Les Inyankamugayo des différentes communes de la province Kirundo traversent un véritable chemin de croix. Des menaces verbales, des passages à tabac, la destruction des cultures, etc. Iwacu s’est rendu en communes Kirundo, Bugabira et Bwambarangwe.
Par Edouard Nkurunziza et Fabrice Manirakiza
Surpris par une foule de jeunes hommes, de retour du centre Rukaya mardi 14 janvier, Éric Ndimurukundo, un Inyankamugayo de la colline Kibazi en commune Bwambarangwe, n’aura pas le temps de comprendre ce qui lui arrive. «A peine ai-je tenté de demander pourquoi on m’arrêtait, je me suis retrouvé par terre». C’était vers 19h30 au terrain de football de Kibazi, la nuit éclairée par la lune.
Vêtus en noir, tous munis de machettes, gourdins… Ils étaient difficilement reconnaissables. A travers la nuit, Eric Ndimurukundo parviendra néanmoins à distinguer Abdoul Bakire (président du Cndd-Fdd à Kibazi), Masumbuko (le président collinaire des Imbonerakure), Richard Harerimana (chef de colline adjoint), un certain Jean Rwasa, le chef de zone Kimeza et plusieurs autres Imbonerakure de Kibazi et d’ailleurs.
Très vite ligotée, la victime est emmenée à la cour de l’église Morave de cette colline. C’est là qu’il rencontrera Siméon Ntirandekura, Josué Inginiya et Mathias Misago, aussi des militants du CNL de Kibazi, tirés un à un de leurs maisons.
Les bourreaux, au moins une quarantaine selon les témoignages, conduiront leurs quatre victimes au cimetière de Kibazi. Ces dernières apprendront alors le motif de leur arrestation : la participation aux réunions du CNL. «Ils nous disaient que l’on nous trompe à travers ces réunions », confie l’une d’elles.
Ces Inyankamugayo seront malmenés, tabassés à mort. A la fin du passage à tabac, ils seront informés qu’ils sont dans ce cimetière pour y être enterrés vivants. «Ils nous ont menacés, machettes à la gorge». Paniqués, certains ont supplié, demandé pardon pour n’importe quoi. « Moi j’ai dit : ‘’pourquoi vous voulez nous tuer comme ça ? Après tout, nous n’avons rien fait’’». «Nous les avons suppliés de nous laisser et de nous demander en revanche tout ce qu’ils veulent», ajoute une autre.
Une «amende pour désordre»
Pour être libérés, ils devaient « s’acquitter » d’un montant de 25000 BIF. Les quatre n’ont pas discuté outre mesure. Dans le premier temps, les bourreaux se sont mis à fouiller leurs poches. Ils ne trouveront rien. Néanmoins, vaille que vaille, ces Inyankamugayo devaient verser cette somme pour sauver leur peau. «Ils nous ont exigé de demander à nos femmes de nous apporter cet argent».
Les femmes de Siméon Ntirandekura, Josué Inginiya et Mathias Misago avaient déjà pris le large après l’enlèvement de leurs maris. Les quatre membres du CNL iront chercher ces frais eux-mêmes, bien gardés par certains Imbonerakure.
Contre toute attente, Josué Inginiya recevra une quittance contre ce que le chef de la zone aurait appelé une «amende pour désordre». Compte tenu de son activité commerciale, il lui aurait été exigé, soulignent nos sources, de payer plus que les autres. «Il a reçu la quittance contre une amende de 10 mille BIF». Les 3 autres ont demandé en vain les quittances. «Quand nous avons demandé ces quittances, ils ont répondu par des coups de gourdin, nous exigeant plutôt d’aller dormir au plus vite».
Selon leurs témoignages, Siméon Ntirandekura, Josué Inginiya, Mathias Misago et Eric Ndimurukundo ont ensuite porté plainte au niveau du commissariat de police en commune Bwambarangwe. Des plaintes qui n’ont pas eu de suite. «Quand nous l’avons dit au chef de colline, il nous a clairement dit qu’il n’y peut rien. Il dit que lui-même craint pour sa vie».
Pourquoi ont-ils étaient épinglés ? Les victimes pensent à leur défection du parti au pouvoir. «Auparavant, nous étions tous les 4 du Cndd-Fdd. Nous avons intégré récemment le CNL. Quand nous subissions les coups, nous avons pensé que c’est justement à cause de ce changement de parti. Il n’y a visiblement pas d’autre raison», analysent les quatre locataires de Kibazi.
Le chef de colline Kibazi dit ne pas disposer d’informations suffisantes à ce sujet. « Ceux qui disent être des victimes ne m’en ont pas informé ». De son côté, le chef de la zone Kimeza, cité dans la torture, ne nie pas les faits. Il ajoute néanmoins que ces derniers ne se sont pas passés comme rapportés. Cet administratif indique que la partie lésée a porté plainte devant l’officier de police judiciaire. « Le fautif, qui était parmi ces plaignants, a donné une amende. Le dossier est aujourd’hui clos ».
Panique à Mukenke
La peur est totale chez les militants du CNL de la zone Mukenke depuis la réunion du Cndd-Fdd en commune Bwambarangwe, samedi 18 janvier. D’après les témoignages, cette réunion aurait vu la participation de différents représentants du parti de l’aigle, de celui de la sous-colline à celui de la commune.
A l’ordre du jour, arrêter l’ampleur de propagation du CNL en cette commune natale du secrétaire provincial du Cndd-fdd. Les participants auraient convenu d’utiliser tous les moyens à leur disponibilité pour empêcher ce qu’ils appelleraient propagande. «Ils se sont même entendus sur la violence physique contre ceux qui prennent les devants à enseigner l’idéologie du CNL», confient des sources qui disent disposer les informations de la part de certains des participants. Les plus ciblés seraient ceux qui se hasarderaient à rentrer au-delà de 18h.
Selon ces sources, les clauses de la réunion n’ont pas tardé à s’appliquer. Au soir du même jour, Dieudonné Miburo, un des Inyankamugayo de la colline Budahunga, se fera tabassé alors qu’il soutenait, avec des amis dans un bistrot, que le CNL remportera dans la commune Bwambarangwe. «Il disait que le CNL va gagner les élections dans notre commune. Et il demandait que la cohabitation politique reste pacifique après cette victoire».
Appelé par un certain Edouard Miburo (représentant du Cndd-Fdd à la sous-colline Budahunga), le chef de la zone Mukenke, Grégoire Ngaboyumwami, aurait encore fait tabasser cet Inyankamugayo avant d’aller le jeter en prison. Il est encore détenu au cachot de la commune Bwambarangwe.
Interrogé, Grégoire Ngaboyumwami affirme avoir infligé une correction à Dieudonné Miburo pour mépris. «Je ne l’ai pas fait tabasser. C’est moi-même qui l’ai frappé. Je lui ai donné une gifle. Il nous a témoigné un mépris, et grâce à nos prérogatives, je lui ai infligé une gifle avant de le remettre à la justice pour qu’il soit corrigé ».
Buhoro, des tracts qui inquiètent
De l’autre côté en zone Buhoro de la même commune, les CNL se disent aussi inquiets pour leur sécurité. Au lendemain de la réunion du parti de l’Aigle, dans la matinée du dimanche 19 janvier, des tracts de mise en garde d’une dizaine d’Inyankamugayo ont en été trouvés, jetés dans différents endroits de la colline Buhoro.
Selon l’un des tracts, 11 militants du CNL de Buhoro devraient être exécutés sous peu. Infraction ? «Ils sont accusés d’être en train de vider le Cndd-fdd de ses membres », raconte une femme de cette localité. Parmi les personnes visées, nos sources parlent notamment d’Ironge, Gakiza, Ngabonziza, Mukongo, etc.
Hormis les onze « candidats à la mort », quatre autres Inyankamugayo seraient taxés de récalcitrants. Le tract menace de les mettre hors d’état de nuire. « Ils disent être décidés à les rendre infirmes ». Parmi ces quatre, Gad et Venant ont été cités par nos sources.
Ce n’est pas tout. Deux jours après, lundi 20 janvier, une responsable collinaire du CNL a été à son tour placée en état d’avertissement. « Sur le tract trouvé ce lundi devant le domicile de Mukeshimana, représentante des femmes du parti d’Agathon Rwasa à Buhoro, il était écrit qu’elle est accusée de sorcellerie. Mais nous savons que c’est un faux prétexte ».
De quoi inquiéter davantage : depuis les tracts, des inconnus lancent, dès la tombée de chaque nuit, des pierres sur les toitures des maisons des Inyankamugayo. Un des responsables du CNL en zone Buhoro certifie que, incapables de résister aux grosses pierres, certaines des toitures se sont retrouvées trouées.
A Buhoro, ces nouvelles formes de menaces s’ajoutent aux agressions physiques contre les Inyankamugayo. Les témoignages reviennent sur les cas de Cléophas Misago et d’un certain Juvénal, tabassés il y a deux semaines. Ces militants du CNL se disent préoccupés pour leur sécurité. Ils accusent les Imbonerakure d’être à l’origine de ces menaces. Ils demandent aux organes compétents de les protéger.
Désiré Macumi, le chef de colline Buhoro, affirme ne pas être au courant d’une information faisant état de tracts. « Personne ne nous a jamais montré ces tracts », dit-il avant d’ajouter qu’il ne donne pas des rapports dans la presse.
Pour sa part, le président des Imbonerakure dans la zone Buhoro indique que les Imbonerakure font déjà des rondes nocturnes pour identifier ceux qui lancent des pierres sur les maisons des Inyankamugayo pendant la nuit. «Certains disent que ce sont des Imbonerakure, d’autres accusent les victimes d’être les véritables auteurs de ces actions.
Nous voulons savoir la vérité », explique Salvator Rwasa, ajoutant que la réunion du Cndd-Fdd de samedi 18 janvier ne visait point l’acharnement contre les militants du parti du leader historique des FNL. «C’était une réunion pour la bonne préparation des élections prochaines ».
Bugabira : le calvaire des CNL à Kiri
En commune Bugabira sur la colline Kiri, les Inyankamugayo vivent dans la peur. «Nous sommes devenus des parias», s’indignent-ils. D’après eux, ils n’ont ni le droit d’acheter des denrées dans les boutiques ni d’aller se désaltérer dans les cabarets de cette colline. «Nous n’avons pas le droit de commander une brochette. Si une fois on te la donne, le chef du parti Cndd-Fdd sur la colline te la prends et la jette par terre».
De plus, ils indiquent que les militants du CNL ne peuvent aller puiser de l’eau. «Les Imbonerakure nous l’ont interdit. Comment vivre sans eau. Même en prison, les détenus en reçoivent». Les Inyankamugayo sont aussi frustrés parce qu’ils ne peuvent pas faire brouter leurs bétails sur la colline. «La propriété où broutent les vaches appartient à l’Etat. Les Imbonerakure nous disent que c’est un domaine du Cndd-Fdd et non du CNL». Sur la colline Kiri, font-ils savoir, les Inyankamugayo ne peuvent pas embaucher des employés pour labourer leurs champs. «Les Imbonerakure les intimident et ils refusent de travailler pour nous».
D’après eux, c’est très difficile de vivre dans ces conditions. «On dirait que nous ne sommes pas des citoyens burundais». Ils accusent le chef collinaire du parti au pouvoir, Déo Nimubona, d’être derrière ces maltraitances envers les militants du CNL. «Le chef de colline est complice car tout se passe sous ses yeux, mais il ne dit rien».
Selon les militants du CNL, plusieurs d’entre eux ont préféré fuir cette localité. «Ils n’ont pas supporté cette vie». Interrogés, le chef de colline Kiri et le chef du parti Cndd-Fdd à Kiri démentent.
Destruction des biens, nouvelle arme de l’intolérance politique
Depuis un certain temps, il s’observe des destructions des biens des militants du CNL dans plusieurs coins du pays : champs de maïs ravagés, des bananerais dévastés, des vaches ou porcs blessés, etc. La commune Kirundo ne fait pas exception.
Dans la nuit du 19 au 20 janvier 2020, les champs de Gilbert Barutwanayo, secrétaire provincial de la jeunesse au sein CNL, se trouvant sur la colline Gihosha, zone Kirundo rural, ont été saccagés par des hommes non encore identifiés. «J’ai une propriété d’un demi hectare. Il y avait des arachides, du tournesol, des maïs, du manioc. Il restait un mois avant la récolte. Tout a été ravagé», déplore Gilbert Barutwanayo.
Après ce forfait, ces malfaiteurs s’en sont pris au champ de maïs du père de Gilbert. «Ils ont pris les épis déjà mûrs. Ils ont coupé le reste. C’est une grande perte pour notre famille». Gilbert Barutwanayo indique qu’il ne connaît pas les responsables car il vit au chef-lieu de la province Kirundo. Selon les habitants de Gihosha, il y a une intolérance politique exacerbée dans cette localité. «Il a été visé parce que il est membre du CNL et de surcroît secrétaire provincial de la jeunesse».
Les habitants de la colline Gihosha pointent du doigt les Imbonerakure. «Ces Imbonerakure étaient plus de 30 personnes. Ils ont commencé à détruire ces champs aux environs de 21h. Ils étaient conduits par leur chef du nom de Charles», raconte un habitant de cette localité. «Nous pensons que le chef de colline est de mèche. Il a déclaré devant une foule que peut-être que ce sont des Tutsi qui ont fait cela pour semer la zizanie. Il n’y a aucun Tutsi sur notre colline», témoigne un autre habitant de la colline Gihosha.
Contacté, Serge Ntirandekura, chef de colline Gihosha, indique que les responsables ne sont pas connus. Sur les accusations contre les Imbonerakure, il répond : «Les Imbonerakure ne peuvent pas faire cela.» Il réfute aussi les paroles sur les Tutsi. «Je n’ai pas prononcé ces paroles. Ce sont seulement des gens qui veulent me causer du tort».
Dans cette même zone de Kirundo rural, un autre champ de maïs d’un militant du CNL avait été saccagé dans la nuit du 14 au 15 janvier 2020.
Le CNL s’insurge
«Nous condamnons avec notre dernière énergie cette intolérance politique sans nom qui vise les militants du parti CNL. Que les auteurs de cette barbarie soient démasqués et traduits devant la justice», réagit Térence Manirambona, porte-parole du CNL.
De plus, poursuit-il, nous nous insurgeons contre certains administratifs et autres responsables politique qui, dans leur propos, minimisent le calvaire que subisse les Inyankamugayo. «Ce comportement de fuite de responsabilité fait que la situation va de mal en pis».
Selon lui, l’administration semble absente et complice car elle ferme les yeux devant une situation d’intolérance qui se répète à maintes reprises à Kirundo. «La police devrait prendre au sérieux cette question et mener des enquêtes et établir des responsabilités pour ne pas cautionner l’impunité».
La CNL demande le respect de la Constitution et autres textes y afférents qui reconnaissent le multipartisme au Burundi. Aux administratifs, aux responsables politiques, à la police et à la justice, le CNL demande de ne pas créer ou favoriser un environnement non favorable à la cohabitation pacifique de la population et à la tenue des élections paisibles.