Au départ, c’est une belle et triste histoire. Belle, car une famille accepte de s’occuper d’un bébé fruit d’une union entre un jeune élève sans moyens et une domestique. Triste, car deux jeunes hommes se disputent aujourd’hui la paternité de la fillette de 4ans que la mère a caché quelque part. Récit d’une histoire qui met en ébullition un coin du Burundi profond.
Dans les hauteurs du sud, à 29 km de la ville de Rumonge, la commune Buyengero, province Rumonge. Une route caillouteuse, difficilement praticable, carrément délabrée.
Le transport s’y fait souvent par moto, au mépris des règles basiques du Code de la route. Sans casques, trois voire quatre personnes se retrouvent sur une même moto. Des camions de type « Fuso » transportent pêle-mêle des marchandises, des chèvres, des moutons et des passagers. Dans ce coin, la police de roulage ne semble pas présente.
Le paysage est dominé par des palmiers à huile. Le chef-lieu communal est installé sur la colline Mabanza. On y trouve des boutiques, des restaurants, etc. Un centre bien animé.
Ici, la vie semble s’écouler, normale. Pourtant, dans le coin, l’histoire de Pierre et Pélagie défraye la chronique.
En 2007, Pierre Ndayishimiye, un jeune orphelin de 24 ans est élève au lycée communal de Bigoti. Il vit dans une famille d’accueil. Le père de famille s’appelle Sylvestre Mbonyumuvukanyi. Pélagie, elle est domestique.
Et voilà qu’un beau jour de juillet 2014, la maîtresse de maison soupçonne la jeune domestique d’être enceinte. Elle la convainc de faire un test médical. Celui-ci se révèle positif. Interrogée, la domestique révèle que l’auteur est Pierre. L’élève avoue son forfait et signe devant témoins une reconnaissance de paternité. Charitable, la famille garde sous son toit l’élève qui continue ses études et la domestique qui voit même ses tâches allégées.
Enregistrement à l’état-civil
Mais Pélagie décide de retourner chez elle, dans le nord, à Gasorwe, dans la province Muyinga. Deux mois plus tard, Pélagie met au monde un bébé. Elle l’appelle Jeanne d’Arc Ishirahigomba. Mais le bébé n’échappe pas aux maladies infantiles et Pélagie n’arrive pas à la faire soigner faute d’une carte d’assurance maladie. Car, le bébé n’est pas enregistré à l’état civil. Pierre, le père, demande alors à Pélagie de revenir dans le sud avec l’enfant. Le bébé est cette fois enregistré et bénéficie des soins. Toujours charitable, la famille de Sylvestre Mbonyumuvukanyi héberge encore le couple. Jusque-là, l’histoire est belle.
C’est alors qu’intervient un certain Serge Niyoyitungira. Celui-ci a été à un moment un « groom », c’est à dire un domestique, dans la famille qui héberge le jeune couple, avant de partir tenter sa chance à Bujumbura. Quand il revient à Buyengero, Pélagie tombe amoureuse. Peu après, les deux se marient.
Mais la famille, avec l’accord de l’administration locale, demande que Jeanne d’Arc, le bébé, reste chez elle, car le jeune couple n’a pas vraiment de moyens et Pierre est encore élève.
« Kidnapping »
Pourtant, à l’insu de la famille, Pélagie va reprendre l’enfant. « Le 28 juillet, nous étions partis dans une croisade à Gitega. On l’avait confié à une voisine. Comme d’habitude, elle est partie avec d’autres enfants à la messe. Pélagie, sa maman, en a profité pour la récupérer. C’est un véritable kidnapping.»
Commence alors une lutte pour récupérer l’enfant. Mais Pierre, le père, est renvoyé au diable. Stupéfait, il apprend de la bouche de Pélagie qu’il n’est même pas le père de l’enfant ! « J’ai alors porté plainte pour demander que ma fille me soit remise », raconte le jeune élève.
L’administration s’en mêle. Le couple Serge-Pélagie se retrouve au cachot communal d’abord, les deux sont, par la suite, transférés à Rumonge.
Un emprisonnement injuste, selon Omer Ndabagiriye, le frère de Pélagie. Il demande d’ailleurs que sa sœur soit relâchée parce qu’elle est dans son plein droit de demander la pension alimentaire. « Si le père veut garder son enfant, qu’il laisse la justice faire son travail», tranche-t-il, rejetant toute idée de kidnapping. Il propose à son « bon-frère » que s’il veut récupérer sa fille, il doit attendre jusqu’à ce que l’enfant ait sept ans. « D’ailleurs, ce n’est pas lui le vrai père. Le vrai père est Serges. Celui avec lequel ma sœur s’est mariée », rectifie-t-il.
Quid de l’extrait d’acte de naissance? M. Ndabagiriye répond que sa sœur a été forcée de signer ce document. Il rassure qu’actuellement, Jeanne d’Arc est en bonne santé et sous la garde de sa grand-mère à Gasorwe, province Muyinga.
Mais la petite Jeanne d’Arc est introuvable, le bébé serait à Muyinga caché chez la grand-mère de Pélagie.
A Buyengero, l’histoire est sur toutes les lèvres. Tout le monde se demande comment un homme peut se « déclarer » père d’un enfant des années plus tard.
L’administration communale un peu gênée s’en tient-elle à l’acte de naissance délivré à l’époque à Pélagie et Pierre qui réclame son bébé ?
Laurent Nduwayo, Conseiller socio-culturel de l’administrateur de Buyengero, admet que cette situation est inhabituelle. Pour lui, c’est surprenant qu’un autre homme réclame la paternité d’un enfant longtemps après l’enregistrement à l’état-civil. Les services d’état civil ne peuvent pas changer l’extrait : « A moins qu’un autre élément vienne prouver le contraire. »
L’histoire qui secoue Buyengero est triste. Pierre, l’élève père veut retrouver Jeanne d’Arc, son bébé aujourd’hui quelque part à Muyinga.
Dans la famille Mbonyumuvukanyi, ces bons samaritains, c’est la tristesse aussi. Cette famille charitable était disposée à s’occuper du bébé, car Pierre, le jeune père, est encore sur les bancs de l’école. Pélagie et Serge, son amoureux qui affirme être « le père du bébé » sont toujours détenus à Rumonge.
Si on pouvait soumettre un test ADN à toutes les parties, ce serait un soulagement. Et Jeanne d’Arc le bébé retrouverait enfin Buyengero et son véritable père. Mais qui connaît le test ADN à Buyengero ?
Igor Giriteka & Rénovat Ndabashinze