Vendredi 22 novembre 2024

Politique

Karusi : flou autour d’une détention

05/07/2019 Commentaires fermés sur Karusi : flou autour d’une détention
Karusi : flou autour d’une détention
Les trois militants du CNL emprisonnés sont dans le désarroi.

Trois militants du CNL, dont deux cadres, croupissent dans les cachots du commissariat de la police à Karusi. Un numéro de téléphone ‘‘menaçant’’ certaines autorités de la province serait la cause de la détention. Ce que réfutent des Inyankamugayo. Enquête

Il a fallu 33 jours pour que Nathan Barampama, représentant provincial du CNL à Karusi, perde tout espoir de libération…

Incarcéré depuis le 25 mai, il espérait retrouver sa liberté avec sa comparution, jeudi 27 juin, devant le procureur de la République en cette province. Car le chef d’accusation qui pesait sur lui, à savoir une «probable» conversation WhatsApp avec un numéro «qui inquiète», ne tenait plus…

Selon des sources concordantes, Barampama ne devait bénéficier de la libération qu’à une condition : l’arrestation de la personne propriétaire du numéro qui ‘‘exige’’ des autorités de la province l’arrêt de ‘‘leurs forfaits’’. La police lui a intimé l’ordre de la dénoncer. Il a expliqué ne pas connaître l’individu en question. Dans son téléphone, le numéro n’est pas enregistré.

D’après ces témoignages, les agents des services de renseignements à Karusi ont soutenu néanmoins que ce politicien a tenu, en date du 23 avril, une conversation avec ledit contact. Barampama a toujours protesté, justifiant ne pas être au courant de cette conversation.

Sur son compte WhatsApp, aucune conversation téléphonique n’a été trouvée avec le  numéro indiqué. Inflexibles, ces services ont avancé que des messages ont été effacés. Ainsi, un dossier a été  ouvert. Nous sommes le 4 juin dernier…

«Avec l’arrestation, mercredi 26 juin, du prétendu propriétaire de ce numéro, Barampama devait être libéré »,  estime un membre du CNL. Ce qui n’a pas eu lieu. «Mais, au vu des raisons avancées lors de son arrestation, le 25 mai, et le changement des chefs d’accusation, 9 jours après, rien n’est surprenant. Ce sont des mobiles politiques».

Retour sur l’arrestation de Nathan Barampama

Nathan Barampama  est arrêté le 25 mai au chef-lieu de la province Karusi avec Hilaire Nzimenya et Baudouin Nzitonda, respectivement secrétaire et président du mouvement des jeunes du CNL à Karusi. Le chef de poste de police de Buhiga les retrouve en pleine réunion à l’intention des représentants communaux  du parti. Il vient pour l’interrompre.

Il leur signifie que la réunion est illégale. Ce qu’ils réfutent, arguant que l’administrateur, le gouverneur et le commissaire de police en ont été informés. «Nous  avions déposé depuis plus d’une semaine des lettres d’information par rapport à l’événement », assure l’un d’eux, aujourd’hui en liberté.

Le chef de poste paraît intransigeant. «Nous voyions qu’il agissait sous un ordre fort ». De longues discussions, un bras de fer. Il appelle le commissaire de police chargé de la sécurité intérieure à Karusi. Ce dernier intervient rapidement.  Pour se rassurer du dépôt de l’avis, il téléphone au commissariat de police. Là-bas, un officier de la police judiciaire affirme qu’il a reçu la copie de la lettre. Par contre, l’administrateur nie catégoriquement la réception de cette note.   «J’avais pourtant remis la lettre moi-même», assure M. Nzitonda.

Ce commissaire prend alors la décision de les «garder» pour des enquêtes. «Nous passerons neuf jours dans les cachots du commissariat de police, le temps qu’ils cherchent à faire disparaître l’avis dont le dépôt a été confirmé et donner fondement à leur accusation».

D’après des témoins proches de la police, ce stratagème a échoué. Et c’est ainsi que des agents des services de renseignement ont cherché comment maintenir en détention le représentant provincial du CNL contre lequel l’administration avait une dent depuis belle lurette. «Ils ont pris son téléphone, cherché dans son répertoire et indiqué qu’il y a un numéro qui inquiète». Ses deux codétenus ont été libérés, mais pour lui le dossier a changé.

Barampama, le ‘‘numéro de terreur’’ et son ‘‘prétendu propriétaire’’

Le numéro suspect est d’Afrique du sud au vu de son indicatif téléphonique. Cependant, après analyse, les services de renseignements auraient détecté que son utilisateur avait d’abord utilisé un numéro de l’Onatel. Ils ont ainsi cherché à localiser l’utilisateur de ce dernier pour l’arrêter.

Certains des messages envoyés par le numéro sud-africain qui « inquiète » les services de renseignement de Karusi.

C’est alors qu’un certain Philbert Ndihokubwayo, natif de la commune Shombo en province  Karusi, secrétaire du mouvement des jeunes du CNL dans la région Buyenzi, a été identifié. De Bujumbura, il apprendra qu’il est recherché par la documentation à Karusi pour ce qu’ ‘‘il’’ a écrit aux autorités provinciales via son numéro.

Ndihokubwayo ne va pas attendre que les services de la documentation l’arrêtent. Lundi 10 juin, il délègue Placide Nzambimana, un ami à lui, pour aller informer le chef des services des renseignements que «le présumé est prêt pour l’interrogatoire». Et dans la foulée, il lui a été exigé de demander pardon à la place de Ndihokubwayo. Ce qu’il a fait.

Dans l’aube du 26 juin, Philibert Ndihokubwayo est arrêté de chez lui au quartier Gasenyi de la mairie de Bujumbura. Les services de renseignements de la mairie le remettent à ceux de Karusi qui l’emmènent manu-militari…

Selon plusieurs témoignages, le chef des renseignements dans cette province le traîne d’autorité en autorité  au centre Karusi. «Connais-tu celui-là ?» lui demandait-il sans cesse. Il va ensuite passer  la nuit dans les cachots de la documentation avant de comparaître le lendemain devant le procureur…

Une opération téléphonique à l’origine de l’emprisonnement ?

Devant François Harerimana, procureur de le République à Karusi, Ndihokubwayo   a justifié n’avoir  jamais utilisé ce numéro ‘‘qui menace’’.  Son utilisateur serait un certain James, vivant en Afrique du sud. Le numéro Onamob intervient suite à une opération de changement de numéro sur le compte WhatsApp. Celui-ci ayant eu lieu en avril quand  Ndihokubwayo a voulu acheter le téléphone de James alors en déplacement au Burundi.

«Il a utilisé ce téléphone  pendant une journée pour essai…il y avait déjà installé son compte WhatsApp. Quand par après ils ne se sont pas entendus sur le prix, il lui a remis son poste sans avoir désinstallé ce compte», raconte, triste, un membre de la famille de Ndihokubwayo.

Le justificatif de Ndihokubwayo a amené la justice à arrêter, dimanche 30juin, Placide Nzambimana, l’accusant d’avoir menti lors de la demande de pardon. Les trois croupissent toujours dans les cachots du commissariat de police.

«S’il n’y a rien qui se cache derrière cette détention,  la justice burundaise devrait vérifier, recourir à Interpol le cas échéant, pour arrêter le vrai coupable et libérer ces innocents», concluent des militants du CNL.

Contactés pour s’exprimer sur cette détention polémique, le gouverneur, le procureur de la République et le commissaire de police à Karusi n’ont pas voulu communiquer.

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