La ministre de la Santé publique, Sylvie Nzeyimana, lance un appel aux secteurs publics et privés et la société civile afin de jouer un rôle dans la lutte anti-tabac en vue de susciter une prise de conscience de l’effet négatif de la consommation de cette substance. Et pourtant, une loi anti-tabac a été promulguée en 2020 mais sa mise en application reste une chimère.
D’après les chiffres de l’Institut de statistiques et d’études économiques du Burundi (Isteebu), l’industrie du tabac brasse beaucoup de milliards. En mars 2022, la quantité en milliers de cigarettes vendues localement s’élevait à 18.570 avec une valeur de 1210 millions de BIF.
La vente locale de cigarettes a considérablement augmenté d’année en année, selon les données de l’Isteebu, passant de 180.230 milliers de cigarettes vendu en 2017 à 211.930 milliers de cigarettes en 2020, soit une augmentation de plus de 17 % dans 4 ans.
Au Burundi, d’après une étude réalisée par le ministère de la Santé publique et de lutte contre le sida, la majorité commence à fumer avant l’âge de 19 ans. Selon les données de l’Enquête Démographique et de Santé (EDS) de 2017, seule source d’information disponible jusqu’à présent sur la situation du tabagisme au Burundi, la province de Karusi enregistrerait la proportion la plus élevée de femmes qui fument (6%). Chez les hommes, la province de Muyinga enregistre la proportion d’hommes fumeurs la plus élevée, soit 19%.
Une loi oubliée dans les tiroirs ?
Une loi anti-tabac a été promulguée en 2020 mais sa mise en application reste problématique. Pourquoi ? « Le lobby du tabac est très puissant », commente un activiste dans le domaine de la santé.
Par exemple, l’article 111 stipule que « les paquets ou les cartouches et toutes les formes de conditionnements extérieurs des produits du tabac en vente au Burundi doivent comporter, en caractères indélébiles et apparents, une mise en garde sanitaire couvrant au minimum 50 % des faces principales en recto – verso dans une des langues d’usage au Burundi. » Il est indiqué que la mise en garde doit se présenter sous la forme de dessin ou de pictogramme illustratifs. « Toutefois, pour les produits fabriqués localement, la mise en garde sanitaire en kirundi est exigée en plus des langues internationales reconnues en matière de commerce. »
Le constat est que sur les marques présentes sur le marché burundais comme ‘’Supermatch’’, ‘’Mentol’’ et même ‘’Yes’’, aucune mise en garde sanitaire n’est visible.
De plus, l’article 128 précise qu’ « il est interdit de fumer dans tous les lieux publics , clos ou ouverts, dans tous les lieux de travail, dans tous les moyens de transports en commun et dans tout autre endroit désigné par le ministre ayant la santé publique dans ses attributions. »
L’article 123 signale qu’un avis d’interdiction de la vente des produits du tabac et de ses produits dérivés aux personnes âgées de moins de 18 ans et aux femmes enceintes, doit de façon obligatoire, être visiblement affiché dans tous les points de vente de tabac. Cette loi précise également qu’il est interdit de placer des points de vente de tabac et de ses produits dérivés dans les établissements préscolaires, scolaires, universitaires ainsi que dans les établissements de soins, les infrastructures sportives, les administrations publiques, parapubliques et privées.
« Personne ne respecte ces dispositions. Cela se fait au vu de tout le monde », s’insurge Dr Egide Haragirimana, président de l’Association Village Health Action. « Les dispositions qui sont dans cette loi peuvent aider dans la lutte contre le tabac mais sa mise en œuvre pose problème » M. Haragirimana trouve que la loi n’est pas suffisamment vulgarisée et la sensibilisation n’est pas accrue.
Pour lui, la loi est claire, il ne reste qu’à la mettre en application. « Il faut ériger des espaces fumeurs dans des lieux publics. Dans les bars, il faut des écriteaux qui précisent que ce sont des espaces non-fumeurs. Un enseignant ne doit pas par exemple fumer devant ses élèves. C’est provoquer un tabagisme passif. La police et l’administration doivent s’impliquer sérieusement. Cela ne doit pas demander trop de moyens. »
Ce médecin en santé publique privilégie la recherche sur le tabagisme car elle est primordiale. « Elle permet aux décideurs de prendre de bonnes décisions. La communauté scientifique doit travailler dans ce sens pour éclairer les pouvoirs publics. » Toutefois, souligne-t-il, les ressources manquent. « Les différents bailleurs doivent également orienter leurs financements dans la recherche qui guidera les actions de sensibilisation. »