Méfiance, intimidations, affrontements, un climat électrique a marqué la période électorale. Aujourd’hui, les membres du parti vainqueur jouent l’apaisement mais, pour l’opposition, la situation n’est pas tellement rose. Iwacu s’est rendu à Ngozi et Kirundo à la rencontre des adversaires d’hier.
Chef-lieu de la province Kirundo. Le climat est frais. A l’endroit appelé « Mukabande », des motards, des vendeurs d’arachides, des avocats… grouillent. Il est 10h.
C’est à ce petit carrefour que nous avons rendez-vous avec notre source, un responsable du parti Cnl. Prudent, il nous a demandé tous les détails de notre véhicule : plaque, couleur, etc.
Nous patientons. On se dit qu’il est là quelque part et nous observe. Effectivement, après quelques minutes, on le voit, de loin, en train de nous guetter. Il voulait se rassurer que ce n’est pas un piège.
Accompagné par une jeune femme, il s’approche. Le temps de nous saluer et de se présenter. Nous lui demandons où nous pouvons nous s’installer pour échanger. « En plein air ? » Là, il semble hésitant.
Après quelques minutes, il nous propose d’aller à la Permanence provinciale du parti Congrès National pour la Liberté (Cnl).
On va alors à Murama, commune et province Kirundo où se trouve leur permanence. En voiture, le trajet nous prend quelques minutes. Là, un autre responsable du parti nous rejoint. Enfin, on s’installe.
On apprend que comparativement à la période de campagne électorale, et les trois jours qui ont suivi le scrutin du 20 mai, il y a une avancée significative en termes de cohabitation pacifique : « Aujourd’hui, c’est un peu calme. Les cas d’intolérance politique ne sont pas nombreux ni fréquents. Pas d’affrontements physiques. Les arrestations de nos membres ont diminué contrairement à la période pré-électorale ou le jour du scrutin,» racontent nos sources.
Nos interlocuteurs rappellent que pour la seule journée du 20 mai, il y a eu 120 arrestations dans toute la province dont 72 cas à Ntega. Des mandataires politiques, des personnes se trouvant sur les listes électorales ou des représentants du parti à certains niveaux, etc.
Pourquoi toutes ces arrestations à Ntega ? Toujours sous anonymat, notre source estime que c’était dans le but de bloquer la route à ce parti : « Certains jeunes affiliés au parti au pouvoir voulaient empêcher les Cnl de battre campagne. » Aujourd’hui, seulement une dizaine reste en prison, se réjouit-il. Il ne doute pas que ces arrestations visaient à intimider les responsables et les militants du parti d’Agathon Rwasa : « La preuve en est qu’après le scrutin, beaucoup ont été libérés sans aucun procès.»
I.K., un autre cadre du parti dans cette province, indique que la tension est montée le jour du scrutin, des intimidations et des arrestations se sont multipliées. Les auteurs étant soit des administratifs, des jeunes Imbonerakure et certains policiers.
D’après lui, pour la seule commune de Busoni, une quarantaine des mandataires du Cnl a fui vers la permanence provinciale du parti. « Mais, par après, certains sont retournés chez eux, d’autres plus terrifiés, vivent encore ici à Kirundo.»
Interrogé sur les raisons de cette accalmie, il parle d’un ordre, un message qui aurait été donné aux membres du parti au pouvoir après l’annonce des résultats définitifs par la Cour Constitutionnelle.
« Des préparatifs, des rassemblements étaient déjà en cours pour célébrer la victoire. Des intimidations verbales avec des slogans de campagne. Mais d’un coup, tout s’est arrêté. Sûrement qu’il y a eu un message d’en haut.» Il précise aussi qu’avec la mort inopinée du président Nkurunziza, on a décidé une période de deuil national. Il lie aussi cette situation à la période de renouvellement des institutions: « Pour le moment, ils s’inquiètent pour les postes à occuper, leur avenir politique. Tous ne vont pas être reconduits dans les mêmes postes.»
‘’Dubaï’’ du Burundi, calme aussi
Dans la ville de Ngozi surnommée ‘’Dubaï’’ du Burundi pour son commerce florissant, des responsables des différents partis politiques font état d’une bonne cohabitation politique. « Aujourd’hui, le voisinage entre les partis politiques est un peu bon. Pas d’affrontements physiques enregistrés », confie Jonas Nahimana, un des représentants du Cnl. Ce qui n’était pas le cas lors de la campagne électorale ou même avant. D’après lui, des frictions étaient fréquentes dans certaines communes comme Kiremba. Il explique cette accalmie par le fait que certains membres du parti au pouvoir, plus zélés dans les actes d’intimidations, d’arrestations ne se sont pas retrouvés sur les listes électorales. « Aujourd’hui, ils ne sont pas sûr de leur avenir politique.» Lui aussi, il ne doute pas qu’il y a eu aussi un rappel à l’ordre à l’endroit de certains jeunes affiliés au parti au pouvoir.
Une observation partagée par les hautes ‘’sphères’’ du parti d’Agathon Rwasa. Sans trop de commentaires, Térence Manirambona, porte-parole du parti Cnl, salue, lui aussi, une nette amélioration de la situation par rapport à la période pré-électorale.
Idem pour le parti du Prince Louis Rwagasore. Michel Ntigacika, représentant provincial de l’Uprona, à Ngozi, affirme que la cohabitation est actuellement bonne : « Pas de problèmes entre nos militants et les autres membres d’autres formations politiques. Pas de plaintes d’intimidations ou d’autres menaces.»
Même constat chez le Cndd-Fdd. « Après les élections, la vie continue. Ce qui est le cas aujourd’hui. Les gens vaquent normalement et tranquillement à leurs activités quotidiennes. Le climat politique est calme », confie Jules Aristide Ndatimana, représentant provincial de ce parti, à Ngozi. Il précise que même à Kiremba, où il y avait eu des conflits pré-électoraux, la situation se stabilise petit à petit.
Encore du pain sur la planche
« Tout n’est pas rose », nuance Jonas Nahimana, un des responsables du parti Cnl à Ngozi. En effet, il évoque des cas de certains représentants collinaires ou communaux de ce parti vivant aujourd’hui en clandestinité. Dans la commune Kiremba deux membres du Cnl sont dans cette situation. Il dénonce aussi des amendes arbitraires infligées à leurs militants. « On leur dit qu’ils ont mal voté, qu’ils doivent se racheter pour circuler librement.» D’autres membres de son parti sont encore emprisonnés. Idem à Kirundo. Des intimidations, des menaces de mort existent encore.
Sous couvert d’anonymat, un responsable du parti Cnl indique qu’à Bugabira, le ménage de Jean Baptiste Masabo, un représentant collinaire de ce parti a été la cible de jets de cailloux pendant la nuit. « Il y a une semaine. Et heureusement, il n’y a pas eu de blessés.» Il dénonce des intimidations ciblées. « On vise surtout des responsables de notre parti au niveau collinaire. » Des provocations verbales existent aussi dans certains coins de Kirundo ou Ngozi, dénonce, pour sa part, M.Manirambona. Il déplore la persistance de l’intolérance politique dans certains coins du pays.
Dans ces deux provinces, les membres du Cnl font l’objet de violences verbales : « Certains membres du parti au pouvoir s’en prennent à nos militants. Ils leur disent qu’ils ont été vaincus, que d’ici peu le parti Cnl sera radié de la liste des partis politiques agréés. »
Pour une cohabitation pacifique et durable
« Que la police soit neutre, travaille dans l’intérêt général de la population sans distinction. Que les Imbonerakure soient considérés au même pied d’égalité que les autres jeunes des autres partis politiques », propose I.K. de Kirundo. Il suggère que la justice soit indépendante, ne travaille pas sous les injonctions des Imbonerakure.
Il demande aussi la libération et l’indemnisation des personnes arrêtées:« Elles ont été arbitrairement arrêtées. »
De son côté, Jonas Nahimana demande aux nouveaux dirigeants de s’abstenir de confondre les affaires du pays à celles du parti dont ils sont issus. « Tous les citoyens burundais ont les mêmes droits. Il faut que cela soit vraiment une réalité et non un slogan politique. » Aux forces de l’ordre, il demande de jouer pleinement leur rôle, de veiller à la sécurité de tous les citoyens burundais et du pays, de garder leur neutralité par rapport au parti au pouvoir.
Pour sa part Térence Manirambona recommande à l’administration de donner des messages rassembleurs de pacification et de privilégier l’intérêt général : « Après les élections, il faut rassembler le peuple autour des projets de développement.» Le président de la République est invité à libérer tous les prisonniers politiques, dont les militants du Cnl.
S’abstenir de tout acte de violence
« Dans cette période post-électorale, la situation s’est nettement améliorée. A notre connaissance, aucun incident n’est à signaler. Pas des gens en cavale ou qui sont persécutés à cause de leurs convictions politiques », affirme Daniel Macumi, conseiller principal du gouverneur de Kirundo. Il reconnaît que des problèmes interpersonnels existent dans la société. « Ce qui est dommage, certaines gens ont tendance à tout politiser. » Il cite l’exemple des conflits fonciers et autres mésententes dans le voisinage. Il revient aux institutions de trouver des solutions, conseille M. Macumi.
Pendant la période pré-électorale, M. Macumi reconnaît que des échauffourées entre les militants des deux partis principaux, le Cndd-Fdd et le Cnl étaient fréquentes. D’après lui, chaque fois l’administration est intervenue pour débloquer la situation. Alors que les opposants parlent des intimidations, des arrestations lors du scrutin du 20 mai, le conseiller du gouverneur de Kirundo lui estime que « les élections se sont déroulées dans la sérénité dans cette circonscription administrative.»
Pour asseoir une cohabitation pacifique durable, il invite les partisans des différents partis politiques à s’abstenir de tout acte de violence. Il les appelle plutôt à l’unité pour bâtir une société juste et prospère : « L’heure n’est pas aux chicaneries sans raison. Il est temps de s’atteler aux travaux de développement pour combattre la pauvreté et le chômage qui sont nos ennemis communs.»
Même son de cloche chez Alain Trubert Mutabazi désormais ministre de la Défense, ancien gouverneur de Kirundo. Lundi 13 juillet, lors des cérémonies de remise et reprise avec Albert Hatungimana, nouveau gouverneur, M. Mutabazi a fait éloge d’une province stable dépourvue de toute intolérance politique. Et de glisser un message à son remplaçant : «Sois un bon serviteur. Vous allez diriger des gens de différentes convictions politiques et religieuses. Des gens issus des groupes ethniques différents. C’est la gestion de cette diversité qui fera de vous un bon dirigeant. »
« Evitons de tout politiser »
A Ngozi, Jules, représentant provincial du parti Cndd-Fdd, rejette en bloc tous ces cas d’intimidation, de menaces de mort : « Ce sont là des gens qui se cachent derrière la politique pour justifier leurs fautes. Evitons de tout politiser. » Pour lui, c’est aussi une façon pour ces opposants de justifier leur échec du 20 mai. Ce cadre provincial du parti de l’Aigle insiste sur le fait que la vie continue après les élections : « Que les gens se mettent au travail et continuent à s’entraider mutuellement sans distinction.»
Pour sa part, dans la foulée de son investiture, Iwacu a rencontré mardi 14 juillet dans son bureau Epipode Banyikwa, le nouveau gouverneur de Ngozi, n’a pas voulu commenter la situation qui prévaut dans sa province : «Je n’ai pas encore eu le temps de m’enquérir de la situation auprès des différents services pour pouvoir m’exprimer. » Il promet de s’exprimer ultérieurement.
Jérémie Misago & Rénovat Ndabashinze