Certains habitants du site de Gitaramuka sont fâchés. Leurs maisons ont été démolies pour la construction de bâtiments administratifs. Ils dénoncent «une chasse masquée aux déplacés» faite par l’administration communale. Celle-ci dément.
Le site de Gitaramuka offre à première vue l’image d’indigence. Lundi 14 décembre, Jeannette Niyingabiye, l’administrateur communal, tient bon de nous accompagner sur les lieux pour nous montrer, preuves à l’appui, «les mensonges de ces déplacés».
Par cet avant-midi plutôt très ensoleillé, l’endroit est calme. Sous des bananiers, des enfants jouent aux cartes. Par-ci, de vieilles femmes se prélassent au soleil devant des maisonnettes, complètement délabrées. Par-là, un sexagénaire de grande taille nourrit sa vache. Sa maison, trouée comme un filtre, sert aussi d’étable pour cette bête.
Par moments, on s’arrête. L’administrateur veut nous montrer des ménages de ‘‘riches qui se terrent dans ces maisons’’. «Regardez-moi ! Quelqu’un qui habite ici alors qu’il dispose de trois véhicules et de trois belles maisons mises sous location à l’extérieur du site. Vous ne voyez pas qu’il y a anguille sous roche ?».
Des bureaux de la commune Gitaramuka, il faut descendre tout droit, pendant environ cinq minutes, pour voir un autre aspect de ce site. Plus d’une vingtaine de cases en pailles. Elles sont érigées à l’extrémité du périmètre de ce site, à côté d’un grand centre d’enseignement des métiers, (CEM). Ce sont des maisonnettes des Batwa.
Dans le périmètre du site de Gitaramuka, outre ce CEM, il y’a des bureaux de l’ONG World vision Burundi et un bloc du centre des jeunes.
A l’origine des tensions, la construction de deux nouveaux bâtiments
L’histoire remonte en juillet dernier. D’après des locataires de ce site, tout part d’une réunion organisée par l’administrateur communal.
Jeannette Niyingabiye leur parle d’une nécessité de construire deux bâtiments dans le site : un centre de lecture et une direction communale de l’enseignement.
L’exécution de ce projet exige la destruction de certaines maisons. L’administrateur conseille à leurs propriétaires de regagner les collines d’origine. Ce terrain appartient à la commune. Par ailleurs, précise Mme Niyingabiye, ces maisonnettes donnent une très mauvaise image de la commune.
Pour les encourager à quitter le site, elle promet de donner des tôles pour les toitures à ceux qui consentent de partir vers les collines. Pendant cette réunion, confient nos sources, les occupants protestent : «Nous avions compris que c’est une façon, à peine voilée, de nous expulser du site. Car la commune dispose de bien d’autres domaines». La réunion se clôture en queue de poisson.
Le bras de fer est alors engagé. Dans le périmètre où doivent être construits les deux bâtiments, disent les déplacés, il y a quatre maisons. Deux sont inoccupées. Leurs propriétaires sont en exil au Rwanda depuis 2015. Mme Niyingabiye exige des deux autres occupants sur place de déménager. Ceux-ci résistent et les voisins les soutiennent.
L’un d’entre eux est arrêté et emprisonné. Larissa Murerangondo, aujourd’hui libre, passera le mois de novembre dans la prison centrale de Karusi. Les voisins, contre la démolition, sont terrorisés. Marie Ndarugirire, l’autre victime, cède à la peur. Elle se terre actuellement dans une chambrette que l’administration lui a donnée temporairement au centre des jeunes. Un ancien stock des matériaux du centre.
Dans l’entre-temps, les maisonnettes sont vite démolies. La construction du centre de lecture est aujourd’hui terminée. Les murs des bureaux de la DCE sont en train de monter.
La colère des déplacés
D’après des sources interrogées, c’est lors d’une autre réunion que l’administrateur annonce ouvertement l’expulsion de ces déplacés. «Vous n’êtes pas plus nombreux et plus forts que ceux du site de Karusi. Cependant, ce dernier est en train d’être démantelé petit à petit», aurait-elle menacée.
Jospin (pseudo) dit avoir proposé à l’administration, lors de cette rencontre, trois voies de sortie de la crise. Soit, chercher un autre endroit où mettre ces infrastructures ; soit réinstaller ceux qui se verraient délogés dans des parcelles laissées par des anciens déplacés aujourd’hui établis au chef-lieu de la commune ; soit délocaliser le site. «Des propositions rejetées en bloc», déplore-t-il, dénonçant l’entêtement de l’administrateur.
Hormis la «peine endurée injustement» dont le souvenir la remet en larmes, Larissa Murerangondo fustige la «ruse» empruntée par l’administrateur. «Sa promesse des tôles n’était que pur mensonge. Nous étions plus d’une centaine à nous inscrire, mais aucun n’en a bénéficié. C’était une stratégie pour nous expulser ».
Mme Murerangondo, qui, au sortir de la prison, s’est retirée dans une maison d’un village du chef-lieu de la commune, dit vivre la peur au ventre. «J’ai été contrainte d’habiter cette maison inachevée. Je ne me sens pas du tout en sécurité, mais je dois faire avec».
Dans le site de Gitaramuka, d’aucuns affirment que l’heure est à l’exil. «Nous allons rejoindre ceux qui ont fui en 2015. Car, expulsés, à part que nous serions financièrement incapables de bâtir nos maisons, nous aurons peur à regagner nos collines, car les responsables de notre fuite restent toujours là».
«Il n’y a pas de forcing»
Pour Jeannette Niyingabiye, administrateur de la commune Gitaramuka, ces plaintes sont des mensonges. «Personne n’est obligé de rentrer». Selon elle, la commune n’a démoli aucune maison par force. Les propriétaires ont compris, à travers différentes réunions, qu’il s’agit d’un projet de développement. Ainsi, ils ont procédé eux-mêmes à leur destruction.
Mme Niyingabiye précise qu’il s’agissait de deux maisons appartenant aux déplacés réfugiés au Rwanda. «Ceux que nous avons sortis s’en étaient simplement accaparés».
Elle soutient que «ceux qui crient ont leurs raisons». Elle les appelle plutôt à regagner leurs collines, car, dit-elle, la commune aura toujours le besoin et le droit de construire dans le domaine qui lui appartient. Pour elle, grâce aux 500 millions offerts par le Fonds national d’investissement communal(Fonic), il y aura un besoin de construire dans ce site. L’administrateur Niyingabiye y envisage déjà la construction d’une salle des réunions.
Cet administratif reconnaît avoir promis des tôles aux déplacés rapatriés. Dans le premier temps, des tôles pour 16 ménages étaient prévues. Cependant, dit-elle, personne n’est allé aviser qu’il est rentré pour en bénéficier.
Pour elle, l’idée de construire lesdits bâtiments ailleurs dans d’autres domaines de la commune n’est pas réalisable. La logique est qu’ils soient proches du chef-lieu de la commune où ils profiteraient au maximum aux populations.
Le site de Gitaramuka compte au total 138 ménages. Plus de 500 personnes déplacées de la crise de 1993 et des familles batwa.