Vendredi 22 novembre 2024

Environnement

Kabezi : Surexploitées, les montagnes se révoltent

19/04/2022 1
Kabezi : Surexploitées, les montagnes se révoltent
-Un grand glissement de terrain sur la sous-colline Ceri.

Des sans-abris, plusieurs hectares de champs agricoles détruits, entre autres conséquences des éboulements de montagnes en commune Kabezi de la province Bujumbura. Une situation qui préoccupe l’administration communale. Reportage.

« Ma maison s’est effondrée. Aujourd’hui, je n’ai plus où loger mes enfants. Pire, mes champs ont été emportés par la colline. C’est un calvaire ! », déplore Bernard Ntakirutimana, un père de famille rencontré sur la sous-colline et colline Kiremba. Une localité entourée par la colline Mwazi au nord, Gitenga à l’est, Mena à l’ouest et Kabezi au sud. Du chef-lieu communal, il faut faire six km pour y arriver et dévaler les pentes. On doit encore marcher et traverser la rivière Kanyanzi. C’est en zone Ramba.

Vue de loin, cette colline offre un spectacle réjouissant. Une verdure avec des bananeraies à perte de vue. Des arbres fruitiers de mandarines, d’oranges ou de palmiers à huile.
Cette verdure cache une autre réalité. De grandes fissures ne cessent de s’élargir, des terres et des blocs de pierres cèdent, balayant sur leurs passages des champs agricoles, des arbres, etc. La terre s’affaisse. Dans certains coins, on ne trouve plus de traces de maisons. Pour une dizaine d’autres, il ne reste que quelques murs, des briques entassés au sol. Les occupants ont dû quitter les lieux. Plusieurs autres habitations sont sur le point de s’écrouler.

Une situation qui dure depuis des mois, selon les habitants. « C’est au mois de juillet 2021 que nous avons commencé à voir ces fissures. Petit à petit, elles se sont élargies et des maisons, dont la mienne, ont commencé à s’effondrer. Aujourd’hui, je loge avec mes huit enfants dans une famille amie », décrit Bernard Ntakirumana. Ce père de famille indique qu’il n’a rien pu sauver de sa maison. Ce qui lui donne du fil à retordre pour subvenir aux besoins de sa famille.

Même calvaire pour Mathias Banciryanino, un autre père de famille : « Cela fait très peur. On ne sait plus quoi faire. Au début, c’était une petite cassure au sommet de la montagne. Neuf mois après, nous avons vu les fissures se généraliser, des affaissements. La première maison se trouvait ici. Après son effondrement, d’autres ont suivi, dont la mienne. »
Très inquiet, ce septuagénaire dit que c’est la première fois que cela arrive sur cette colline : « On pourrait dire que c’est lié aux fortes pluies, mais ces fissures ont commencé en pleine saison sèche. »

Pire encore, poursuit-il, sa famille d’accueil est pauvre. Pour survivre, il est obligé d’être tâcheron, malgré son âge : « Si je parviens à avoir 2000BIF par jour, on achète 1 kg de haricot et un peu de farine de manioc. Ce qui est très insignifiant pour une famille de sept personnes. Mais on n’a pas d’autre choix. » Il demande au gouvernement de les délocaliser : « Il faut qu’on nous installe ailleurs, car même d’autres collines environnantes vont être touchées.»

Sur cette colline Kiremba, Ambroise Ntitangirageza, chef collinaire, fait état de 16 maisons détruites. Ce qui fait, selon lui, 118 personnes aujourd’hui sans abris. « Un effectif qui va sans doute s’agrandir parce que le phénomène se poursuit », prévient-il.

Plus de 60 ha menacés à Migera

Certaines maisons effondrées sur la colline Kiremba.

Dans cette commune surplombant le lac Tanganyika, un autre grand affaissement de plusieurs mètres est en cours. C’est sur la sous-colline Ceri, colline et zone Migera, à plus ou moins 1km du centre Mutumba. « C’est vraiment très inquiétant. Cela a commencé le 28 mars. Et le glissement s’est poursuivi et voilà. Avant, nous avons vu des fissures. Nous avons cherché les causes, en vain. C’est par après que nous avons vu les terres s’affaisser», raconte Emmanuel Nibizi, chef de colline.

D’après lui, c’est 64 hectares qui sont concernés. « C’est là que nos populations cultivaient du haricot, du manioc, du maïs, du palmier à l’huile, etc. » Il déplore que ces dernières ne pourront pas voir le fruit de leurs efforts en termes de récolte. Cet administratif à la base fait le bilan de dix ménages menacés directement. Tout ce qu’emporte ce déplacement de la montagne finit dans la vallée de la rivière Karonge. Un phénomène remarqué aussi sur la colline Gihangange jouxtant Migera.

Cassilde, une cultivatrice rencontrée sur place, affirme que les pertes sont énormes : « J’ai déjà beaucoup perdu. J’avais 30 pieds de palmiers à l’huile qui me donnaient pour chaque saison entre 250 mille BIF et 300 mille BIF, des bananiers qui pouvaient me procurer entre 50 mille BIF et 100 mille BIF.» Cette mère de huit enfants ne comptabilise pas ses champs de haricot, de manioc… déjà engloutis. « On va mourir de faim. Peut-être que c’est la fin du monde. C’est du jamais vu depuis mon enfance », confie-t-elle, terrifiée.

M.Nibizi évoque d’autres cas de glissement sur sa colline : « Le même phénomène a fait écrouler 19 maisons sur la sous-colline Mutumba. Nous remercions la Première Dame pour son assistance aux victimes. Et nous demandons aussi que ceux de Ceri soient assistés à temps. »

Un appel à la solidarité

Ferdinand Ndanezerewe : « Quand cela arrive, notre priorité est d’abord d’éviter qu’il y ait des dégâts humains. »

Selon Ferdinand Ndanezerewe, conseiller de l’administrateur communal de Kabezi, sur les 16 collines de la commune Kabezi, quatre sont touchées par ce phénomène d’affaissement des montagnes. Il s’agit de Kiremba, Mubone, Migera et Rugende. « Quand cela arrive, notre priorité est d’abord d’éviter qu’il y ait des dégâts humains. C’est pourquoi on demande à la population de vider les lieux dès qu’elle constate que les fissures s’intensifient».

Ainsi, il demande à la population d’être solidaire : « Chaque fois qu’il y a des déplacés, il faut les héberger en attendant que l’administration s’organise pour les assister. » Il appelle même les natifs de cette commune à continuer à aider ces personnes déplacées : « Il faut qu’elles aient prioritairement des logements. Pa la suite, avoir une assistance alimentaire. »

Pour M.Ndanezerewe, ce phénomène est une des conséquences du réchauffement climatique.

Quant à Tharcisse Ndayizeye, expert en environnement, il assure que ce phénomène est lié à la constitution de ces montagnes : « Une montagne est constituée par des roches mélangées avec de l’argile. Puis, il y a une infiltration d’eau. S’il y a des aménagements agraires, par exemple en aval, cela permet à l’eau de sortir. Ce qui provoque un phénomène appelée lixiviation. La montagne descend et emporte ses charges végétales, des maisons, etc. » Cet expert propose que l’on délocalise les populations qui se trouvent dans ces endroits.

Tharcisse Ndayizeye, expert en environnement indique que ce phénomène est une des manifestations des effets de changements climatiques. Il est lié à la constitution physique de ces montagnes : « Une montagne est constituée par des roches mélangées avec de l’argile. Puis, il y a une infiltration d’eau. S’il y a des aménagements agraires, par exemple en aval, cela permet à l’eau de sortir. Ce qui provoque un phénomène appelée lixiviation. La montagne descend et emporte ses charges végétales, des maisons, etc. »

Pour lui, la concentration humaine dans ces genres de localité empire la situation. Avec des constructions, des exploitations agraires anarchiques, les sols deviennent très fragiles. D’après lui, la pression démographique a un impact négatif sur les forêts, détruit le couvert végétal et les cultures ne peuvent pas jouer le même rôle que celui joué par des arbres : « Ceux-ci protègent contre l’érosion, la fragilité des sols. »

D’après ce professeur d’Universités et expert en environnement, les changements climatiques sont là. « Il faut s’adapter, chercher des solutions résilientes. Et là, il faut que ces montagnes soient réservées aux forêts, aux arbres et installer les populations dans d’autres endroits qui ne sont pas à risques », propose-t-il.

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Nkebukiye

    « …Cet expert propose que l’on délocalise les populations qui se trouvent dans ces endroits ».
    M. L’Expert, quelles seraient les solutions pour limiter ces glissements ou les endiguer complètement ?

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