Après avoir englouti plus de 13 milliards de francs, les travaux de construction du barrage hydroagricole de Kajeke sont à refaire. Désemparés, les agriculteurs se rabattent sur les motopompes pour l’irrigation. Ils broient du noir. Le gouvernement peine à redresser les torts.
Un lac de boue s’étend de la colline Kagirigiri de la zone Mitakataka jusqu’à Cabara de la zone Buvyuko. Un petit cours d’eau s’est frayé un passage au milieu de cette mare.
La famille d’Herménégilde Gatozi, tout comme d’autres paysans des environs y puise de l’eau pour l’arrosage des champs. «Cette étendue de gadoue est le résultat de l’échec des travaux de construction du barrage de Kajeke», déplore cet agriculteur.
Sur ce chantier en ruine, la nature a repris ses droits, des herbes et des arbustes ont poussé dans des craquelures. Des signes des travaux mal exécutés sont visibles à plusieurs endroits : des fissures un peu partout sur des colonnes, des murs des conduits d’eau en béton,… «Et dire que cela a englouti des milliards de nos francs, c’est du délire», se désole un autre paysan devant ce gâchis.
A Rugunga en zone Gihanga, à moins de trois kilomètres de ce barrage, s’étale le périmètre irrigable. Le canal principal s’est écroulé. Ce dernier devait traverser la rivière Kajeke pour alimenter la plaine de Rugunga, Gihungwe, Busongo….
Pour rappel, la construction de ce barrage a commencé en 2009. Ce chantier avait été attribué aux entreprises ETAMCO, BTCE, BETUCO-PACIFIC. Les travaux devaient durer au maximum trois ans. Le ministère en charge de l’agriculture a déclaré toutes ces entreprises défaillantes.
Il était prévu que ce barrage puisse irriguer 1.013 hectares dans sa première phase. La zone allait s’étendre par la suite jusqu’à 2.813 hectares.
Pour le moment les agriculteurs de Rugunga, Gihungwe, Busongo qui auraient pu profiter de ce barrage hydroagricole sont dans la désolation. La majorité ne vit que de la culture du riz et du maïs.
Les riziculteurs se lamentent
Joseph Ntahondi, riziculteur rencontré à Rugunga en commune Gihanga ne cache pas son désarroi : «Je suis malheureux. J’ai cultivé du riz en 2017 en espérant que je récolterai plus grâce à ce barrage.» Ce dernier indique qu’il avait 54 ares de cultures.
Malheureusement, à cause du manque d’eau pour irriguer ses champs, il n’a pas eu la production escomptée. «J’ai perdu 520 mille francs dans ce projet.» L’année agricole précédente, ajoute-t-il, je n’ai rien fait. «Je n’avais pas d’argent pour me lancer».
Face à cette situation, M. Ndorukwigira n’a pas baissé les bras. Il a encore une fois planté du riz au début de l’année 2019. Pour se procurer de l’eau lui permettant d’irriguer son champ de 96 ares, il s’est procuré une motopompe à 1 million de francs. Cette machine a été installée sur la rivière Kajeje.
«Au mois de mars, j’ai constaté que je ne pouvais pas tenir. Je dépensais 60 mille BIF par semaine pour le carburant», raconte ce cultivateur. Travaillant à perte, il s’est retrouvé contraint d’arrêter.
Pour survivre, il s’est abonné à un des particuliers possédant des motopompes sur la Kajeke. Ces derniers les font louer aux riziculteurs. A la récolte, le riziculteur ayant irrigué un demi-hectare donne au propriétaire de la motopompe 250 kg du riz. En plus de cela, c’est lui qui se charge du carburant et c’est une somme de 572 mille francs à débourser, à côté de l’engrais chimique et de la main d’œuvre.
Le malheur ne vient jamais seul, la récolte n’a pas été bonne. Sa culture du riz a été ravagée par des rongeurs. «Je devrais perdre à tout prix. J’espérais en tirer au moins trois millions de francs pour me construire une maison. Mais, mon rêve s’est volatilisé. Je récolterai une seule tonne.» Et de souligner que si l’Etat avait construit ce barrage, il n’aurait pas déboursé une telle somme.
Cet agriculteur demande au gouvernement de mettre à la disposition des paysans aux moins trois motopompes en attendant la reconstruction de ce barrage. Sinon, précise-t-il, nous continuerons à être exploités par les propriétaires de motopompes.
L’Association agro-pastorale (Asapa) profite de ce manque d’eau pour l’irrigation des champs. Elle a installé neuf motopompes. Cette association les fait louer à une trentaine de riziculteurs de Rugunga.
Pour irriguer un demi-hectare, le cultivateur paie une somme de 300 mille BIF. Ce dernier doit acheter du carburant. «Ces propriétaires de motopompes nous exploitent», a lâché un des riziculteurs.
A Gihanga, les agriculteurs ne savent plus à quel saint se vouer. Depuis 2010, Jean Nahayo déplore avoir connu un manque à gagner énorme suite au retard de ce barrage de Kajeke. «La pluie tombe durant six mois au plus et d’une façon irrégulière».
En 2018, la pluie était insuffisante et la récolte de maïs fut mauvaise. Il soutient que si le barrage de Kajeke était fonctionnel, il aurait pu récolter entre 2 et 3 tonnes de maïs sur une superficie de 110m2. « Je n’ai récolté que 500 kg».
Par ailleurs, ajoute-t-il, j’aurais pu planter du riz. «Avec les nouvelles semences améliorées du riz, j’aurais pu récolter trois fois par an.» Après la récolte du riz, il aurait pu également cultiver du maïs ou de la patate douce. Il soutient que ces cultures sont parmi les aliments de base de la population de Gihanga.
Des questions… sans réponses
A quand la reprise des travaux sur ce chantier abandonné ? Pouvons-nous espérer un jour voir nos champs bien irrigués par ce barrage sur la Kajeke ? Les quatre entreprises défaillantes sont-elles poursuivies en justice ? Telles sont les questions que se posent tous les habitants de Bubanza rencontrés.
Au vu de toutes ces questions, le ministère de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Elevage semble avoir mis de côté cette affaire. Émérence Nirera, porte-parole de ce ministère est catégorique : «Répondre à ces questions n’est pas pour le moment prioritaire. Le ministère a d’autres dossiers très urgents.» Peut-être qu’il s’agit de la demande d’engager des poursuites contre des responsables des quatre sociétés défaillantes.
Au mois de février, ce ministère a reçu un don de la part du gouvernement japonais composé de 5.716,08 tonnes de riz d’une valeur estimée à plus de 7 milliards BIF. Le gouvernement burundais a annoncé par la suite que ce riz sera vendu pour que le montant obtenu puisse servir à sauver le barrage de Kajeke.
Cette infrastructure aujourd’hui en ruine avait été construite sur financement du gouvernement burundais avec un budget s’élevant à 13 milliards BIF.