Manquement à la loi, négligence dans le traitement du dossier, enquête non approfondie… Des irrégularités entourant l’affaire de l’élève Christelle Ndayishimiye. Me Janvier Bigirimana recommande la réhabilitation et la réparation de la victime.
Selon les sources en provenance du lycée communal de Mugendo, tout commence au mois de février 2023. Le directeur de ce lycée, Oscar Nemeyimana, demande d’entretenir des relations sexuelles avec la jeune fille, élève en 3e année de langues. Des messages lui sont envoyés. L’élève résiste. Mais des menaces de la part de son directeur continuent à lui parvenir.
La fille se sent dépassée par les événements. Elle prend la décision de se plaindre auprès du directeur communal de l’enseignement et auprès de l’administrateur communal à Ntega. Mais, malheureusement, elle n’obtiendra pas gain de cause.
Entretemps, le directeur apprend que l’affaire est déjà connue du public, il prend fuite parce que certains enseignants commençaient à réclamer son arrestation.
Selon nos sources, il passera deux mois en cachette et retourne à Ntega au mois de juin. Mais comme il avait déjà été remplacé à son poste de directeur, il a été muté à l’école fondamentale Rushubije dans cette même commune comme simple enseignant.
Dès son retour, racontent nos sources, Oscar Nemeyimana tente de faire chasser le préfet des études du lycée Mugendo. Ce dernier étant parmi ceux qui réclamaient son arrestation.
Christelle Ndayishimiye et deux enseignants arrêtés et emprisonnés
Selon nos sources, un montage est orchestré à l’endroit de Gérard Bigirimana, préfet des études, Bonaventure Misago, enseignant au lycée communal de Mugendo, et Christelle Ndayishimiye, les impliquant dans une affaire de fraude des examens.
Les deux enseignants sont poursuivis pour avoir fourni les examens à l’avance à la jeune fille. Une affaire, disent nos sources, montée de toutes pièces pour étouffer l’affaire de l’ancien directeur du lycée communal de Mugendo, Oscar Nemeyimana.
Les trois ont alors été arrêtés et emmenés au cachot de la commune Ntega, où ils ont passé plus d’une semaine, avant d’être transférés au cachot du parquet de Kirundo. Peu après, Christelle Ndayishimiye sera entendue au tribunal de Grande Instance de Kirundo.
Trois juges, Benoît Ntisumbwa, Jean Pierre Sikubwabo et Joël Nibizi, siégeant dans une audience du 12 juillet, condamnent Christelle Ndayishimiye pour « révélation du secret professionnel ». Elle et les deux enseignants sont alors écroués à la prison de Ngozi.
L’affaire de Christella Ndayishimiye commence à inonder les réseaux sociaux. Les défenseurs des droits crient au scandale judiciaire.
Quelques jours après, Christelle Ndayishimiye bénéficiera d’une libération provisoire, le 16 juillet, sur décision du procureur de la République de Kirundo, Jean Claude Ndemeye. Les deux enseignants, quant à eux, restent incarcérés à Ngozi.
Les trois juges suspendus
Mardi 18 juillet, le président de la République, Evariste Ndayishimiye effectue une descente dans la commune Gihogazi en province Karusi pour recueillir les doléances de la population.
Dans un entretien qu’il a eu avec la population, il déplore la décision prise par les magistrats du tribunal de Grande Instance de Kirundo à l’endroit de l’élève Christelle Ndayishimiye, l’accusant de révélation professionnelle alors qu’elle serait victime de violences sexuelles. Et de les inviter à démissionner : « Vaut mieux abandonner cette profession et allez faire autre chose. Il n’y a pas de magistrat mercenaire. Un magistrat est là pour rendre justice. »
« Dites-moi, quel est ce magistrat qui dit qu’un élève a volé les examens puis l’accuse de révélation de secret professionnel au moment où l’enseignant aurait abusé sexuellement une élève et par après on accuse cette dernière », s’est-il indigné.
Jeudi 20 juillet, Domine Banyankimbona, ministre de la Justice, effectue une descente dans la province Kirundo. Elle rencontre à huis clos les juges et des substituts du tribunal de Grande Instance de Kirundo. A l’issue de l’entretien, elle a déclaré qu’il y a eu négligence et erreur de la part des trois juges dans le traitement du dossier de Christelle Ndayishimiye.
Dimanche 23 juillet, une mesure tombe sur le compte Twitter du ministère de la Justice. Domine Banyankimbona décide de suspendre de leurs fonctions pour deux mois les trois juges du tribunal de Grande Instance de Kirundo qui ont siégé dans le dossier de l’élève Christelle Ndayishimiye.
Eclairage
« L’erreur est humaine, mais ce qui est arrivé est un manquement à la loi »
Des juges du tribunal de Grande Instance de Kirundo condamnent l’élève Christelle Ndayishimiye en l’accusant de révélation du secret professionnel. Est-ce que c’est normal ?
La condamnation de la jeune élève Christelle Ndayishimiye ne saurait point être normale, mais elle est plutôt un scandale judiciaire qui ternit une fois de plus l’image de la justice burundaise. Sinon, comment justifier qu’une jeune fille qui a porté plainte contre un directeur d’école pour harcèlement sexuel se retrouve dans une situation où c’est elle-même, en qualité de victime plaignante, qui est poursuivie et condamnée sans moindres scrupules.
Il aurait été judicieux de constater que la jeune fille était dans une situation de vulnérabilité à plusieurs égards et qu’elle méritait une attention particulière pour pouvoir se libérer des griffes de son directeur.
Outre son jeune âge, Christelle Ndayishimiye était confrontée à une situation délicate, étant entendu que le lien de subordination existant entre elle et le directeur était tellement fort. Sans oublier que sa plainte relève d’un grand courage qu’il faut saluer.
Face au comportement des juges dans ce dossier, les mots sont faibles pour qualifier leur agissement irresponsable qui jette un discrédit total sur la capacité du pouvoir judiciaire burundais à protéger les citoyens et à permettre qu’ils soient tous égaux devant la loi.
Des droits de l’enfant bafoués ?
L’article 60 de la Constitution érige le pouvoir judiciaire burundais en gardien des droits et libertés de citoyens, mais nous constatons malheureusement qu’il est, au contraire, devenu un outil de répression que les puissants utilisent à leur guise pour piétiner impunément les droits des faibles.
Même si les magistrats avaient simplement omis d’engager des poursuites contre le vrai présumé auteur, ils auraient déjà commis un crime grave compte tenu de l’ensemble des éléments du dossier, un focus étant mis sur le profil de la victime. Il importe de rappeler que la Constitution du Burundi, à l’instar de la Convention Internationale protégeant les droits des enfants qui lie le Burundi, prévoit que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être préservé et mis en avant.
Pire encore, lorsque ces magistrats ont décidé de condamner la victime, ils l’ont condamnée de manière scandaleuse pour une infraction qu’elle ne pouvait pas commettre.
En effet, en raison de son statut d’élève, elle a été poursuivie et condamnée pour avoir violé un secret professionnel alors qu’elle ne détenait aucun secret professionnel de sorte qu’il est aberrant qu’une telle infraction soit retenue contre elle.
Bref, la victime qui devait être protégée a été condamnée sans aucune base légale.
Dans une descente effectuée à Kirundo, Domine Banyankimbona, ministre de la Justice, a déclaré qu’il y a eu négligence et erreur dans le traitement du dossier de Christelle Ndayishimiye. Faites-vous la même lecture ?
La ministre de la Justice a évoqué une erreur et négligence dans le traitement du dossier par les magistrats défaillants. Certes, l’erreur est humaine mais ce qui est arrivé est un manquement à la loi, à la déontologie et c’est même dangereux pour la société.
En effet, les valeurs d’Ubuntu, d’humanité ainsi que les principes élémentaires notamment de motivation des décisions judiciaires ont été foulés au pied par un collège de trois magistrats de carrière. C’est très honteux ! Ainsi, ce n’est ni une simple erreur ou négligence puisque les faits dépassent l’entendement.
Des zones d’ombre dans le dossier ?
On devrait puiser davantage et deux pistes peuvent être explorées : celle de l’influence issue des cercles influents du parti au pouvoir ainsi que celle liée à une éventuelle corruption. Il importe qu’outre les poursuites judiciaires, la victime a subi des sanctions à caractère administratif issues des autorités scolaires qui, sans doute ont des liens avec le parti au pouvoir, le Cndd-Fdd.
La suspension de deux mois infligés aux trois juges est-elle proportionnelle à la faute commise ?
Il n’est pas facile de dire que la sanction de suspension pour deux mois infligés aux magistrats est suffisante ou pas puisque l’instruction du dossier n’est que superficielle jusqu’à ce stade. En effet, il serait davantage logique de mener des enquêtes sérieuses et approfondies pour savoir les vrais mobiles de tels égarements.
Est-ce que l’élève Christelle Ndayishimiye est en droit de porter plainte contre les trois juges ?
Si on n’était pas dans le contexte burundais où le système judiciaire burundais souffre d’une dépendance chronique, l’élève Christelle Ndayishimiye pouvait justement porter plainte, non seulement contre les magistrats défaillants, mais aussi contre l’Etat du Burundi qui est civilement responsable des dommages causés à la jeune fille.
Par ailleurs, l’article 23 de la Constitution du Burundi dispose clairement que nul ne peut être traité arbitrairement par les organes de l’Etat et que ce dernier doit indemniser toute personne victime des agissements des organes ou des agents de l’Etat.
Qu’est-ce qui doit être fait pour la réhabiliter dans ses droits ?
Compte tenu de la gravité du dossier, il serait par ailleurs judicieux que les autorités étatiques, à commencer par les ministres en charge de la Justice et de l’Education, prennent des mesures urgentes qui s’imposent pour assurer la réhabilitation et la réparation en faveur de l’élève Christelle Ndayishimiye. Elle a été gravement maltraitée par les organes de l’Etat qui étaient en charge de sa protection, dont le pouvoir judiciaire.
Propos recueillis par Félix Haburiyakira
Au Burundi, quasiment tout le monde connaît les dossiers en procès dans les cours tribunaux, les coupables et victimes. Mais pas les cadres du ministère de la justice qui ne les connaissent qu’en privé avec une tourmentée pour ceux et celles qui en ont encore, et jamais en public.
C’est bizarre. Mais malheureusement ce qui se passe au Burundi. Il fallait punir tous les responsables scolaires, administratifs et juridiques qui sont impliqués de la commune au niveau provincial. Nous voulons des actes et non les paroles Monsieur le Président et Madame la ministre.
Qu’est-ce qu’on aura pas vu sous le régime DD? C’est triste. Ils ont pris les armes pour le maquis pour ça?? Ils faisaient croire que c’est pour corriger les injustices du passé. Mon oeil !