Environ dix ans après sa construction, le marché moderne de Matongo en province Kayanza boycotté par la population n’est pas exploité. Un projet mal pensé, une perte pour la commune.
Le silence. Aucun mouvement. Un espace déserté. Voilà ce qu’offre, dimanche autour de 14 h, ce 3 janvier, le marché installé à une centaine de mètres de la route Bujumbura-Kayanza, côté droit. Pourtant, ailleurs de façon globale, les marchés ou centres de négoce sont très animés, et très mouvementés.
Il était beau, ce marché construit en matériaux durs. Trois hangars et sept blocs servant de magasins. Malheureusement, depuis 2009, année de sa construction, selon les témoignages, le marché n’a jamais fonctionné. Ce joyau délaissé comprend plusieurs blocs : des magasins, des sanitaires, des chambres frigorifiques et des bureaux administratifs. Et même un système anti-incendie.
L’intérieur est cimenté. Des lignes pour délimiter les stands sont visibles. Mais aucun stand n’y a été érigé. Aujourd’hui, trois arbres géants occupent ce terrain délaissé.
L’ensemble est dans un état piteux. Les lavabos, les tubes, les compteurs, les serrures sur les portails, les tuyaux… ont été soit abîmés, détruits ou volés.
Néanmoins, presqu’à 1km de là, le centre Bandaga est très animé, très fréquenté. C’est dans une sorte de large couloir entouré de boutiques, la plupart en briques adobes, que les vendeurs exposent leurs produits et articles. On y trouve des habits, des denrées alimentaires comme les patates douces, les bananes, etc. Quelques kiosques en bois y sont érigés. Des vendeurs étalent leurs produits à même le sol.
Dans ces boutiques, les commerçants présentent à leurs visiteurs des pagnes, des pantalons, des ustensiles de cuisine, des denrées alimentaires comme le riz, le haricot, etc. C’est là même que des gens se rencontrent pour étancher leur soif. Il y a même un parking pour Bujumbura et d’autres destinations.
Un boycott du marché moderne
« Les commerçants l’ont boycotté. Ils disent que ce marché est éloigné de la route, dans un lieu non habité», raconte Isidore, un habitant de la localité. Il explique qu’il y avait une plantation d’eucalyptus sur ce site. Après son ouverture, en 2009, quelques commerçants s’y sont installés. « Mais, ils sont vite repartis vers le centre Bandaga à cause du manque des clients ».
Les commerçants ne mâchent pas leurs mots. « Les autorités ont essayé de nous déloger et de nous pousser, à trois reprises, vers ce marché, en vain », raconte un des vendeurs.
En signe de contestation, au lieu d’y aller, ils ont préféré fermer leurs boutiques et cacher leurs produits.
D’après lui, l’administration n’a pas pris en compte l’histoire et l’emplacement du centre Bandaga avant d’ériger le nouveau marché.
« Avant la crise de 93, Bandaga était un carrefour commercial. Un site de déplacés y a été installé. Avec la fin de la guerre, les activités commerciales ont repris et il a été de nouveau très fréquenté », témoigne I.K., un enseignant de la localité.
D’après lui, après la construction du nouveau marché, les propriétaires des boutiques sur le centre Bandaga ont refusé de démolir leurs maisons. Ainsi, les magasins du nouveau marché ont manqué de locataires.
A Bandaga, les propriétaires de maisons ont des annexes qui servent de boutiques ou de lieux de rafraîchissement.
Pour sa part, Niyongabo, un vendeur des chaussures, signale que ce nouveau marché est victime de son emplacement : « Ici, au centre de Bandaga, c’est un carrefour où se rencontrent des gens sortis de la messe. Nous avons tout autour les catholiques et les pentecôtistes. Et depuis longtemps, les gens se ravitaillent ici. »
« Quand, je viens de la messe, je passe ici pour me procurer ce dont j’ai besoin avant de retourner à la maison», confie Scholastique Nahimana, la quarantaine. Cette mère de cinq enfants dit ne pas comprendre pourquoi les autorités ont éloigné ce nouveau marché du centre Bandaga qui compte, selon elle, un grand nombre de ménages, de fonctionnaires et des commerçants.
Une autre source ajoute qu’au lieu d’occuper un stand payant, les gens préfèrent exposer leurs produits tout au long de la route Bujumbura-Kayanza. « C’est très rentable à voir le trafic sur cette route. Chaque jour, je rentre avec au moins 50 mille BIF », témoigne un de ces vendeurs. Et là, il ne paie pas de taxes ou de location de stands.
Des pertes énormes
A l’entrée nord de ce marché moderne, la microfinance UCODE y avait déjà installé son guichet. Selon les témoignages, elle espérait que les vendeurs viennent y verser leur argent. Au sud, on y trouve une agence de la COOPEC. Dans sa partie orientale, quelques maisons y avaient été déjà construites. « Elles étaient destinées à servir d’entrepôts. Mais, comme le marché ne fonctionne pas, nous avons enregistré des pertes », se lamente un des propriétaires croisé sur place.
A Bandaga, des témoignages s’accordent à dire qu’il s’agit d’une grande perte pour la commune. « Normalement, la population devrait être consultée avant de décider l’emplacement du marché », estime un fonctionnaire de la localité. Si cela avait été le cas, il ne doute pas que la commune aurait déjà encaissé beaucoup d’argent. « Mais, voilà qu’aujourd’hui, ce marché ne fait rentrer aucun sou dans la caisse communale».
Contacté, dimanche 3 février, Alexis Hacimana, administrateur de Matongo, a confirmé que ce marché a été boycotté et n’a jamais fonctionné. Et ce sans donner plus d’informations. « Je suis dans une réunion », a-t-il avancé.
Recontacté mercredi, après plusieurs promesses de s’exprimer sur ce marché, c’est dans l’après-midi qu’il a finalement refusé.
Quant à l’Agence burundaise de réalisation des travaux d’intérêt public, (ABUTIP), chef d’œuvre de ce marché, un de ses cadres n’a pas voulu faire beaucoup de commentaire sur ce cas. Selon lui, cette agence s’occupe tout simplement de la construction en tenant compte des préférences du demandeur. «Une fois les travaux terminés, le reste incombe aux propriétaires.» Le marché a été construit sur financement de la Banque mondiale, un projet IDA.