Vendredi 22 novembre 2024

Société

Kabezi, le havre de paix

10/11/2015 7

Adossée contre le Lac Tanganyika, la pièce charnière de son économie, Kabezi présente un visage mi- rural, mi- citadin. Contrairement aux communes voisines de Bujumbura rural, elle semble avoir été épargnée par la crise qui secoue le pays.

Abapishi, les ‘cuisiniers’ des pêcheurs ©Iwacu
Abapishi, les ‘cuisiniers’ des pêcheurs ©Iwacu

À une quinzaine de kilomètres de Bujumbura, érigée sur un plateau surélevé, à quelques encablures du Lac Tanganyika, la pierre Livingstone et Stanley paraît souhaiter à tout voyageur la bienvenue dans la commune Kabezi.

Deux kilomètres plus loin, on rejoint le centre de Kabezi. Au bord de la RN3, un petit marché traditionnel tenu pour la plupart par des femmes semble narguer la grande bâtisse en béton, construite pour abriter le marché central de la commune.

Sur les étals du marché escamotable, les deux incontournables de la région: la chikwangue (uburobe) et du poisson, frais ou grillé. « Plus frais que celui-là, c’est qu’il est vivant », clame une vendeuse à propos des poissons qu’elle vend. Véridique, car les poissons viennent d’être pêchés juste à côté, dans le lac Tanganyika.

Lac Tanganyika, la vache laitière de la région

Dès 17h, plusieurs jeunes hommes de Kabezi se dirigent vers les rives du lac Tanganyika pour l’activité la plus pratiquée dans ce milieu : la pêche. « On peut passer une nuit sur le lac et rentrer bredouille, mais cela arrive rarement, notre ‘‘plage’’ abonde de poissons, contrairement aux autres plages du lac Tanganyika », confie un jeune pêcheur.

La plage en soi se nomme Nyamugari. Dans la matinée de ce jeudi 25 octobre, sous la brise rafraîchissante du Lac, elle s’est transformée en un véritable village. Pendant que plusieurs bateaux amarrés se balancent au rythme des vagues, des enfants courent dans tous les sens, des femmes, assises sur de petits tabourets, font la cuisine à quelques mètres du lac, tandis que des groupes électrogènes en train de charger les batteries pour lampes diffusent une musique assourdissante. Un peu à l’écart, un petit marché pour menus articles grouille de monde, et un bistrot improvisé sous l’ombre d‘un arbre compte déjà quelques hommes pompette, pour la plupart commerçants ou propriétaires de bateaux. Quant aux pêcheurs, ils dorment dans des tentes à même le sol, harassés par une nuit chargée, mais le visage serein car la prise a été bonne.

Atouts et défis :

Atouts : le lac Tanganyika, une Route nationale pour écouler les marchandises, un climat propice à toutes les sortes de cultures.

Défis : À part le chômage des jeunes intellectuels, l’autre principal défi est le manque d’électricité, malgré la proximité de la rivière Mugere, dont le barrage fournit de l’électricité pour une partie de la capitale. Mais aussi, un réseau routier insuffisant, les quelques sentiers ou pistes devenant impraticables en période de pluies.

« Nyamugari est la première ‘‘plage’’ pour pêcheurs à avoir existé à Bujumbura », nous informe Bertrand Manirakiza, membre du comité de la plage Nyamugari. Et ce jeudi, des pêcheurs venus de Rumonge, Gitaza, Karonda, Mvugo, Magara, Kajaga, et même de la RDC s’y sont rencontrés. « Ndagalas » et « Mukeke » sont à profusion. Des voitures sont venues acheminer les cargaisons de poissons vers la capitale, où le « mukeke » constitue un des mets les plus prisés.

« Abapishi », un métier controversé

Les dizaines de femmes rencontrées sur la plage Nyamugari sont pour la plupart des « cuisiniers » ambulants, d’où leur nom, « abapishi » (du swahili « kupika », cuisiner). Elles suivent par voie terrestre les pêcheurs, partout où ils vont accoster. Elles leur préparent les repas et sont payées selon la prise, en espèces ou en poissons. « C’est une relation de confiance que nous avons bâtie, les jours de vache maigre ne nous font pas détaler car on sait que demain peut être meilleur », explique Aisha Niyokwizera, venue exprès de Rumonge.

Pourtant, ces mêmes « abapishi » sont pointées du doigt par certains comme étant des filles de joie, offrant leurs charmes à des pêcheurs en manque. « C’est fort possible, concède Bella Nicimpaye. Tout le monde ici n’a pas les mêmes objectifs, mais l’essentiel est que personne ne se plaint.»

Kabezi, en long et en large
Kabezi est une des neuf communes de Bujumbura rural. Elle est frontalière avec la commune Muha de Bujumbura mairie, Kanyosha de Bujumbura rural, Mutambu, et Rumonge.Elle compte une population de 69 084 habitants selon le recensement de 2008, une population répartie sur une superficie 160 km². Kabezi est composée de 12 collines formant trois zones, à savoir Migera, Ramba, Mubone. Elle connait deux régions naturelles, à savoir les Mirwa et Imbo.Son économie est basée principalement sur la pêche, l’agriculture et l’élevage. « Dans le domaine de l’éducation, comme le souligne Rénilde Ndayishimiye, chaque colline a une école fondamentale, et les filles sont plus nombreuses que les garçons sur le banc de l’école. »

Kabezi, une commune qui vient de loin

Kabezi est désignée comme une des premières régions à flamber lors de la crise de 1993. Mais aussi, c’est une des dernières à sortir de la crise, car le dernier mouvement rebelle, à savoir le FNL, y a opéré jusqu’en 2008. Dans cette contrée, tout le monde, ou presque, a été affecté par la guerre. Ce qui traduit un certain traumatisme consécutif aux événements tumultueux qui ont marqué le passé de cette région.

« C’est une des raisons qui font qu’il n’y ait jamais eu des manifestations dans notre commune, on ne veut pas replonger dans les affres du passé », confie Rénilde Ndayishimiye, administratrice de la commune. Pourtant, la population signale que Kabezi est le point de passage des groupes armés venus de la RDC par voie maritime se rendant vers les communes de Kanyosha et Nyabiraba.

Des hauteurs de Kabezi, le spectacle offert par le lac Tanganyika est à couper le souffle. Les reflets multicolores du soleil, se mouvant comme des serpents au grès des vaguelettes, chatoient devant le regard. Dans la beauté du soleil couchant, toute la région dégage un calme apaisant, une impression de sérénité, mais pour combien de temps ?

À savoir sur Kabezi

Chikwangue (uburobe), l’ami du voyageur :

Il s’agit d’une pâte à base de manioc cuit, puis roui, conservée dans des feuilles de bananier. Elle a un goût un peu aigre et on peut la manger avec n’importe quelle sauce.

Pierre Livingstone et Stanley :

Sorte de menhir érigé sur la colline Gakungwe, en commune Kabezi, pour immortaliser la rencontre du 25 novembre 1871 entre le célèbre savant-explorateur David Livingstone et le jeune reporter Henry Morton Stanley, parti à sa recherche.


Dominique Ndayisenga, le rassembleur visionnaire


À 27 ans, ce jeune homme est à la tête d’une association d’autopromotion, regroupant les jeunes de Kabezi, sans considération d’ethnie, ni d’obédience politique.

Dominique, supervisant la peinture du nouveau local de son association ©Iwacu
Dominique, supervisant la peinture du nouveau local de son association ©Iwacu

« L’idée m’est venue des ‘‘ligalas’’ : pourquoi s’asseoir pendant des heures à raconter n’importe quoi, alors qu’on peut se mettre ensemble et faire quelque chose de plus constructif pendant ce temps!», s’exprime Domitien sur la genèse de l’association « Nouvelle Vision.»

Et en octobre 2011, avec quelques amis, il lance l’association. Quatre années plus tard, ils sont passés de 25 à 125 membres, et sont devenus un partenaire incontournable de l’administration quant aux projets destinés à la jeunesse.

Un modèle pour la jeunesse de Kabezi

Dominique, pour les intimes Domi, est un jeune homme affable, né à Kabezi. Il y a fait son école primaire et une partie de son secondaire, avant de partir entreprendre son cursus supérieur à l’Ecole Normale Supérieure de Bujumbura.

De la fratrie de huit enfants, il en garde un esprit de compétitivité. « Ce qui explique pourquoi je n’ai pas eu de gros problèmes dans ma scolarité », explique-t-il, sans  prétention.

Après les quatre années de Sciences Appliquées à l’ENS, Dominique repart s’installer chez lui, où il va travailler comme professeur à l’école fondamentale de Masama.

Jean de Dieu, un ami proche, apprécie chez Dominique l’intelligence, la compréhension, et la solidarité dont il fait preuve envers autrui.

Ce qui ne manque pas de hérisser ce dernier, car pour lui, ces compliments ne seront mérités que le jour où il verra que tous les jeunes de son association pourront enfin se sortir de la gangue de pauvreté dans laquelle ils sont empêtrés.


Les jeunes de Kabezi s’expriment

Partant de la concorde qui semble caractériser les relations entre les habitants de cette région, ces jeunes proposent des pistes de sorties pour la crise qui mine le pays, car pour eux, le plus important n’est pas de s’entre-déchirer, mais construire un avenir meilleur.

Anicet Harerimana, « ayez le courage de dialoguer ! »

Anicet Harerimna«Personne n’est né dans un parti, et au cimetière il n’y en a pas. Faut-il être très intelligent pour comprendre ce que je veux dire ?», s’exclame ce président de l’association des anciens combattants du FNL.

Pour lui, le grand problème auquel il faudrait s’atteler, c’est la pauvreté. « Je regarde mes petits frères qui, après de longues années à faire des études, viennent croupir à la maison boulot. Que va-t-on leur servir ? Ces vaines chicaneries ? », s’insurge-t-il.

Anicet Harerimana propose, qu’au lieu de penser à exploiter les jeunes, il vaudrait mieux les aider à se développer, et pour y arriver, il va falloir« avoir le courage de dialoguer, de parler franchement à l’autre et l’écouter.»

Mélissa Niteka copieMélissa Niteka, « servez-nous d’exemples.»

Cette jeune femme, enseignante sans travail, s’adresse particulièrement aux parents. « La meilleure éducation qu’on peut offrir, c’est servir d’exemple », affirme-t-elle.

Et pour elle, « savoir tendre l’oreille est une qualité, qui, pour l’inculquer aux autres, il faut pouvoir y arriver soi-même ». Une façon à elle de lancer un appel au dialogue.

Emmanuel NduwimanaEmmanuel Nduwimana, « tolérance !»

Très touché par les anciennes crises que le Burundi a traversé, cet ancien combattant du CNDD-FDD, président de l’association des démobilisés de cet ancien mouvement rebelle, porte en horreur tout ce qui peut faire appel à la violence.

« Et à l’origine, ce n’est que l’intolérance qui finit par dégénérer en haine, et en massacres», analyse-t-il.
Emmanuel pense que partager une même langue, une même histoire, devrait rapprocher tous les burundais, et faire tout pour éviter de réitérer les mêmes erreurs que dans le passé.

Forum des lecteurs d'Iwacu

7 réactions
  1. dibango

    Un article qui montre que finalement la coahabitation pacifique est tjrs possible au bdi. Merci au groupe Iwacu

  2. petite erreur à corriger

    la chikwangue (uburobe) : ce n’est pas vrai, ce n’est pas la même chose.

    1. Chikwangue (kwanga) : La chikwangue, en lingala appelée kwánga, est un mets traditionnel du bassin du fleuve Congo, de la République démocratique du Congo comme de la République du Congo. Il s’agit d’un pain de manioc roui et moulé dans une feuille de bananier puis cuit à l’eau.

    Voir aussi : https://fr.wikipedia.org/wiki/Chikwangue

    2. Uburobe (ou Ubuswage, nom commercial), contrairement à la chikwangue, c’est le manioc 1. cuit, 2. mis dans l’eau pour un temps (quelques jours pour le faire perdre le amer de certaines espèces de manioc), 3. RE-cuit et qu’on pile pour en faire une pâte/pain et qu’enfin on moule dans des feuilles de bananier. C’est ce dernier mets qui se fabrique et vend au Burundi et dans Kabezi que vous citez.

    Voir aussi : http://gbukeyeneza.mondoblog.org/tag/ubuswage/

    La chikwangue est plus nourrissant que l’Ubuswage.

    • La « chikwangue » se veut comme l’appellation référentielle pour nommer « ubuswage », dans un registre visant une compréhension universelle. A titre d’exemple, le « foufou », dont le procédé de fabrication, voire même la composition, diffèrent selon les régions, mais qui tend parfois à être employé pour toutes les sortes « bugari ». Si la « chikwangue » n’est pas le frère d’ « ubuswage » (ce dont je doute fort, pour ceux qui ont déjà goûté aux deux produits), c’est son cousin proche.

  3. Inyankamugayo

    Chikwangue (uburobe): Il s’agit d’une pâte à base de manioc cuit, puis roui, conservée dans des feuilles de bananier . (Jusqu’ici c’est d’accord)

    Elle a un goût un peu aigre et on peut la manger avec n’importe quelle sauce. (Gros mensonge et calomnie): Le goût de l’Uburobe n’est pas ni aigre, ni amer, ni désagréable! Je demande à Kaburahe d’exiger l’éditeur de cet article à demander pardon. Il a utilisé un terme totalement dénigrant et calomniant envers l’Uburobe que la population consomme. Revisitons le terme ‘aigre’et vous m’en direz la signification et si l’éditeur devrait utiliser ce terme à cet endroit.

    Armel, svp, dit pardon envers les consommateurs de Chikwangue, uburobe

    • Baobab

      @Inyankamugayo
      En plus il ose confirmer sans prouver que « La chikwangue est plus nourrissant que l’Ubuswage. »
      A mon avis les deux sont équivalents: composés essentiellement de sucres lents (amidon)! Cela doit être bon (source d’énergie) pour ces gens qui ne cessent de monter et descendre des collines transportant des bagages imposants (parole d’un néophyte en diététique)!

    • Taga

      Calmement cher Inyankamugayo, l’erreur est humaine, et celui qui ne fait rien est l’individu sans risque sur ce point…. Puis, en general, les gouts et les couleurs ne se disputent pas facilement. Il est fort probable que j’apprecie beaucoup le Busagwe que vous sans toutefois faire beaucoup de bruit! Yaba uri hafi yanje nogutumiye tugasangira…

  4. Vladimir

    peu d’articles on su me faire oublier et me transporter hors de ces scenes de violence comme le votre.Merci

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