de sa maison.
Une convention de remboursement est signée par les deux collègues. Gérard Ntukabumwe doit s’acquitter de la dette avant fin 2018. Hitimana attendra en vain.
Selon les témoignages, les relations entre les deux hommes se détériorent après le délai de remboursement. Le créancier réclame son argent. En retour, le débiteur lui profère des menaces. «Dès qu’il a réclamé son dû, il a reçu sans cesse des demandes d’explication aux moindres manquements.»
Mais des tensions plus graves apparaissent début 2019, au mois de février. Le directeur tente d’arrêter le jeune homme de ses fonctions. «Il a instrumentalisé les écoliers pour qu’ils se révoltent contre leur instituteur. Quand il entrait, ces derniers protestaient : le directeur nous a signalé que tu n’as plus le droit de nous enseigner».
Désemparé, Jean Prosper Hitimana va se confier au directeur communal de l’enseignement (DCE) à Ntega. «Il lui a dit que tout a pour origine la dette non payée». En réponse, ce dernier lui conseille de porter plainte au niveau de la Justice. Vincent Nzisabira, le DCE de Ntega, confirme les faits. Il soutient néanmoins ne pas être au courant de la suite de ce dossier.
L’enseignant ne va pas se précipiter à porter l’affaire devant la justice. Il attendra plus d’un mois, dans l’espoir d’un règlement à l’amiable. C’était sans savoir qu’un événement tragique l’attendait…
Dans la soirée du 17 mai, au centre Murungurira, des querelles éclatent avec le directeur toujours au sujet de la dette. Quelques heures plus tard, de retour chez lui, il est intercepté par un groupe de ‘’malfaiteurs’’, gourdins à la main. Ils se mettent à le tabasser. «Ils l’ont laissé à demi mort. Ils exigeaient de lui de ne plus parler de la dette».
Le lendemain, Jean Prosper Hitimana dénonce ses bourreaux. «C’étaient tous des Imbonerakure de Murungurira. Ntukabumwe, son directeur, était aussi sur les lieux du crime, il assistait à son passage à tabac».
Une semaine après, la police arrête les ‘’attaquants’’ dénoncés: Jean Marie Nsengiyumva, Jean Marie Munyentwari, Noël et Nemeyimana alias Masamba. Ils passeront la nuit du 24 au 25 mai dans le cachot du commissariat de police à Kirundo avant d’être libérés. «Une pression des responsables du parti de l’aigle en commune Ntega », estiment différentes sources.
Selon elles, outre que tous les ‘’bourreaux’’ étaient des Imbonerakure, Ntukabumwe est le petit frère du président du Cndd-Fdd en commune Ntega, un certain Sindyibigori, ‘’très influent’’ à Kirundo.
Depuis leur remise en liberté, poursuivent nos sources, ces jeunes hommes se sont juré de l’achever. Jean Bosco Hitimana a encaissé le coup. Il ne lui restait qu’une option : se faire soigner. Mais des rumeurs d’un plan de son assassinat couraient toujours.
Aboutissement d’une vendetta?
L’exécution de Jean Prosper Hitimana a eu lieu à son domicile. Il vivait seul. Après l’exécution, ses bourreaux ont déplacé le cadavre vers le centre de Murungurira. Un jeune homme habitant à ce centre, à travers la fenêtre, a vu et reconnu certains de ceux qui déposaient le cadavre. Il a témoigné à Iwacu.
C’était vers 2 heures du matin, se souvient-il, la nuit était éclairée par la l’une. Au total, il dit avoir compté six jeunes hommes. Parmi eux, Jean Marie Nsengiyumva, l’un des agresseurs du 17mai et un certain Bibonimana. Tous des Imbonerakure de Murungurira.
«Quand je suis sorti pour constater ce qui se tramait là-bas, ils m’ont sommé de regagner la maison». D’après lui, en cette nuit, rien ne permettait de conclure à un meurtre: «Il n’y avait visiblement pas de sang à cet endroit. Et puis, le jeune homme portait des habits plutôt propres». Les 6 hommes sont restés là, debout près du cadavre. C’est grâce à notre source que cette mauvaise nouvelle s’est répandue dans la matinée de lundi 19 août…
A l’aube du 19 août, avec la découverte du cadavre, les enquêtes ont commencé. Dans la foulée, dix hommes de Murungurira ont été interpellés. Parmi les 10 prévenus, 4 ont été relâchés. Les deux présumés bourreaux cités par notre source font partie des 6 maintenus en prison.
«Deux des prévenus ont plaidé coupables devant un OPJ, arguant avoir exécuté une mission pour 1,2 million de BIF», confie une autre source sans préciser les noms des deux. Dans tous les cas, des habitants de Murungurira s’étonnent que Gérard Ntukabumwe n’ait pas été inquiété : «Il est sûrement le commanditaire de l’assassinat »
«Il faut que la justice fasse son enquête»
«Je lui avais déjà remboursé ses frais, le procureur est témoin. Je n’avais donc rien contre lui». Ainsi se justifie Gérard Ntukabumwe face aux allégations. D’ailleurs, il assure que le courant passait plutôt bien ces derniers jours entre eux. «Sa famille a certes une dent contre moi. Mais je ne pouvais vraiment pas commanditer un meurtre pour une somme aussi maigre.».
Gérard Ntukabumwe soutient qu’une petite mésentente entre eux était née en juin, vite réglée par le procureur de la République à Kirundo. «J’ai remis l’argent de Hitimana, le 17 juin, entre les mains du procureur .J’ai même le reçu sur moi».
Interrogé sur sa responsabilité dans le passage à tabac de Hitimana le 17mai, Ntukabumwe réplique : « Beaucoup de personnes se sont bagarrés ce jour-là. Seulement, il m’avait cité suite au conflit né de la dette». Ce directeur déplore la mort de son enseignant: «Il sera difficile de le remplacer. Il avait suffisamment d’expérience » Pour lui, il faut que la justice fasse son travail.
Pour sa part, Gérard Niyokindi, procureur de la République à Kirundo, dit ne pas trouver de lien entre la mort de Hitimana et la dette: «Cette dernière avait déjà était remboursée» Et puis, poursuit-il, personne parmi les prévenus n’a accusé ce directeur. Il appelle tout détenteur d’informations susceptibles d’aider à élucider ce meurtre à les lui fournir.
Existe-t-il un lien entre cette mort et l’attaque du 17mai? Le procureur Niyokindi se veut clair : «Chaque dossier est unique.»
Mort de Kamarampaka: suicide ou exécution?
Les militants du CNL de la colline Rushubije soutiennent que la mort de Révérien Kamarampaka est la conséquence de son appartenance politique. L’administration parle au contraire d’un probable suicide suite à une mésentente familiale. Différents témoignages de la zone Rushubije convergent sur une exécution.
Selon ces témoignages, Kamarampaka a répondu à un coup de téléphone vers 21h, dimanche 18 août. Il prend la route pour le centre de négoce de Rushubije dans un bistrot d’un certain Halidi Havyarimana.
Dans le bar, il se retrouve dans un groupe de jeunes Imbonerakure. Six jeunes hommes pilotés par Emmanuel Rwasa, le chef de la zone Rushubije. Nos sources évoquent : Alexandre Karenzo, Shirakumutima, un surnommé Gasongo, Pascal Birihanyuma, Nestor Minani et un certain Ndayisenga surnommé Kagongo.
La plupart de ceux qui le verront vivant pour la dernière fois sont ceux qui l’ont vu dans le bar. Il est retrouvé mort le lendemain à la petite rivière de Kabamba.
Un jeune homme passant près de la rivière, dans les heures avancées, avait pu cependant se dissimuler derrière des arbres quand Révérien Kamarampaka était emmené à la rivière pour y être abattu. Il n’oubliera jamais cette scène horrible : «Révérien était tiré par une corde, vers la rivière.» Il affirme avoir distingué, dans la nuit, parmi ceux qui l’emmenaient, le chef de la zone Rushubije.
Des habitants se disent indignés que le cadavre ait été enterré très vite sans expertise médicale.
«Nettoyage du CNL avant l’inauguration de la permanence communale »
Selon des sources concordantes, Révérien Kamarampaka a été la première victime sur une longue liste. Des militants du CNL de Rushubije seraient en effet à «nettoyer» avant l’ouverture de la permanence du CNL en commune Ntega. Elle est prévue le dimanche 1er septembre.
Révérien était en outre, depuis peu, accusé d’un autre «tort» : reconnu comme membre du Cndd-Fdd depuis belle lurette, sa participation, début juin dernier, dans l’inauguration de la permanence provinciale du CNL à Kirundo avait fâché plus d’un dans le camp de ce parti de l’aigle.
«C’était comme une épée dans les cœurs des Bagumyabanga de Rushubije». La colère a été à son comble. Certains Imbonerakure auraient juré entre les dents et menacé ouvertement : «L’ouverture de la permanence communale aura lieu sans Inyankamugayo à Rushubije». Kamarampaka subira personnellement des insultes comme quoi c’est un traître.
Cependant, très tôt, comme pour lever toute équivoque, il a tourné l’épée dans la plaie: «Il a participé dans une fête organisée chez Célestin Habiyambere, le président du CNL à Rushubije.» Selon les témoignages, certains des militants du parti de l’aigle à Rushubije auraient interprété le geste comme une forme de moquerie.
Aujourd’hui, à Rushubije, la peur est totale. Suite aux rumeurs quant à l’existence d’une fameuse liste de «nettoyage» des militants du CNL avant dimanche 1er septembre, bon nombre d’Inyankamugayo ont pris la fuite. Entre autres Joseph Nzimpora, Banani, Nzinahora et Niyongere.
Pour Emmanuel Rwasa, chef de la zone Rushubije, ces informations sont des rumeurs. «Pourquoi allait-il être poursuivi par des Imbonerakure? Il ne représentait aucun danger, il n’y avait aucun différend entre lui et les militants du Cndd-Fdd». Et d’ajouter qu’il ignore l’appartenance politique de Kamarampaka: «Je le connais uniquement comme un habitant de Rushubije»
Cette autorité estime que Kamarampaka se serait suicidé. «Il ne s’entendait plus avec sa femme depuis un moment. Il y avait même séparation de corps ces derniers jours».
Un «prétexte» rejeté par Vénantie Ciza, la femme du défunt. «Jamais au grand jamais, il ment. C’est un prétexte pour se disculper, nous n’avions jamais eu de querelles avec mon mari».
Elle s’étonne qu’on parle de mésentente familiale qui serait allé jusqu’à conduire l’un des conjoints au suicide sans que le différend n’ait fait de bruit : «Emmanuel est lui-même un administratif natif de notre colline. Lui avais-je fait part d’un probable conflit dans notre famille ?»
Cette aveuvée de Rushubije demande que les coupables soient plutôt traduits devant la justice.
S’agissant de ceux qui auraient pris la fuite suite cette histoire d’une liste noire, Emmanuel Rwasa dément : «C’est une très fausse information qui cache des intentions politiques». Toutefois, cet administratif affirme ne pas avoir pas fait d’enquête sur de probables fuites. «Mais dans tous les cas, j’ai pas encore reçu de rapport»