Des cultures saccagées, du bétail abattu en plus des agressions physiques et des emprisonnements, l’acharnement contre les Inyankamugayo (militants du CNL) à Kirundo semble généralisé. Des reporters d’Iwacu ont mené une enquête dans les communes Kirundo, Busoni et Gitobe.
Les deux dernières victimes peinent à se remettre des suites des agressions. Cinq jours après, Emmanuel Coyitungiye, un militant du CNL de la colline Kiravumba en commune Busoni, ne parvient toujours pas à bouger. «Il reste cloîtré chez lui», confie un proche qui dénonce une «intolérance politique folle».
En déplacement samedi 14 décembre au centre de la colline Bombanzira pour une réunion d’un groupe de tontine, Emmanuel Coyitungiye est surpris par une invitation. Anatole Rugemintwaza, le chef de la zone Mukerwa, l’appelle pour un «entretien». Inquiétant pour cet Inyankamugayo qui, rapportent les témoignages, n’avait jamais été en odeur de sainteté avec cet administratif.
Aussitôt arrivé sur les lieux, Emmanuel apprend vite, mais sans être convaincu, l’objet de l’invitation : s’asseoir à même le sol. L’autre résiste : «Qu’ai-je fait ?».
Face à la résistance, le chef de zone l’accuse de «traiter de chiens» tous les militants du Cndd-Fdd. Emmanuel Coyitungiye comprend que l’accusation est grave. Aucun autre réflexe, il prend ses jambes à son coup.
Des Imbonerakure qui étaient jusque-là avec le chef de zone le poursuivent et l’attrapent sans peine. Et le calvaire commence. «Il a été tabassé sans ménagement», témoigne un jeune homme qui dit avoir assisté à la scène.
«On lui disait que c’est strictement interdit aux CNL de passer par cet endroit». Selon les témoignages, Emmanuel Coyitungiye est abandonné, dégoulinant de sang, dans une petite brousse près de la route, non loin du centre Bombanzira. «C’était vers 14h30», se rappelle le témoin oculaire, «on le croyait mort».
Il va être retrouvé lundi 16 décembre en commune Vumbi (province Kirundo) sur la colline Canika. «Il était parti s’y cacher de peur que ses bourreaux reviennent l’achever», explique son frère.
Des témoignages font état d’une liste d’Inyankamugayo qui devraient être malmenés lors de leurs déplacements. Elle aurait été dressée par le chef de zone Anatole Rugemintwaza et Emmanuel Coyitungiye en ferait partie…
Interrogé sur ces allégations, Anatole Rugemintwaza dit ne pas être au courant d’une quelconque violence physique contre Emmanuel Coyitungiye : «Je me rappelle de lui samedi, il assistait à une dance. Peut-être que quelqu’un l’aurait piétiné, car ils étaient nombreux sur place. Ou alors, de retour chez lui, peut-être qu’il aurait rencontré un malfaiteur. Dans tous les cas, je ne saurais donner des éclaircissements sur ce cas».
Toutefois, cet administratif estime que la victime aurait ‘‘exagéré les choses’’. «S’il a été agressé physiquement, il ne se serait pas confié aux médias. Il aurait plutôt fallu qu’il se rende à l’hôpital pour que la violence soit attestée». Pour lui, Emmanuel Coyitungiye aurait donc des intérêts inavoués dans cette affaire.
Un autre Inyankamugayo passé à tabac à Gitobe
Après Busoni, la commune voisine de Gitobe. Selon des sources concordantes à la colline Tonga, Célestin Simbarakiye, un des représentants du CNL à Gitobe, n’a pas eu le temps de se rendre à la prière dominicale.
Surpris vers 7h30 dimanche 15 décembre par une foule d’Imbonerakure pilotés par leur représentant communal, un certain Zappy Georges Ntahombaye, Célestin Simbarakiye est d’abord dépouillé de son téléphone avant d’être passé à tabac. Sans en connaître la cause, il est emmené manu militari au cachot de la commune.
«Ces Imbonerakure l’accusaient d’avoir lancé des pierres dans un groupe d’Imbonerakure qui faisaient du sport à l’aube de samedi, la veille», indiquent certains témoignages à Tonga. Loin de là, rejettent les militants locaux du CNL, ils avancent des mobiles politiques. «Son dynamisme et son militantisme était mal vus par les membres zélés du Cndd-Fdd».
Une persécution accrue contre les anciens du Cndd-Fdd
En commune et province Kirundo, les militants du CNL, anciens membres du parti au pouvoir, seraient les plus visés par des agressions. «Quitter le Cndd-Fdd est considéré comme un crime de lèse-majesté», s’accordent différents témoignages.
Nzoyisaba, un ex-Imbonerakure de la colline Kanyinya, qui s’est converti au CNL en août dernier vit la peur au ventre depuis vendredi 6 décembre. «C’est un traître», raconte un jeune homme de cette colline.
Ce jour-là, relate-t-il, Nzoyisaba rentrait, vers 21 h, des bistrots quand il a été arrêté par Ildephonse Niboye dit «Nusu», le chef de cette colline, accompagné par quelques Imbonerakure.
Selon notre source, Nzoyisaba a été conduit au domicile de Nusu pour «être corrigé». Là, il aurait été sévèrement battu avant d’être emmené dans une grande plantation d’eucalyptus non loin de ce domicile. Il va recevoir encore plusieurs autres coups avant d’y être laissé pour mort.
Par la suite, poursuit notre source, il aurait été menacé de mort si jamais il dénonçait ses bourreaux. De quoi avoir peur et se taire pendant une bonne période. «Il n’a même pas pu chercher les soins médicaux».
Le représentant du CNL à la colline Kanyinya dit l’avoir appris une semaine après. «Les Imbonerakure avaient une dent contre lui depuis son adhésion au CNL».
A la colline Kanyinya, hormis le cas Nzoyisaba, deux femmes anciennes Bakenyererarugamba (= dénomination des femmes membres du Cndd-Fdd) de la sous-colline Nyange, vivraient traumatisées depuis leur conversion au CNL. Virginie et Cogori auraient été menacées à maintes reprises par un certain Havyarimana, le chef de cette sous-colline. «Elles sont comme en clandestinité. Elles ne sortent plus de chez elles», témoigne un habitant de Nyange.
Ce n’est pas tout. Dans cette même commune de Kirundo, à la colline Mwenya, Jérôme Misago a été blessé, à coup de machette dimanche 15 décembre, par des inconnus. «Il avait été transpercé au niveau des épaules avec une épée», raconte un jeune homme qui dit l’avoir vu après l’acte. «Ses agresseurs l’accusaient d’avoir quitté le Cndd-Fdd sans en avoir avisé les organes compétents».
Les deux accusés rejettent catégoriquement les allégations. Ildephonse Niboye reconnait avoir «infligé une petite punition» à Nzoyisaba mais nie tout motif politique. Il tente ainsi d’expliquer la ‘‘petite punition’’: «Lui et un certain Nahayo avaient malmené Jean Bosco Ndabishemeze, un agent du comité mixte de sécurité. Quand on me l’a emmené, j’ai décidé qu’on lui donne quelques coups de bâtons pour correction. On ne lui a fait que quatre petits coups, pas même une gifle de plus… Car autrement, on allait le conduire en prison, ce qui n’est pas bon pour des voisins.»
Pour sa part, le chef de la sous-colline Nyange parle d’une mésentente personnelle avec Virginie, une des femmes plaignantes. Selon lui, Virginie l’aurait accusé d’adultère auprès de son épouse et c’est la source de leur mésentente. «Il n’y a rien de politique là-dedans. C’est vrai qu’elles ont quitté le Cndd-Fdd pour le CNL, mais je n’ai vraiment rien contre elles de ce côté», s’explique Havyarimana.
Les biens des Inyankamugayo ne sont pas épargnés
Bernard Habimana, un habitant de la colline Sigu en commune Busoni, serait en passe de s’exiler. A l’origine, des intimidations multiformes.
Tout a commencé mardi 3 décembre. «J’ai connu une mauvaise matinée ce jour-là», se rappelle-t-il. Ce mardi, très tôt le matin, Habimana est réveillé par une mauvaise nouvelle. Le gardien de sa seule vache vient lui annoncer que cette dernière présente des entailles au niveau des jambes et qu’elle ne peut pas se relever. «Nous avons ensuite constaté qu’elle avait été blessée à la machette». La vache sera vite abattue puis vendue à crédit, à vil prix.
Selon les témoignages à Busoni, alors que Bernard Habimana cherchait encore sans succès les mobiles et les auteurs de ce crime, son gardien aurait reçu un message inquiétant. «Que ton boss prenne ce qui s’est passé comme un dernier avertissement», aurait menacé Onesphore Miburo dit «Muzehe», le vice-président du Cndd-Fdd dans la commune Busoni.
Avec ce message, Bernard Habimana a pu soupçonner que les auteurs du crime seraient certains des militants du Cndd-Fdd. «Au-delà de cette menace, je ne voyais vraiment pas d’autre ennemi qui puisse me faire une telle chose», lâche-t-il désespéré.
Les soupçons iront crescendo dans les jours suivants. Dimanche 10 décembre pendant la nuit, des inconnus toquent sur la porte de Jean Pierre Ntahondi, son fils. Il refuse d’ouvrir. Le lendemain, la scène est effrayante. La bananeraie de Jean Pierre Ntahondi a été saccagée tandis que, dans des étables de plusieurs autres militants du CNL de cette colline de Sigu, des porcs ont été blessés à la machette. Entre autres victimes, Benjamin Murondererwa, Berchmans Bicamumpaka, Félicien Nkezayabo, Daniel Minani et Théoneste Ndaruseheye.
Un habitant du centre Nyagisozi en commune Busoni, dit ne pas comprendre une «certaine sorte de folie» qui s’empare des gens. A ce propos, les explications qu’Iwacu a pu recueillir ne se réduisent qu’au cas de Jean de Pierre Ntahondi : «C’est un grand commerçant au centre Sigu. Certains des Imbonerakure ne digéreraient pas qu’il ait un commerce si florissant alors qu’il n’est pas des leurs».
Réagissant à ces accusations, Onesphore Miburo a parlé d’un montage monté de toutes pièces, s’obstinant à connaître les sources de ces informations. «Soyez vigilants ces derniers jours, il y a beaucoup de rumeurs»
Edouard Nkurunziza et Fabrice Manirakiza