204 poètes venus d’autant de pays de la Terre. Réunis à Londres, pour les Olympiades Culturelles. Et parmi eux, du Burundi, Ketty Nivyabandi. Aperçu de cette ambassadrice.
Valérie Rouzeau (France), Evelyne Trouillot (Haïti), Didier Awadi (Sénégal), deux Nobel de littérature, Wole Soyinka (Nigeria) et Seamus Heaney (Irland), et des dizaines d’autres noms illustres, … Tous assis au bord de la Tamise, écoutant souffler les éléments aqueux et bruire les vers en des dizaines de langues, traduits en anglais, c’est vrai. Déclamant, débattant, lisant, écoutant. Et là, Ketty. Née Nivyabandi. Proposant, par exemple : Il ne me reste que l’étrange certitude que le gouffre n’est pas notre destin mais seulement une condition choisie. Et dans cette fraction à la fois infime et infinie de temps, il m’est tout à coup évident que le seul moyen de nous détacher à jamais de la nuit et pour la nuit de se détacher à jamais de nous ; que notre seule chance de revisiter la lumière réside dans l’impensable : flamber notre présent. Flamber notre présent pour que nous et nos mots renaissions à nouveau. (Dreams of freedom, 2011).
L’histoire est belle. Ketty, petite-fille du frère (assassiné) du roi Mwambutsa (le prince Kamatari), née en 1978 à Uccle (Belgique) et qui se retrouve, une quinzaine d’années plus tard, chez les Dominicaines du Saint- Esprit, à Draguignan (France) pour ses études secondaires. Le couvent accueille aussi un internat, avec entre autres huit heures de philosophie par semaine, et une éducation des plus strictes.
Un jour de cours d’histoire, la professeure entreprend d’expliquer que Martin Luther King était un… proxénète ! « J’ai hurlé que c’était faux, d’instinct, secouant la tête, convaincue au plus profond de moi qu’il n’en était pas ainsi », raconte Ketty, plus tard diplômée en relations internationales. Mais ses dénégations s’arrêtent aux « Non! » sonores. « C’est à ce moment précis que je me suis rendue à quel point je savais peu sur l’histoire de l’Afrique, de mon pays, des Noirs des Etats-Unis.
Tenu juste au début des Jeux Olympiques de Londres (du 26 juin au 1 juillet 2012), le festival poétique Poetry Parnassus est décrit par The Guardian comme ‘la plus grande rencontre de poètes de tous les temps’. Le rendez-vous, situé au coeur des Olympiades Culturelles, s’inspire du temps de l’ancienne Grèce, où, en plus du sport, la culture (dont le théâtre et la poésie) était à l’honneur lors des Jeux Olympiques.
L’événement londonien comprendra aussi une « Pluie de poèmes », avec plus de 100.000 textes lancés à partir d’un hélicoptère sur la capitale anglaise. A la fin du lycée chez les Dominicaines (un parcours qu’elle apprécie toujours), elle quittera la France, malgré l’ébahissement des siens, pour s’établir à Nairobi, Kampala, puis le Burundi, afin « d’être au plus près de [ses] racines. » Elle lira Cheik Anta Diop dans Antériorité des civilisations nègres : mythe ou vérité historique ?, parcourra avec avidité Ben Okri, passera des heures plongée dans du Toni Morrison, sans oublier Racine … pour résumer ce long voyage : « A voir ce que l’on fut sur terre, et ce que l’on y laisse, seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse » (Alfred de Vigny dans La Mort du Loup). A Bujumbura, elle sera journaliste à la Radio Renaissance, animera une émission consacrée au soul, couvrira les élections de 2005, puis lancera, en 2010, l’idée d’un café-littéraire, le Samandari, alors qu’elle prête ses vers au journal Iwacu pour raconter les élections en vue. Entre-temps, ses poèmes animeront les expositions du Collectif Maoni, tout en tableaux et sculptures.
Marqués par la féminité et la souffrance, puisant une forte symbolique dans la tradition et l’histoire du Burundi, les poèmes de Ketty ont visage d’humains.
Elle écrit par exemple, dans Les Silences de Karyenda (2011) : Ne te tais pas Karyenda/ Écoute l’effroi que ton silence / Jette dans nos cœurs Silence qui gène, / Silence qui grince, / Silence qui gratte, / Silence qui rend fou ! Silence d’un peuple déraciné, / Brutalement sevré de sa sève… Gronde Karyenda, / Gronde, / Encore et toujours / Pour que l’insensé retrouve son sens / Que les mystères reprennent leurs parures sacrées.