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Kiremba, assassinat de deux expatriés : rien ne sera plus comme avant

05/05/2013 Commentaires fermés sur Kiremba, assassinat de deux expatriés : rien ne sera plus comme avant

Le départ de cinq médecins spécialistes et de volontaires de l’Association pour la coopération missionnaire (Ascom), ce lundi 29 novembre, porte un coup fatal au développement de l’hôpital de Kiremba. C’est la consternation totale chez les patients et le personnel soignant car le robinet vient d’être fermé. Tous les expatriés ont plié bagages de peur de subir le même sort que sœur Lucrezia et Francesco Bazzani sauvagement assassinés par deux jeunes élèves que, paradoxalement, les deux bienfaiteurs assistaient. A Ngozi, la justice s’active.

<doc2223|left>Tous les « bienfaiteurs » ont vidé les lieux de peur de mourir atrocement comme les leurs, froidement abattus lors de ce vol méticuleusement préparé comme dans un film hollywoodien où l’on voit des braqueurs de banque planifier leur coup des mois durant. La pluie torrentielle qui s’abat sur le chef-lieu de cette commune, en cet après midi du 29 novembre, aggrave l’air morose et la tristesse de tout un peuple:« C’est comme si c’était la fin du monde », murmure Léocadie, une élève en uniforme noir et blanc. En compagnie de quelques camarades de classe, elle discute, à l’entrée de l’hôpital de district de Kiremba dédié à un missionnaire italien, Renato Monolo, du sort réservé aux 187 malades qui y sont alités. Ces derniers étaient presque tous pris en charge gratuitement par la congrégation des Sœurs de la Charité et l’Association pour la coopération missionnaire basée en Italie.

Quelques mètres plus loin, au marché, l’odeur du deuil emplit tous les kiosques en bois, visiblement fermées depuis le jour du drame: « Nous partageons la douleur avec les familles éprouvées. S’il était possible qu’on accompagne les dépouilles jusque dans leurs familles (en Italie et Croatie), on le ferait », souhaite une vendeuse de légumes, d’une voix interrompue, de temps en temps, par quelques sanglots.

Il pleut sur Kiremba, mais abondamment aussi dans le cœur de Rangoni Luciano, rencontré chez lui, dans son petit sanctuaire qu’il a nommé « Maison Bethlehem. » Des larmes inondent le visage de ce bénévole italien qui a vu évoluer, depuis plus de 15 ans, le centre de Kiremba grâce à la générosité de la congrégation des Sœurs de la Charité et de l’Ascom dont feu Francesco Bazzani était le représentant: « Je…, je n’arrive…pas à y…croire », s’essouffle M. Rangoni d’une voix ravagée par la douleur. Il est tellement chagriné par la disparition de son compatriote et ami qu’il n’arrive plus à sortir un seul mot: « De…demande à… mon ami. Il a vu tout….tout ce qui s’est passé », renvoie-t-il en repoussant mon carnet devant Apollinaire Ndayishimiye, son interprète (français-kirundi-français).

Apollinaire décrit, gestuel à l’appui, minute après minute, comment Sœur Lucrezia Mamic et Francesco Bazzani ont été froidement abattus par deux élèves sur qui, jusque là, ne pesait aucun soupçon et qui, de surcroit, sont d’anciens protégés de ces deux bienfaiteurs. Le récit d’Apollinaire fait froid au dos.

<doc2222|right>Morts dans le noir d’un soir dominical…

27 novembre 2011. Un dimanche matin comme Kiremba en célèbre normalement dans sa grande église. Les sœurs, les prêtres, les volontaires de l’Ascom, la population, le personnel catholique de l’hôpital, et même quelques malades, ont été à la messe. Bref, une journée normale.

20h30. Apollinaire entend des coups de feu aux environs du couvent des sœurs: « Comme d’habitude, je servais des boissons dans le bar où je travaille. Moi et les clients avons essayé de localiser la provenance de ces coups avant de sortir. Nous avons téléphoné au couvent sans succès. J’ai tout de suite pensé à appeler l’abbé Mickel, le curé de la paroisse Kiremba, qui m’a dit que lui non plus ne savait pas exactement d’où l’on tirait, mais qu’il croyait entendre des coups du côté du couvent des sœurs. »
Sans tarder, Apollinaire contacte au téléphone l’administrateur communal de Kiremba pour une intervention policière: « Je suis déjà en train de faire quelque chose dans ce sens », lui répond-il.

Toujours inquiet et soucieux de savoir ce qui se passait, Apollinaire appelle des connaissances un peu partout au centre de Kiremba.

A 21h30, entre deux appels, il reçoit le coup de fil de l’abbé Mickel. La nouvelle lui coupe le souffle: «  Je viens d’apprendre la mort de l’une des sœurs, de race blanche, abattue à bout portant dans le couvent. » Docteur Jean Claude Niyonzima, directeur adjoint de l’hôpital, qui faisait partie du comité de crise, parlera d’un seul coup fatal qui a transpercé les poumons et le cœur de la sœur Lucrezia: « Le coup a littéralement traversé le corps, des côtes droites à celles de gauche. » Cela est arrivé dans un cafouillage total de coups de feu tirés par les bandits et les policiers qui gardaient l’entrée principale menant en même temps au couvent et chez Francesco Bazzani.

Les policiers de garde n’ont rien vu venir, ni entendu le moindre bruit avant ce coup de feu qui a emporté la vie de sœur Lucrezia: « Nous pensons que ces assassins ont escaladé le mur de derrière, là où personne ne pouvait se douter de rien », suppose Luciano Rangoni en montrant du doigt, lors d’une petite visite guidée le lendemain, un chemin qui longe le mur extérieur de la haute clôture (presque 3 mètres) de chez les sœurs.

Vers 22 heures, toujours son téléphone en mains, Apollinaire reçoit un coup de fil d’un ami qui lui annonce autre chose: « De sa chambre, il m’a dit qu’il venait d’apercevoir, à travers la fenêtre, une voiture qui s’éloignait du centre avec des inconnus à bord. » C’était la nuit, l’obscurité ne lui permettait pas de distinguer les passagers. Immédiatement après cette conversation, Apollinaire appelle de nouveau l’administrateur communal pour l’en informer: « Je lui ai proposé de filer cette voiture qui se rendait vers Gikomero et d’en aviser à la police pour des poursuites. »

<doc2225|left>… dans un couvent pris d’assaut

A 22h30, le calme revient. Apollinaire et Luciano décident d’en avoir le cœur net : « Nous nous sommes dirigés au couvent où nous avons trouvé le corps sans vie de sœur Lucrezia. » Pour plus de détails, Apollinaire cherche un des employés des lieux et tombe nez-à-nez sur Adélard: « Il était tellement terrifié qu’il ne pouvait sortir un seul mot de sa bouche. » Mais après quelques minutes d’apaisement, Adélard arrive à parler : « J’étais chez moi quand on m’a appelé pour que je me rende au couvent rétablir le courant. Sur place, j’ai trouvé les sœurs effectivement dans le noir et je suis allé chercher la panne au niveau du compteur. J’ai constaté que quelqu’un avait tripoté la boîte; un disjoncteur avait sauté et je l’ai rebranché », raconte-t-il à Apollinaire qui lui demande de poursuivre l’histoire.

« La lumière rétablie, je me suis retrouvé en face de deux individus, dans le corridor [un long couloir qui met face à face les chambres des sœurs, Ndlr]. L’un d’entre eux tenait un gros fusil, m’a nommément appelé et m’a intimé l’ordre de ne plus bouger et de m’adosser contre le mur. Je me suis exécuté et ils ont commencé à défoncer les portes, à brutaliser les sœurs, à tirer dans tous les sens, à l’aveuglette, à voler surtout de l’argent. »

Après le tour des chambres, ces malfrats ont alors pris en otage Francesco qui avait été appelé au couvent pour accompagner Adélard venu réparer la panne électrique: « Il était avec moi. Ils ont aussi pris de force la sœur Carla, lui ont exigé les clefs de la voiture et ont demandé brutalement à Francesco de conduire », décrit le rescapé en précisant que les voleurs étaient sur le siège arrière, braquant le bout de leur fusil de type « Fal » et celui d’un pistolet sur les nuques des deux otages.

« {Hogi, hogi} (allons, allons) ! » vociféraient-ils, poursuit Adélard, à l’endroit de Francesco qui conduisait selon les instructions de ses futurs bourreaux. Après leur départ, la dépouille de sœur Lucrezia a été transportée aux urgences de l’hôpital de Kiremba.

Vers minuit, Apollinaire est en conversation téléphonique avec l’administrateur communal de Kiremba: « Il m’a annoncé que grâce aux efforts combinés de la population et la police, les deux bandits en cavale venaient d’être arrêtés, à une vingtaine de km de Kiremba, en commune Marangara. » Une source policière à Ngozi précise que c’est aussi là que Francesco a été retrouvé mort, les côtes droites et gauches déchiquetées par une puissante balle qui, selon le Dr Jean Claude Niyonzima, a fatalement endommagé une bonne partie d’organes à l’intérieur du corps, causant ainsi une forte hémorragie interne.

La sœur Carla avait les doigts des deux mains presque coupés alors qu’elle voulait empêcher l’un des malfaiteurs d’orienter le canon sur Francesco: « Tuez-moi à sa place », criait-elle. Pour ce cas, Dr Niyonzima, parle de blessures très profondes qui exigeront une rééducation plus ou moins longue pour que la sœur recouvre l’usage de ses membres.
Vers une heure du matin, le corps de Francesco arrive à l’hôpital de Kiremba: « C’est le curé de la paroisse Murehe qui a aidé pour le transport de la dépouille dans la même voiture des sœurs (Une Toyota RAV4, NDLR) réquisitionnée par les deux bandits », précise Apollinaire d’une voix qui, en terminant son récit, devient inaudible, noyée par un immense chagrin que laisse transparaître quelques gouttes de larmes aux coins de ses yeux.

<doc2226|left>Un vide difficile à combler

Lundi 28 novembre, 10heures. Tout Kiremba est en alerte. Une foule de curieux est devant l’entrée du couvent, une autre devant celle de l’hôpital. Ces élèves et fonctionnaires du coin sont là, silencieux, consternés. Des Jeep 4×4 arrivent, transportant quelques autorités comme le ministre de l’Intérieur, Edouard Nduwimana, le gouverneur de la province Ngozi et d’autres personnalités comme le Nonce Apostolique et l’évêque du Diocèse de Ngozi. Ils sont venus pour réconforter la communauté des sœurs et l’Ascom éprouvés, mais assistent aussi au départ de tous les expatriés.
Dr Jean Claude Ndayishimiye regrette le vide que laissent les 5 spécialistes : « Il est impossible que l’hôpital puisse recruter facilement d’autres sans un soutien financier pareil à celui de l’Ascom. »

Cette coopération était divisée en plusieurs communautés. D’abord, la communauté des sœurs Servantes de la Charité qui comprenait trois Rwandaises et trois Européennes : la Croate, sœur Lucrezia, responsable du service de stabilisation thérapeutique, donc en charge des personnes ayant des problèmes de malnutrition, deux Italiennes sœur Carla Brianza, responsable de la communauté et sœur Antonieta qui était conseillère en matière de gestion du centre de santé.

Ensuite, de jeunes Européens, étudiants et qui venaient pour des spécialisations dans le domaine des maladies tropicales, infectieuses qui n’existent presque pas dans leurs pays. Ils sont ici pour des travaux de thèse ou pour des raisons de coopération. Il y en a qui passent deux mois, d’autres trois ou six. Deux vivaient ici.

En fin, il y a ceux qui travaillent pour l’Ascom dont le siège est à Brescia, en Italie. Francesco Bazzani était son représentant. Lui est sa femme vivaient ici en tant que volontaires et hébergeaient deux chirurgiens venus aider l’hôpital. Il y avait également un autre médecin, Fontana, spécialiste en infectiologie, en mission pour trois ans.

Tout ce monde a plié bagages le même jour, lundi 28 novembre 2011, à 14 heures, laissant Kiremba orphelin, replié sur lui-même pour une survie vouée à une mort lente.

« Ceux qui ont coupé la main qui leur donnait à manger »

Joseph Nzorijana (25 ans), partait chaque jour de son Kiremba natal à Marangara au lycée (Vingtaine de kilomètres). La scolarité de cet orphelin de père et de mère était prise en charge par l’Ascom à travers l’intercession de son représentant, Francesco Bazzani : « Un jeune sans histoire. Il était calme et jouait avec nous au volleyball presque chaque soir », se rappelle Dr. Niyonzima. Tout le monde à Kiremba n’en croyait pas ses oreilles que c’était lui, le braqueur : « Comment voulez-vous qu’on ait toujours le courage de contribuer à l’éducation des jeunes et à la lutte contre le chômage avec de telles récompenses ? », se demande Luciano, sa tête entre ses mains.

Eric Nduwimana (24 ans) étudiait au lycée Kiremba. Ce natif de la colline Muremera dans la ville de Ngozi, fournissait des œufs à la communauté des sœurs après les cours : « C’était l’enfant choyé des sœurs », précise Apollinaire Ndayishimiye en rappelant qu’Eric n’était plus visible à Kiremba depuis plusieurs mois : « Des gens disaient qu’il était en Tanzanie où il aurait appris à manier des armes à feu », pense-t-il. Eric, qui était réapparu au centre de Kiremba, quelques jours avant son coup, repassait de temps en temps au couvent sans que les sœurs ne soupçonnent quoi que ce soit.

Au moment où nous mettons sous presse, Joseph Nzorijana aurait déclaré devant la Cour à Ngozi, lors d’une audience publique, que lui et son complice avaient exécuté une mission « que leur avaient confiée de hautes autorités du pays, moyennant une enveloppe de cinq milliards de francs burundais » que devait leur remettre un troisième larron à Marangara où ils se dirigeaient en voiture au moment de l’arrestation. Isidore Ntakarutimana, procureur de la République à Ngozi indique que les enquêtes continuent. Mais le parquet de la République à Ngozi a requis la perpétuité pour ces deux lycéens. La veille, la foule, toute en colère, rassemblée devant le parquet criait à la pendaison.

<doc2224|right>« C’était la mère Teresa de Kiremba »

La sœur Lucrezia (50 ans), décrit Rangoni Luciano avec qui elle pilotait un projet de développement de la communauté Batwa aux environs de Kiremba, était extraordinairement gentille et serviable : « Elle réconfortait également les réfugiés dans leur camps par des visites et la prise en charge de malades », indique Luciano d’un air admiratif. Selon Dr. Niyonzima, cette nutritionniste croate avait tellement bien organisé le service de prise en charge thérapeutique à l’hôpital qu’il sera difficile de combler le vide qu’elle laisse: « Elle utilisait même ses propres fonds pour assurer l’équilibre nutritionnel des patients en leur donnant à manger chaque matin et midi », ajoute-t-il. Une générosité que Luciano compare à celle de mère Teresa de Calcutta (Inde)

« Les démunis le prenait pour le Père Noël »

<doc2233|left>Francesco Bazzani (65 ans) qui vivait à Kiremba avec son épouse depuis 4 ans, était le représentant de l’Ascom. C’est cette association qui était à la base du développement de l’hôpital de Kiremba. Francesco envisageait d’ouvrir un cabinet dentaire à l’hôpital de Kiremba : « Tout le matériel était prêt en Italie pour être acheminé au Burundi », informe Luciano, les yeux pleins d’admiration pour le courage de son ami qui avait déjà échappé à plus de trois attaques à main armée. L’Ascom qu’il dirigeait de main de maître, selon Luciano, c’était aussi la rénovation de la centrale hydroélectrique qui alimente tout Kiremba et l’entretien des 19 km qui séparent le centre de la route principale Ngozi-Muyinga. « L’Ascom a aussi équipé l’hôpital en matériel de radiographie et d’échographie moderne », énumère Dr Niyonzima en insistant sur le fait que l’oxygène y est fabriqué localement en permanence toujours grâce à la générosité de cette association.

Rangoni Luciano ne tarit pas d’éloges pour son ami et compatriote (Italien) disparu brutalement: « Nous avions ensemble monté un dossier pour prendre en charge les soins de la petite Helena (province Cibitoke) qui n’a pas d’anus. Le médecin traitant était disponible en Italie, la famille d’accueil aussi », pleure-t-il en demandant à toute âme charitable de l’aider à trouver un passeport pour la patiente.

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