Kirundo : des départs différemment interprétés

Des familles des communes Busoni et Bugabira fuient vers le Rwanda depuis le mois de février par peur d’être tuées. Le gouverneur de province reconnaît ces départs mais parle des déplacements pour des raisons économiques.

32 personnes ont déjà fui le site Rutabo de la commune Busoni depuis février 2015, confie sans détour T.M., habitant dudit site. Selon ce jeune homme de 25 ans, ceux qui partent ne le font pas tous de la même manière : certains envoient leurs femmes et enfants mais d’autres partent tous en même temps.

Sur place, quelques maisons sont fermées avec des cadenas. Pour les habitants du site, il s’agit des familles déjà parties. Et parmi elles, se trouve un certain Zimihigo, père de quatre enfants. Ce cultivateur faisait la navette Burundi-Rwanda pour gagner sa vie. « Il est parti avec toute sa famille fin février. » Arsène Rugengamanza, père de deux enfants, est également parti avec toute sa famille, indiquent les habitants du site Rutabo. Puis est venu le tour d’un certain Dunia parti avec sa femme, de Salvator, fils d’un certain Budabududu. « Cet homme est revenu du Rwanda prendre sa femme et leurs cinq enfants, deux d’entre eux n’avaient pas encore passé les examens du 2ème trimestre. » Ensuite, une femme du nom de Mukanyonga est partie avec ses quatre enfants. Certains disent qu’elle serait partie au Rwanda pour s’y faire soigner. Mais d’autres pensent qu’elle a fui comme les autres.

Un climat politique sous tension comme explication…

D’après les habitants de Busoni, deux causes expliquent ces départs : la crainte d’éventuelles violences si le président actuel annonce sa candidature pour un troisième mandat et des entraînements paramilitaires dont bénéficieraient des Imbonerakure, la nuit dans la zone Mukerwa.

Tout a commencé, confie une source sous anonymat, avec l’affichage des listes des jeunes habitants du site qui auraient attaqué la province de Cibitoke en décembre dernier. « Certaines familles essentiellement Tutsi ont été séquestrées par leurs voisins Twa, ces derniers accusant les premiers d’avoir envoyé leurs proches à la mort. »
La goutte qui a fait déborder le vase, confie un homme qui a envoyé sa famille au Rwanda, mais qui est toujours établi à Busoni, fut le discours du gouverneur de province, lors d’une réunion tenue sur la colline Rutabo, en février dernier. « L’objet de cette visite était censé être un message de paix, mais le gouverneur a clairement dit que tant qu’il y aura des sites de déplacés, il n’y aura pas de paix. »

« Des entraînements paramilitaires des Imbonerakure… »

Dans la foulée, se souvient notre source, Juvénal Havyarimana, président du Cndd-fdd, a sorti un document lu à travers tout le pays où il stigmatisait certaines franges de la population en les qualifiant d’ennemi du parti de l’aigle. « Ce message a fait très peur surtout qu’au même moment la société civile a dit qu’elle appellerait la population à descendre dans la rue si le président Nkurunziza décidait de briguer un autre mandat. »

Quelques jours après, confie notre source, des entraînements paramilitaires d’Imbonerakure ont été rapportés dans la localité de Munyinyi en zone Mukerwa. « Ces jeunes s’entraînent au maniement d’armes à feu de minuit à 4h du matin au vu et au su de tous sans que personne ne lève le petit doigt. »

Pire, soutient notre source, chaque membre du parti au pouvoir a été appelé à acheter un arc et des flèches, sinon il se verrait contraint de payer une amende de 10 mille Fbu.

Du coup, certains habitants du site Rutabo ont décidé de fuir vers le Rwanda – le pays le plus proche – pour mettre à l’abri leurs familles. « Ils passent par la localité appelée Marembo vers 4h du matin et traversent la frontière vers la localité de Kigeri pour arriver à Ngenda, une localité rwandaise de la province de l’Est », fait savoir toujours notre source.

Le même phénomène de gens qui fuient s’observent dans les communes Bugabira et Kirundo. Selon des sources sur place, la plupart de ceux qui fuient sont Tutsi. « Une cinquantaine de familles ont fui vers le Rwanda via le lac Cohoha, depuis début mars. »

« Nous n’avons pas de chiffre précis »

Contacté, Révérien Nzigamasabo, gouverneur de la province Kirundo, trouve que la situation n’est pas alarmante. Et pour cause, explique-t-il, quelques cas de personnes fuyant le Burundi vers le Rwanda lui ont été signalés. Néanmoins, il fait savoir qu’il est difficile d’avancer des chiffres exacts.

Pour le gouverneur, ces départs sont le fruit des rumeurs faisant état d’une guerre imminente, propagées depuis dimanche 15 mars 2015, dans le site abritant des personnes chassées de la forêt de Murehe. « C’était juste après la tentative d’assassinat de l’épouse d’Agathon Rwasa. »

Des administratifs à la base, confie le gouverneur, ont immédiatement arrêté le mouvement de gens qui se dirigeait vers le Rwanda. « Six personnes ayant répandu ces rumeurs sont actuellement incarcérées au cachot de la commune Busoni. »

Ces rumeurs, indique toujours le gouverneur, ont continué à se propager mardi 17 mars 2015. « J’ai appris que certains habitants de Cewe en commune Kirundo commençaient à fuir également. » Il fait savoir qu’il s’est rendu sur les lieux et a constaté que quatre familles Tutsi avaient déjà envoyé femmes et enfants au Rwanda. « Parmi ces gens, se trouve un agronome. Cela m’a étonné, car il avait détruit sa maison alors que c’est un fonctionnaire de l’Etat. » Mais après, avance-t-il, l’agronome aurait voulu rejoindre ses frères qui habitent en Ouganda, d’où son acte.
Le gouverneur de Kirundo précise que les passeurs du lac Cohoha ont déjà compté 51 personnes qui se sont rendues au Rwanda pour y trouver refuge. Cependant, le gouverneur de Kirundo indique qu’il est difficile de donner des chiffres parce que beaucoup s’y rendent pour un travail journalier. « Plus de 500 personnes constituant la main-d’œuvre vont quotidiennement au Rwanda et reviennent. »

Des réunions sont prévues

D’après lui, ces gens sont motivés par le salaire car chacun gagne entre 800 et 1000 Francs rwandais par jour, soit 2000 à 2500 Fbu. Le gouverneur de Kirundo a alors décidé de fermer tous les points de passage sur le lac Cohoha parce que ces gens partent la nuit. « C’est pour éviter des cas de naufrage sans secours. »

Le gouverneur de Kirundo indique avoir échangé sur cette question avec Odette Uwamariya, gouverneur de la province de l’Est au Rwanda. « Elle n’est pas au courant de ce phénomène car ces personnes, qui demandent refuge, s’installent dans différents ménages. » Réverien Nzigamasabo signale qu’une descente au Rwanda est prévue, avec les administrateurs des communes Busoni, Bugabira et Kirundo, pour demander à ceux qui ont fui de retourner au pays.
Toutefois, le gouverneur s’inquiète de l’assistance qui sera fournie à ceux qui vont accepter de rentrer parce qu’ils ont tout vendu avant de quitter le pays.