Par Renovat Ndabashinze, journaliste
C’est dimanche. J’ai été à la messe, j’ai prié pour mes collègues à Bubanza. Je pense à demain, lundi.
Je sais que dans la conférence de rédaction, quatre chaises restent désespérément inoccupées dans notre rédaction. Un vide. Une blessure quotidienne. Un rappel .
Sur cette longue table ovale, aucun journaliste ne veut s’asseoir sur ces chaises. Agnès, Christine, Egide et Térence , chacun avait sa place préférée. Comme un petit territoire sacré. Ils ne sont pas là depuis 42 jours, mais aucun journaliste n’ose s’asseoir dans la place de l’absent.
Absents… Mais tellement présents. « Je ne suis pas emballée » aimait dire Agnès, pour refuser un sujet, ou montrer qu’un sujet n’est pas pertinent. Elle est très têtue, « Hagnesi ». Quand elle ne veut pas, quand elle n’aime pas, c’est simple, elle ne fait pas. Le regard foudroyant de « chef Léandre » ne changera rien. Elle est comme ça, Agnès, cette juriste de formation, une experte du monde politique burundais. Son carnet d’adresses est impressionnant.
Qu’elle nous manque, Christine , avec ses commentaires au cours des conférences de rédaction. ‘’ Ni umuzi’’, une expression à elle pour dire que le sujet n’est pas intéressant, banal. Qu’il nous manque, Egide, le taiseux, avec ses silences qui parlent. Et Térence notre photographe journaliste, qui écrit avec l’image.
Le pire, c’est que dans Iwacu, tout le monde se dit qu’il aurait pu se retrouver là. Ici nous sommes toujours guidés par ce principe : être l’œil, les oreilles, voire le nez du lecteur. A Iwacu, nous allons sur le terrain. Rencontrer, collecter, confronter, recouper.
C’est ce que nos collègues allaient faire à Musigati. L’histoire du journalisme burundais inscrira leurs noms aux côtés des grands du métier, comme un certain Laurent Ndayuhurume, journaliste à la BBC qui, dans les moments forts de la crise, est allé rencontrer un leader rebelle retranchés dans les montagnes qui surplombent Bujumbura.
D’autres journalistes sont allés tendre le micro à ceux que le régime d’alors qualifiait de groupe « tribalo-terroriste-génocidaire. » Souvenez-vous d’un reportage sur la remise d’un évêque qui avait été enlevé par un mouvement rebelle qui se reconnaîtra…. Et ils n’ont pas été inquiétés ou accusés de « complicité d’atteinte à la sécurité de l’Etat » par le gouvernement de cette époque qui n’aimait pas les journalistes, mais les respectait (un peu) tout de même.
Oui, le 22 octobre 2019, à Musigati, vous étiez , nous étions, dans notre rôle. L’histoire retiendra que vous êtes des journalistes professionnels, qui ont fait honneur au métier, malgré les risques.
Mais entretemps, vous nous manquez terriblement…