Lorsqu’un groupe se trouve empêché de s’exprimer, à la longue, la situation ne fait que s’empirer. Selon les habitants de la colline Saswe, commune Kayokwe de la province de Mwaro, les frustrations accumulées peuvent exploser en violence.
D’après Jérémie Barengako, des gens vivent des traumatismes, des situations difficiles et choisissent de garder le silence. « Ils sont touchés et ressentent des douleurs dans leur for intérieur. Ils ne songent jamais à chercher à s’exprimer. Ils peuvent avoir des blessures psychologiques tout comme ils peuvent déprimer », fait-il observer.
Même lecture des choses de la part de son compatriote Jean Kabura. Il indique en effet que dans l’entourage, des individus sont en conflit et se chamaillent tout le temps mais ils refusent de rendre publique leur affaire. « Malheureusement, ils passent du temps à se plaindre comme quoi ils n’ont pas trouvé des gens pour les aider », déplore-t-il.
M.F, une sexagénaire, donne un exemple des conjoints qui sont toujours dans la mésentente mais qui ne veulent pas que leur situation soit connue à l’extérieur. « Un mari n’assume pas sa responsabilité de gérer et de nourrir sa famille. Sa femme décide de garder le silence car, chaque fois qu’elle tente d’en parler aux autres, son mari la tabasse. Beaucoup de gens refusent d’exprimer leurs problèmes alors qu’ils vivent des traumatismes », insiste-t-elle.
Selon Marie Rose Minani, il est possible de vivre des problèmes et de garder le silence quand on est dépassé. D’autres personnes, poursuit-elle, ont peur de connaître d’autres problèmes quand les auteurs de la violence observée sont puissants. « Vous savez que notre pays a vu beaucoup de choses. Des familles ont été touchées. Pour ne plus vivre le même sort, il vaut mieux se taire », explique-t-elle.
Pierre Ndayisenga n’est pas très loin de cette idée quand il explique que vaut mieux se taire que de s’attirer des foudres. « Parler quand on sait que tout peut se retourner contre toi est un suicide. Si je le dis, je vais vivre où ? Qui va me protéger ? On choisit alors de se résigner », fait-il observer.
Pour ces habitants de Saswe, garder le silence quand on est traumatisé ajoute le drame au drame. En effet, « les problèmes ne sont jamais résolus. Les bourreaux ne sont jamais inquiétés et le risque est grand que la situation explose avec des cycles de vengeance. »
De l’écoute pour changer la donne
Emmanuel Nduwimana, conseiller chargé des questions économiques et des statistiques à la commune Kayokwe explique que, parfois, la population ne donne pas ses avis et considérations. Pour lui, des gens ont des doutes que leurs opinions seront prises en considération. Il ajoute que d’autres ont peur des représailles.
Il rappelle que tous les six mois, la commune organise des réunions pour recueillir les doléances de la population. Cet administratif invite tous les résidents à briser le silence pour permettre à l’administration d’agir.
Selon le socio-anthropologue, Blaise Izerimana, le silence des gens qui vivent des situations difficiles s’explique par plusieurs raisons. Primo, des gens considèrent que personne dans la société et parmi les leaders ne se préoccupe de leurs problèmes. Pour eux donc, constate-t-il, il ne sert à rien d’exprimer leurs problèmes alors que personne ne se soucie d’eux. « Face aux injustices, certaines victimes restent silencieuses. Elles sont dépassées par les évènements et choisissent de se résigner. »
Secundo, il y a l’intimidation que subissent les victimes. Cela fait qu’elles craignent de subir le pire si elles osent s’exprimer publiquement. « Vous savez que notre pays a connu des évènements tragiques. Des gens pouvaient être enlevés et tués. Mais, les familles des victimes étaient empêchées d’observer le deuil. Elles n’osaient pas poursuivre les dossiers. On préférait garder le silence pour ne pas subir le même sort », signale-t-il.
Selon toujours Blaise Izerimana, quand les gens sont contraints de garder le silence, les conséquences s’avèrent fâcheuses. Le silence des gens explique-t-il, ne signifie pas leur satisfaction. « Si des gens sont empêchés d’exprimer leurs douleurs, leurs enfants en sont informés. Ils grandissent dans cette frustration. La haine et l’esprit de vengeance grandissent aussi en eux. Tôt ou tard, les frustrations longtemps accumulées finiront par exploser. Il s’en suit des cycles de vengeance. »
Selon cet expert, en principe, tous les individus doivent exprimer leurs opinions et leurs douleurs. Cela permet aux concernés de trouver des solutions, dit-il. Il appelle également les leaders à rester à l’écoute de la population pour éviter qu’elle accumule des frustrations qui peuvent plus tard nuire à la cohésion sociale.
La terreur règne, même au sein du système qui dirige le Pays. Sans parler même de l’histoire burundaise, très récemment en 2015, on l’a vu, un frondeur est passible d’une exécution sans jugement, c’est très récent. Qui ose parler ? Umwera uva Ibukuru, atawuriyo, no hasi bica biyangara.