Le ministère de la Justice du Burundi a mis en vente des biens appartenant à des personnes accusées d’avoir trempé dans le coup d’Etat de mai 2015. Des femmes et des enfants vont se retrouver dans la misère payant pour des « crimes commis par les pères de familles. » Plusieurs voix dénoncent cette situation. *Pacelli Ndikumana, est un avocat burundais établi à Londres. Il suit de très près la situation politique burundaise. Il nous livre son éclairage sur ces ventes qui suscitent un grand malaise.
Sur les ventes de ces biens, votre avis en tant qu’avocat ?
J’ai été consterné par le jugement de la Cour Suprême qui condamne 27 personnes a des peines de servitude pénale à perpétuité pour une « infraction de tentative de coup d’État ».Dans un article intitulé « La limite du nombre de mandats présidentiels » que j’avais publié en août 2014, j’écrivais ceci : ‘Comme le Président de la République a délibérément omis de mettre sur pied une des institutions clés prévues par la Constitution et dont le rôle est d’engager la responsabilité pénale du Président de la République en cas de besoin, nous considérons qu’une déclaration de candidature du Président de la République serait interprétée par le peuple souverain comme un acte prémédité et criminel de haute trahison dont la nature et le caractère sont synonymes de coup d’État civil. Cette déclaration de candidature ouvrirait la voie au peuple souverain qui serait libre d’utiliser tous les moyens à ses dispositions pour mettre un terme à ce coup de force du Président de la République.’
L’acte qui a été reproché à ces officiers est d’avoir effectivement tenté de mettre un terme à ce coup de force du Président de la République et ils avaient reçu le soutien du peuple souverain. A mon humble avis, ce jugement revêt un caractère éminemment politique.
Quid de la question de l’indemnisation des personnes morales de droit public ( l’Etat et les communes ?)
Au regard de la question de l’indemnisation des personnes morales de droit public [l’Etat et les communes], aucune disposition du Code de procédure pénale, spécialement en son article 219 sur la constitution de partie civile, n’autorise l’Etat, les Communes et même les personnes morales de droit privé à se constituer partie civile. Cette disposition établit une présomption que la partie lésée sera toujours une personne physique et accepte uniquement les ASBL que dans des conditions strictes et limitatives. La vente des biens meubles et immeubles des personnes condamnées dans ce procès constitue donc un abus caractérisé de droit et relève de l’acharnement non seulement à l’égard des personnes injustement condamnées, mais aussi à l’égard des membres de leurs familles restreintes et larges. Nous ne sommes pas éloignés de la pratique immorale et révolue de nos ancêtres de « Kunyaga urukomba mazi n’ukwangaza umuryango wose ».
Pour faire simple, les épouses et les enfants ne doivent pas payer les fautes des pères de famille, c’est cela ? Et si le couple est marié sous le régime de la communauté des biens, ce qui est le cas souvent au Burundi…
Effectivement, comme le prescrit si bien le contenu de l’article 18 du Code pénal : « La responsabilité pénale est personnelle : nul n’est punissable qu’en raison de son propre fait sans préjudice des dispositions particulières figurant dans le présent code. » En partant de l’hypothèse d’école que la commission d’une infraction des pères de famille serait établie par une juridiction, les peines complémentaires [confiscation spéciale, etc..] ainsi que les ordres de paiement des dommages-intérêts aux victimes ne devraient en aucune mesure affecter les biens immeubles et meubles qui sont sous le régime matrimonial de la communauté des biens.
Quelles sont les conséquences d’une telle décision ? Certains parlent même de spoliation ?
Lorsque le jugement rendu par la Cour Suprême est vicié en droit quant au fond et dans toute sa procédure, les conséquences sont que tous les actes de vente des biens des « condamnés » ne seront pas couverts par la légalité. C’est exactement un acte de spoliation de la part de l’Etat à l’égard des personnes injustement condamnées et de leurs familles respectives.
Vous conseillerez par exemple à quelqu’un d’acheter pareils biens ? Est-ce qu’un jour les enfants peuvent se retourner contre quelqu’un qui a acheté un bien qui appartenait à leur parent ?
Toute personne munie d’un minimum de bon sens comprendrait que l’achat d’un bien immeuble dont le propriétaire a été injustement condamné court le risque certain que cette acquisition immobilière sera remise en cause dans le futur.
Si vous aviez un conseil à donner à ceux qui sont concernés par cette mesure, les victimes d’abord, ce serait ?
Les ayants droit et même les personnes injustement condamnées se réservent le droit de procéder à toutes les voies de recours possible afin que ce jugement soit annulé ou révisé. Eu égard à la nature éminemment politique de ce jugement, les ayants droit et les personnes injustement condamnées devront attendre que le régime politique change pour faire valoir leurs droits et être réhabilités. Mon conseil aux victimes serait de leur demander d’explorer avec le soutien de leurs avocats toutes les voies de recours contre le jugement en matière pénale, mais aussi contre les procédures de vente des biens immeubles qui ont violé les principes et droits relatifs à la protection du droit à la propriété conformément à l’article 36 de la Constitution.
Et aux autorités judiciaires ?
Aux autorités judiciaires, je réitère encore une fois mes conseils de faire preuve d’un sens élevé de probité, d’une indépendance d’esprit et de courage afin de dire le droit au nom du peuple murundi.
Propos recueillis par Antoine Kaburahe