Des cas de passage à tabac sont signalés dans certaines localités de la province Kirundo. Une disparition aussi. Après les élections, une accalmie régnait. Selon les militants du CNL, l’intolérance politique a repris de plus belle, ces derniers jours. Ce que rejette l’administration provinciale.
« Pendant la nuit du 14 février, Evariste Bimenyimana a été attaqué par Gérard Ngarukiyinka, le responsable des Imbonerakure dans la commune Busoni. Avec d’autres Imbonerakure, ils ont saccagé sa maison. Les occupants ont été tabassés », racontent les habitants de la colline Gisenyi en commune Busoni.
D’après eux, ces Imbonerakure leur disaient qu’ils n’auront jamais où porter plainte. « Et que même les ‘’tortionnaires’’ ne seront pas inquiétés parce qu’ils sont en train de chasser les récalcitrants (Ibipinga). Ils lui ont demandé de quitter le CNL depuis longtemps. Selon eux, le CNL ne vaut plus rien. Comme il a refusé, tous ses biens vont être détruits et ses parentés persécutées. » Une somme de 250.000 BIF lui a été dérobée.
Selon les mêmes sources, ils ont été sérieusement battus. Par après, ils ont été évacués vers un Centre de santé. D’après les témoignages, l’Officier de la police judiciaire (OPJ) a convoqué Gérard Ngarukiyinka et il l’a obligé de payer 35.000 BIF pour les soins de santé des victimes. « Gérard a payé », confie un habitant de la localité. « Nous avons informé l’administrateur communal et le gouverneur. Ils ont promis de suivre le dossier. Nous attendons. Toutefois, les menaces nous font vraiment peur », raconte un proche des victimes.
« C’est impossible de vivre sans parti politique. On nous chante que le Burundi est en démocratie mais on s’étonne combien l’intolérance politique persiste. » Iwacu a essayé de joindre Gérard Ngarukiyinka, sans succès.
Porté disparu, sa famille dans la tourmente
Un autre cas est celui d’Oscar Nahimana. Ce militant du CNL était vice-président de la Commission électorale communale indépendante (CECI) en commune Kirundo. Il est porté-disparu depuis le 28 septembre 2020. Il a été enlevé sur la colline Runyonza de la zone Cewe en commune Busoni.
Selon les proches d’Oscar Nahimana, ils n’ont aucune nouvelle depuis son kidnapping. Aujourd’hui, ils ne savent plus à quel saint se vouer : « Nous avons contacté plusieurs autorités, de la base jusqu’au gouverneur de la province. Mais ils n’ont pas voulu nous aider. Nous nous sommes résignés à abandonner le dossier. On risque de subir le même sort qu’Oscar. » La famille s’indigne de la manière dont l’enquête a été menée : « Par exemple, il y a un homme du nom de Toyi qui était ce jour-là avec Oscar. C’est lui qui a alerté que des hommes à bord de voitures viennent de l’enlever. Il n’a pas été interrogé. Il a déclaré avoir pu s’échapper. Nous sommes sûrs qu’il en sait quelque chose. Les autorités nous ont dit que son enlèvement a été orchestré à partir du Rwanda. » Ce qui est insensé, selon cette famille.
Elle ne doute pas que sa disparition est liée à son travail à la CECI Kirundo : « Il recevait tout le temps des menaces. On l’obligeait à signer des choses et lui refusait car il ne pouvait pas cautionner des mensonges. Nous pensons que c’est cela le mobile. »
De leur côté, certains habitants de la colline Runyonza affirment que c’est le véhicule du président provincial de la Ligue des Imbonerakure qui serait venu kidnapper Oscar Nahimana.
Un autre fait nouveau. Un Imbonerakure du nom de Jean-Marie Ndikumagenge vient de vendre une propriété appartenant à Oscar Nahimana. « Il a affirmé que c’est la famille qui l’a mandaté pour vendre cette propriété, alors que c’est faux », indique un membre de la famille d’Oscar Nahimana. Ce dernier avait acheté ce terrain, sis sur la colline Kumana, zone Nyagisozi en commune Busoni, en avril 2018 pour une somme de 140.000 BIF. « Jean-Marie Ndikumagenge travaille à l’Ecole fondamentale Kumana I où enseignait également Oscar». D’après l’acte de vente qu’Iwacu s’est procuré, Jean-Marie figure même sur la liste des témoins de l’achat.
Les proches du porté disparu disent avoir peur de dénoncer ce vol : « Cela revient au même, les acteurs de cette tragédie n’ont pas changé. L’administration a indiqué qu’elle va suivre le dossier, mais rien n’est encore fait jusqu’à maintenant. A ce que nous voyons, Jean-Marie Ndikumagenge risque de porter le chapeau de la disparition d’Oscar alors que les vrais coupables sont connus. » La famille d’Oscar Nahimana demande à ce que la justice fasse son travail.
Contacté, Jean-Marie Ndikumagenge balaie du revers de la main ces accusations : « Qu’ils viennent constater eux-mêmes. Je n’ai pas vendu cette propriété. Je n’ai fait que garder la parcelle pour Oscar.»
Fin de l’accalmie ?
Les militants du CNL répondent par l’affirmative. « On était dans une accalmie, mais les temps commencent à changer », confient les militants du CNL. D’après eux, l’intolérance politique commence à se manifester dans certaines localités. « Les Imbonerakure des communes Busoni, Vumbi, Gitobe et Bugabira commencent à se comporter comme lors des périodes d’avant et pendant la campagne électorale », indique un militant du CNL. « Ils disent qu’ils ont gagné les élections, ce qui est faux. Que l’on nous laisse tranquille ! », insiste un autre. Ils demandent aux autorités administratives et policières de sévir contre les fauteurs de troubles.
« La cohabitation politique est bonne »
« Quand un habitant de Kirundo a des problèmes, nous ne considérons pas son appartenance politique. Nous sommes ici pour l’intérêt de toute la population sans exclusion », indique Albert Hatungimana, gouverneur de la province Kirundo. Il assure qu’il a reçu le rapport concernant le passage à tabac d’Evariste Bimenyimana : « Cet Evariste habite à Gitobe. Il a passé la nuit à Gisenyi sans se faire enregistrer chez les autorités collinaires. Et pour assurer leur sécurité, la population surveille même les nouveaux visages dans la localité. »
M.Hatungimana affirme qu’Evariste n’a pas été tabassé : « Je pense que cela n’a pas eu lieu. Je n’ai pas reçu de rapport sur cela. Mais si c’est vrai, il faut qu’il porte plainte. Moi, je m’en remets à la justice. Seulement, on lui a demandé les pièces d’identité et il s’est avéré qu’il ne s’était pas fait enregistrer. »
Le gouverneur estime que quand les gens tombent en infraction, ils ont tendance à se défausser sur les autres. « Nous voulons que les gens respectent les droits de l’Homme. Et pas de justice populaire. Quand tu fais cela, c’est une faute lourde chez moi. S’il a été battu, nous lui recommandons de porter plainte. Et les auteurs seront punis», a-t-il insisté.
Concernant le cas d’Oscar Nahimana, Albert Hatungimana est clair : « Quant à cette personne qui serait en train de chercher à vendre la propriété de cette personne portée disparue ou toute autre personne qui chercherait à vendre les biens d’autrui, qu’elle sache que c’est contre la loi. » Il faut que la famille porte plainte auprès du chef collinaire. Si cela ne marche pas à ce niveau, poursuit-il, il faut aller chez le chef de zone, puis chez l’administrateur.
Le gouverneur Hatungimana promet que si ce vol ne s’arrête pas, il va effectuer une descente sur le terrain pour s’enquérir de la situation après ce préalable : « Il faut d’abord que l’administration à la base se saisisse de ce cas et vérifie si ces informations sont correctes afin de prendre une décision appropriée. »
Ainsi, il demande aux membres de différents partis politiques de se respecter mutuellement : « Que personne ne soit victime de son appartenance politique. Ici à Kirundo, la cohabitation politique est vraiment bonne. Que personne ne se sente menacée. »
Fabrice Manirakiza &Rénovat Ndabashinze