Jeudi 26 décembre 2024

#JeSuisIWACU

01/12/2019 Commentaires fermés sur Jour 41. Quatre chaises vides
#JeSuisIWACU

Par Renovat Ndabashinze, journaliste

C’est dimanche. J’ai été à la messe, j’ai prié pour mes collègues à Bubanza. Je pense à demain, lundi.
Je sais que dans la conférence de rédaction, quatre chaises restent désespérément inoccupées dans notre rédaction. Un vide. Une blessure quotidienne. Un rappel .

Sur cette longue table ovale, aucun journaliste ne veut s’asseoir sur ces chaises. Agnès, Christine, Egide et Térence , chacun avait sa place préférée. Comme un petit territoire sacré. Ils ne sont pas là depuis 42 jours, mais aucun journaliste n’ose s’asseoir dans la place de l’absent.

Absents… Mais tellement présents. « Je ne suis pas emballée » aimait dire Agnès, pour refuser un sujet, ou montrer qu’un sujet n’est pas pertinent. Elle est très têtue, « Hagnesi ». Quand elle ne veut pas, quand elle n’aime pas, c’est simple, elle ne fait pas. Le regard foudroyant de « chef Léandre » ne changera rien. Elle est comme ça, Agnès, cette juriste de formation, une experte du monde politique burundais. Son carnet d’adresses est impressionnant.

Qu’elle nous manque, Christine , avec ses commentaires au cours des conférences de rédaction. ‘’ Ni umuzi’’, une expression à elle pour dire que le sujet n’est pas intéressant, banal. Qu’il nous manque, Egide, le taiseux, avec ses silences qui parlent. Et Térence notre photographe journaliste, qui écrit avec l’image.

Le pire, c’est que dans Iwacu, tout le monde se dit qu’il aurait pu se retrouver là. Ici nous sommes toujours guidés par ce principe : être l’œil, les oreilles, voire le nez du lecteur. A Iwacu, nous allons sur le terrain. Rencontrer, collecter, confronter, recouper.

C’est ce que nos collègues allaient faire à Musigati. L’histoire du journalisme burundais inscrira leurs noms aux côtés des grands du métier, comme un certain Laurent Ndayuhurume, journaliste à la BBC qui, dans les moments forts de la crise, est allé rencontrer un leader rebelle retranchés dans les montagnes qui surplombent Bujumbura.

D’autres journalistes sont allés tendre le micro à ceux que le régime d’alors qualifiait de groupe « tribalo-terroriste-génocidaire. » Souvenez-vous d’un reportage sur la remise d’un évêque qui avait été enlevé par un mouvement rebelle qui se reconnaîtra…. Et ils n’ont pas été inquiétés ou accusés de « complicité d’atteinte à la sécurité de l’Etat » par le gouvernement de cette époque qui n’aimait pas les journalistes, mais les respectait (un peu) tout de même.

Oui, le 22 octobre 2019, à Musigati, vous étiez , nous étions, dans notre rôle. L’histoire retiendra que vous êtes des journalistes professionnels, qui ont fait honneur au métier, malgré les risques.

Mais entretemps, vous nous manquez terriblement…

Le mardi 22 octobre, vers midi, une équipe du journal Iwacu dépêchée pour couvrir des affrontements dans la région de Bubanza est arrêtée. Christine Kamikazi, Agnès Ndirubusa, Térence Mpozenzi, Egide Harerimana et leur chauffeur Adolphe Masabarakiza voient leur matériel et leurs téléphones portables saisis. Ils passeront une première nuit au cachot, jusqu'au samedi 26 octobre. Jusqu'alors, aucune charge n'était retenue contre eux. Mais le couperet est tombé : "complicité d'atteinte à la sécurité de l'Etat". Depuis l'arrestation de notre équipe, plusieurs organisations internationales ont réclamé leur libération. Ces quatre journalistes et leur chauffeur n'ont rien fait de plus que remplir leur mission d'informer. Des lecteurs et amis d'Iwacu ont lancé une pétition, réclamant également leur libération. Suite à une décision de la Cour d'appel de Bubanza, notre chauffeur Adolphe a retrouvé sa liberté. Ces événements nous rappellent une autre période sombre d'Iwacu, celle de la disparition de Jean Bigirimana, dont vous pouvez suivre ici le déroulement du dossier, qui a, lui aussi, profondément affecté notre rédaction.