Karin Landgren a été la Représentante Spéciale du Secrétaire Général (RSSG) et chef du Bureau des Nations unies au Burundi (BNUB) au cours des 18 derniers mois. Dans une interview accordée à « Global Observatory » dont Iwacu a obtenu l’autorisation de reproduction, elle analyse les chances de paix et de développement du Burundi.
<doc4844|right>La diplomate, aujourd’hui Représentant Spécial du Secrétaire Général pour le Libéria, aborde aussi la question de l’évolution du processus politique menant aux élections de 2015.
{ Warren Hoge : Le Burundi a célébré, le 1er juillet, le cinquantenaire de son indépendance même si ce demi-siècle a été très difficile pour le pays. La presse internationale se plaît à qualifier le Burundi de « pays miné par les rebellions ». Cela est-il vrai ?}
{Karin Landgren :} Le Burundi s’est bien remis sur les rails après les accords de paix d’août 2000 avec un gouvernement de transition, un accord soigneusement établi instituant des quotas ethniques, des engagements sur la justice transitionnelle, etc.
Une difficulté déjà au départ était que les deux principaux groupes rebelles n’étaient pas partie prenante de cette entente négociée. Ils sont venus plus tard. Alors certains observateurs se demandent si leur engagement envers ces principes a été aussi sincère que celui de ceux qui faisaient partie du processus d’Arusha depuis le début.
{Tout d’abord, que pensez-vous des élections de 2005 ?}
Les élections de 2005 au Burundi se sont bien déroulées. Et puis, lors des élections de 2010, après le premier scrutin (le premier des cinq élections prévues), l’opposition s’est retirée. Ce qui est dommage pour la démocratie au Burundi parce qu’elle a permis au parti au pouvoir de rester seul dans la compétition ; le président a été élu avec plus de 95 % des voix.
{A votre avis, ce retrait de l’opposition avait quel objectif ?}
Il n’est pas surprenant que des partis issus de rébellions passées aient cherché à se reconstituer ou tout au moins ont caressé l’idée de créer une nouvelle rébellion suite à leur déception liée au processus électoral de 2010 et surtout aux résultats du scrutin. Mais, le Burundi a dépassé cette étape. L’Accord d’Arusha a analysé, jusque dans ses racines, ce qui était à l’origine de la crise au Burundi. Et je pense que les groupes rebelles qui voulaient reprendre le chemin du maquis ont réalisé que cela serait un acte suicidaire. L’étincelle n’est vraiment pas là, et on a certainement pas envie de retomber dans un nouveau conflit. Je pense que cette phase est terminée au Burundi.
{Le Burundi est dans une situation étrange aujourd’hui. Il y a un Parlement dans lequel l’opposition n’a aucune représentation. Le Burundi est aussi un pays qui organisera des élections en 2015.Qu’est-ce qui est fait pour élargir l’espace politique, donner des gages à l’opposition pour qu’elle revienne et se joigne au processus ?}
Nous sommes à mi-chemin entre les élections de 2010 et les prochaines élections de 2015. Et l’opposition a été assez claire sur son souhait de retourner au processus politique. Certains dirigeants de l’opposition, mais pas tous, sont à l’extérieur du pays. Je suis heureuse que le gouvernement ait dit qu’il est prêt à discuter les conditions de leur retour et que l’opposition ait nié toute intention de se lancer dans une rébellion. Il faut, maintenant, garantir la sécurité des dirigeants de l’opposition qui veulent rentrer pour participer à une plateforme en vue des préparatifs de l’élection. La mission des Nations Unies a noté avec préoccupation les difficultés qu’éprouvent cette année les partis politiques, y compris la simple tenue de réunions de routine hors de la capitale Bujumbura. Ils doivent se soumettre à une procédure de demande d’autorisation, or les choses ne devraient se passer comme ça. Le mandat de la mission des Nations unies est d’encourager le dialogue politique et surtout la participation de tous à la vie politique. Beaucoup reste donc à faire pour que la participation aux élections de 2015 soit réellement effective et le travail doit commencer dès maintenant.
{Le Burundi a été l’un des deux premiers pays à bénéficier des programmes de la Commission de Consolidation de la Paix (CCP), depuis cinq ou six ans. Comment cela évolue ?}
Le Burundi a très bien fait d’adhérer au programme de la Commission de la Consolidation de la Paix. Comme vous le savez, cela permet l’allocation de financements du Fonds de Consolidation de la Paix. Le Burundi a reçu plus de 40 millions de dollars. Une bonne partie de ce montant a servi au financement de la réintégration des anciens rebelles démobilisés, bien que les besoins fussent plus importants. On me dit que le Fonds de Consolidation de la Paix a épuisé l’argent qu’il pouvait allouer au Burundi. L’équation est donc de savoir ce que la CCP peut faire d’autre. Bien sûr, le plaidoyer reste une possibilité et, plus il y aura des voix encourageant les autorités burundaises et l’opposition à trouver des moyens d’aller de l’avant, mieux ce sera. Le gouvernement a clairement indiqué qu’il attend de la CCP une mobilisation des bailleurs de fonds. Le Burundi est orphelin de donateurs. Non seulement certains donateurs sont partis au cours des derniers mois, mais aussi l y a aussi une réticence claire des donateurs à fournir un soutien budgétaire direct au pays. Du coup, le Burundi connait actuellement un déficit budgétaire. C’est vraiment très sérieux. L’espoir est que la CCP soit en mesure d’encourager les donateurs non traditionnels à intensifier leur aide pour que le Burundi se sente encore soutenu.
Le Burundi a connu de terribles conflits ; il a traversé une période que les Burundais eux-mêmes qualifient de sombre et ce serait une honte – et même une décision prématurée – si la communauté internationale se désengageait du Burundi.
{Le Burundi est l’un des pays les plus pauvres du monde et je sais que le gouvernement a exprimé son souhait de le sortir de la liste des pays les plus pauvres d’ici 2020. Cela me semble vraiment ambitieux. Est-ce réalisable ?}
Le Burundi fait face à beaucoup de défis dans la lutte contre la pauvreté. Nous constatons de très bonnes intentions au niveau du gouvernement et l’adoption d’excellentes politiques et stratégies, notamment la politique de tolérance zéro contre la corruption et le renforcement de la bonne gouvernance.
Il y a un ministre de la bonne gouvernance très dynamique. Mais il y a un vrai fossé entre ces politiques et stratégies et leur mise en application. Cela ne devrait pas nous surprendre après tout dans un contexte post-conflit où la capacité d’action est très faible avec un ministère qui s’efforce d’avancer des propositions de programme et de financement. Maintenant, nous espérons qu’avec le Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté deuxième génération, qui vient d’être adopté – il comprend un volet paix et stabilité -, il y aura un regain d’intérêt parmi les donateurs et que le gouvernement mettra sur pied des programmes sectoriels solides.
{Quid de la mise sur pied des mécanismes de justice transitionnelle pour juger ce qui s’est fait dans le passé ?}
La justice de transition a été un élément essentiel des Accords de Paix d’Arusha. Les groupes rebelles, qui ont rejoint le processus plus tard, ont par la suite négocié des ententes distinctes qui effectivement leur accordaient l’immunité provisoire jusqu’à ce qu’une Commission Vérité et Réconciliation (CVR) soit établie. L’ONU a beaucoup travaillé depuis 2006 aux propositions de mise en place de cette commission et d’un Tribunal pénal indépendant. Nous la considérons toujours comme un gage de la réconciliation au Burundi.
Certes, il y a un sentiment de nervosité parmi certains acteurs sur ce qui pourrait sortir des débats au sein de la Commission Vérité et Réconciliation. Il existe aussi des préoccupations concernant la protection des témoins après le processus.
Le Burundi n’est pas, il faut le dire, une société très bavarde. Quand le gouvernement dit que les personnes se sont déjà réconciliées, il est difficile de dire jusqu’à quel point. Il est probablement vrai que les Burundais ne s’expriment pas beaucoup sur le passé. Celui-ci ne doit pas pour autant être simplement enterré. Pour bénéficier du soutien de l’ONU, ce processus devra se conformer à des normes de base internationales : pas d’amnistie pour les crimes de guerre, avoir un représentant dans la CVR et avoir un tribunal indépendant véritablement indépendant du processus de la CVR. C’est là où 2012 risque d’être crucial. En 2011, beaucoup de planifications ont été faites pour le démarrage effectif des mécanismes de justice transitionnelle et le gouvernement a dit que cela allait commencer avant la fin de 2012. Donc, nous allons voir dans les six prochains mois si cette réticence que nous percevons aujourd’hui peut être surmontée.
Une des clés pour la future stabilité
« Le secteur de l’énergie doit se développer pour attirer les investissements», estime Karen Landgren. Elle insiste aussi pour une « une certaine diversification des cultures » pour les 93 % de la population qui vivent de l’agriculture. « C’est une population qui parvient difficilement à se nourrir et tant qu’elle ne se tournera pas vers une agriculture industrielle d’exportation, la situation restera inchangée» explique-t-elle. Pour elle, le Burundi va avoir besoin de beaucoup de soutien pour se sortir de la pauvreté extrême. « C’est l’une des clés pour la future stabilité du pays. Aujourd’hui, beaucoup de gens disent que finalement les questions à l’origine du conflit étaient beaucoup plus liées aux terres et à la pauvreté plutôt qu’à l’appartenance ethnique » analyse encore l’ancienne représentante de l’ONU. « A moins que l’économie du pays ne s’améliore, nous pourrions avoir des soucis quant à la consolidation véritable de la stabilité du Burundi » conclut-elle.
Quid de la conférence des pays donateurs prévue en octobre à Genève
Pour Karen Landgren, les donateurs vont se pencher sur le Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (CSLP II). D’après elle, cela devrait être accompagné par une liste des priorités du Burundi et des besoins de financement. « Actuellement, en 2012, le Burundi est déjà confronté à un déficit budgétaire de l’ordre de 27 millions de dollars. Nous cherchons à combler les lacunes et même aller au-delà pour couvrir le financement des besoins des quatre ou cinq prochaines années de la stratégie de réduction de la pauvreté » indique t-elle.
Elle relève que le Burundi a fait d’énormes progrès et est bien noté dans le rapport Doing business. : « Le Burundi occupait la deuxième place à partir du bas de l’échelle et il est monté de 12 places en moins de deux ans seulement ». La diplomate est optimiste mais rappelle que « les défis restent énormes. »