L’extradition des présumés putschistes de 2015, facilités pour les réfugiés vivant au Rwanda qui veulent rentrer, ce sont les conditions préalables de Gitega pour le rétablissement de ses relations avec Kigali. Ce dernier déplore que sa main tendue ait été ignorée. Entretemps, le président congolais, Felix Tshisekedi, organise prochainement un sommet, à Goma, entre lui et les présidents du Rwanda, de l’Ouganda, de l’Angola et du Burundi.
Gitega pose deux conditions sine qua non pour le réchauffement des relations entre le Rwanda et le Burundi : extrader des présumés auteurs du coup d’Etat manqué de 2015 et faciliter le retour des réfugiés se trouvant au Rwanda. C’est ce qu’a déclaré la porte-parole du ministère des Affaires Etrangères, Sonia Niyubahwe. Toutefois, elle a indiqué que Gitega veut le rétablissement des relations avec son voisin du nord.
Un mois après sa nomination au poste de ministre des Affaires étrangères et de la Coopération au Développement, Albert Shingiro avait confié à l’Agence de presse russe Sputnik, que le Burundi attache une grande importance au respect des pactes de non-agression et de promotion des relations de bon voisinage dans la région. «Comme on ne choisit pas ses parents, de même on ne choisit pas ses voisins. D’où l’importance de vivre en harmonie avec tous les voisins pour le bien-être de nos peuples respectifs».
Chacun tire la couverture vers soi
Au cours des cérémonies de présentation du nouveau gouverneur de la province Kirundo, le 6 août dernier, le président Evariste Ndayishimiye a indiqué que le Burundi n’a jamais agressé qui que ce soit. “Nous voulons des amis, mais pas des amis hypocrites qui prétendent vous aimer alors qu’ils vous tendent des pièges.” Et d’interpeller tous les réfugiés à rentrer. “Un Etat responsable et laborieux ne peut jamais être tranquille si ces fils et filles vivent dans des camps de réfugiés dans des conditions misérables.” Selon le numéro Un burundais, Gitega est prêt à coopérer avec tous les pays amis et voisins du Burundi, mais sur le principe de gagnant-gagnant. «Le Burundi ne tolérera pas une coopération d’exploitation ou des relations hypocrites».
De son côté le président rwandais, Paul Kagame, a reconnu, lors d’une conférence publique, que les relations entre le Rwanda et le Burundi, de même que l’Ouganda, sont problématiques et que beaucoup de choses restent pour restaurer le bon voisinage. «Nous avons montré plusieurs signes de bonne volonté, mais les Burundais les ont ignorés. La bonne cohabitation est bénéfique pour les deux parties.» Selon Paul Kagame, il faut une relation sincère. «Ce n’est pas le seul Rwanda qui a besoin de la paix. Eux aussi en ont besoin. Parfois les frères peuvent être en désaccord. Nous voulons une bonne entente qui profite à tout le monde.»
Un sommet de la réconciliation ?
Dans la foulée de ce jeu de passe-passe, Félix Tshisekedi tente de trouver une solution à la crise à l’Est de la RDC où pullulent plusieurs groupes armés. Le 4 septembre dernier, il a annoncé, au cours de la 47e réunion ordinaire du Conseil des ministres, l’organisation dans les prochains jours d’un sommet entre lui et les présidents Yoweri Museveni de l’Ouganda, Evariste Ndayishimiye du Burundi, Paul Kagame du Rwanda et João Lourenço de l’Angola. Denis Sassou-Nguesso, président du Congo-Brazza, est aussi pressenti.
Trois thèmes sont à l’ordre du jour à savoir la paix et la sécurité dans la région, les relations diplomatiques et politiques entre ces Etats ainsi que la relance des activités économiques dans le contexte actuel de lutte contre la Covid-19.
Le président rwandais est resté vague sur sa participation dans ce sommet. «C’est une réunion qui vise à renforcer la bonne cohabitation entre tous les pays de la sous-région. C’est ce que nous voulons tous.» Toutefois, il trouve que c’est difficile de se réunir physiquement dans le contexte de la Covid-19 sans recourir aux nouvelles technologies. « Il faut trouver d’autres moyens pour se rencontrer.»
Interrogé si le Burundi a reçu une invitation et si le président Evariste Ndayishimiye va participer à ce sommet, le Secrétaire général du gouvernement, Prosper Ntahorwamiye, s’est fendu d’un «No comment» pour toute réponse.
Au cours du Conseil extraordinaire du gouvernement provincial du Nord-Kivu tenu ce mercredi 9 septembre 2020, le gouverneur Carly Nzanzu Kasivita a indiqué que les équipes d’avance des 5 Etats invités sont en train d’arriver progressivement au chef-lieu du Nord-Kivu.
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Réactions
Olivier Nkurunziza : «Chaque personne fautive doit être extradée pour être punie.»
Le Secrétaire général se dit satisfait du fait que les réfugiés, qui se trouvent au Rwanda, soient en train de rentrer. «C’est un bon début. Cela est le résultat d’une rencontre entre les gouvernements du Burundi et du Rwanda en collaboration avec le HCR», souligne Olivier Nkurunziza. Quant à la question des présumés putschistes, il estime que chaque personne qui a commis des fautes doit être extradée pour être punie. «Le Rwanda ne doit pas tomber dans des pièges. Il ne pas faut que des personnes fautives se réfugient au Rwanda ou vice-versa. Les deux pays doivent discuter et collaborer pour apaiser les esprits et renouer les relations, car nous sommes des pays frères.» Lorsqu’il y a une bonne intention politique, poursuit-il, ces conditions ne peuvent pas handicaper les bonnes relations entre les deux pays. «Ce n’est pas la première fois qu’il y ait des frictions entre nos deux pays.»
Olivier Nkurunziza pense que le sommet de Goma augure quelque chose de bien. «Ce sont de bons signaux. C’est une occasion de discuter face à face entre voisins. Nous attendons de bons résultats par rapport à la sécurité dans la sous-région et à la bonne cohabitation entre les pays.»
Tatien Sibomana : « Il faut saisir la balle au bond.»
« Nous avons été agréablement surpris par la position du Rwanda de tendre la main au gouvernement burundais pour réchauffer leurs relations qui ont été souillées depuis 2015 », se réjouit Tatien Sibomana, un des acteurs politiques. Selon lui, une attitude qui rappelle le principe sacro-saint de bon voisinage qui doit guider les pays limitrophes, membres de la CEPGL.
« Cela devrait plutôt servir de tremplin à notre gouvernement pour justement saisir la balle au bond », insiste-t-il.
Par contre, cet acteur se dit indigner par l’attitude du gouvernement burundais face à cette main tendue du gouvernement rwandais. Pour lui, c’est une occasion ratée. « Si jamais le gouvernement burundais dit qu’il y a des choses à réclamer du côté rwandais, c’est justement via ce cadre de dialogue bilatéral de concertation que cela devrait être dit et vice-versa. Des problèmes soulevés doivent être discutés et des voies de solutions doivent être trouvées ensemble ». Sinon, prévient-il, l’entêtement du gouvernement burundais bloquera toute solution.
M.Sibomana fait savoir que les relations pourraient rester tendues. « La situation peut se détériorer, mais au profit de qui ?» Et de rappeler que par deux ou trois fois les deux pays se sont accusés mutuellement sur des incursions dans leurs pays respectifs. « Si la situation reste telle qu’elle est, c’est au préjudice des deux peuples ».
Interrogé sur le sommet prévu prochainement à Goma, en RDC, Tatien Sibomana salue cette initiative. Des attentes palpables peuvent sortir de cette rencontre. C’est encore une fois le principe de bon voisinage qui doit prévaloir. Il fait observer que la plupart de ces pays ont des problèmes entre eux. Pour lui, ce sommet va servir de cadre d’échange entre ces pays pour parler des problèmes sécuritaires qui hantent ces pays et trouver une solution. L’Angola et le Congo Brazza, qui sont à l’écart de ces problèmes sécuritaires, vont servir de lien et jouer la médiation pour que ces problèmes soient analysés dans un climat plus serein.
Phénias Nigaba : «La question de l’extradition des présumés putschistes est hautement politique.»
«Ce n’est pas le Rwanda qui oblige les réfugiés à rentrer. C’est au bon vouloir de chacun. S’il estime qu’il ne serait plus en danger, il rentre», dixit le porte-parole du parti Sahwanya Frodebu. Quant à l’extradition des présumés putschistes, Phénias Nigaba estime que c’est une question hautement politique : «Ces présumés putschistes ont aussi des revendications. Ce n’est pas le seul Rwanda qui doit résoudre ce problème. Cette question requiert l’implication de plusieurs acteurs.»
Pour Phénias Nigaba, les crises dans la sous-région ont des conséquences néfastes sur la sécurité, l’économie, l’environnement… «Nous espérons que ce sommet sera une occasion de discuter de tous ces problèmes et trouver des solutions. Une crise dans un pays impacte sur les autres». Le porte-parole du parti Sahwanya Frodebu exhorte les dirigeants du Rwanda et du Burundi à ne pas se lancer des mots publiquement. «Ce genre de questions se règlent dans les coulisses de la diplomatie. Les citoyens n’ont pas besoin de savoir. Vous leur apportez seulement les solutions. C’est ce que nous attendons même aujourd’hui».
Kefa Nibizi : «Le retour des réfugiés est un pas en avant.»
Pour le président du parti Sahwanya Frodebu Nyakuri, ces conditionnalités du gouvernement burundais commencent à être remplies en partie. «Il y a eu des entretiens entre les représentants des gouvernements burundais et rwandais. Des réfugiés burundais se trouvant au Rwanda ont commencé à rentrer. Sur ce point, il y a un pas en avant. D’autres améliorations sont toujours nécessaires». Kefa Nibizi estime que toute bonne relation entre les Etats passe par un dialogue : «Ce sont les échanges qui devraient permettre de définir les conditions d’extradition de ces présumés putschistes se trouvant au Rwanda.»
D’après le président du parti Sahwanya Frodebu Nyakuri, le sommet annoncé par le président congolais pourrait contribuer à faire bouger les lignes. «Dire qu’on va vider cette question au cours de ce sommet, ce serait trop espérer. S’il advenait que les présidents Ndayishimiye et Kagame soient personnellement présents à ces assises, cela ouvrirait une lueur d’espoir de normalisation des relations».
Par Fabrice Manirakiza et Félix Haburiyakira