Après le président de la République, le secrétaire général du CNDD-FDD a animé une conférence de presse, le 3 janvier 2025, lors de laquelle il a répondu aux questions de l’heure. Selon lui, ce n’est pas parce que de hauts fonctionnaires de l’Etat font du commerce qu’il y a la flambée des prix des produits de première nécessité. Il estime plutôt que la démographie en est l’une des causes. Il ajoute que le Burundi résoudra définitivement la pénurie des carburants dans 5 ans avec l’exportation des avocats et du café. Rencontre avec l’économiste Jean Ndenzako.
Le commerce par les hauts fonctionnaires et les hauts gradés de l’armée peut-il avoir un effet sur l’inflation actuelle au Burundi ?
Admettons que l’affirmation soit vraie car je n’en sais rien. La participation active des hauts fonctionnaires et des officiers militaires au commerce peut créer une situation économique particulièrement préoccupante. Cette élite administrative et militaire, bénéficiant d’une position privilégiée, peut exercer un contrôle considérable sur les circuits d’importation et de distribution des produits essentiels. Leur capacité à manipuler les prix, couplée à l’absence de contre-pouvoirs économiques efficaces, peut contribuer directement à la spirale inflationniste qui affecte le pays.
Comment ?
Le système qu’ils peuvent mettre en place s’appuie sur des avantages considérables : un accès privilégié aux devises étrangères ; des exemptions fiscales tacites et l’utilisation des ressources étatiques pour leurs activités commerciales privées. Cette situation crée une distorsion majeure du marché où les règles normales de la concurrence sont systématiquement faussées au détriment des autres acteurs économiques.
Quid des conséquences ?
Les conséquences de cette mainmise sur l’économie sont particulièrement graves pour le développement du pays. Les entrepreneurs privés légitimes, incapables de rivaliser dans ces conditions inéquitables, sont progressivement écartés du marché. Cette réduction de la concurrence maintient artificiellement les prix à des niveaux élevés, pénalisant directement les consommateurs burundais. Le système bancaire lui-même se trouve affecté, les crédits étant souvent orientés vers ces acteurs privilégiés au détriment des autres entrepreneurs.
Plus inquiétant encore, cette situation entrave sérieusement l’efficacité des politiques anti-inflationnistes. Les mesures traditionnelles de régulation économique se heurtent à la résistance de ces acteurs puissants qui ont tout intérêt à maintenir un statu quo leur garantissant des profits considérables. Cette opposition aux réformes nécessaires peut compromettre gravement les perspectives de développement économique du Burundi.
Le secrétaire général du parti au pouvoir établit un lien direct entre la démographie galopante et l’inflation au Burundi. Votre commentaire.
Les données économiques et démographiques révèlent une réalité bien plus complexe que cette simple corrélation. L’analyse historique des indicateurs montre que le Burundi a connu une baisse progressive de son taux de fécondité, passant de plus de sept enfants par femme à environ cinq enfants et demi aujourd’hui. Parallèlement, le PIB par habitant a suivi une tendance fluctuante marquée par des périodes de déclin. Pourtant, l’inflation persiste suggérant que ses causes profondes se trouvent ailleurs que dans la seule croissance démographique.
Quelles sont ces causes profondes ?
En réalité, l’inflation au Burundi trouve ses racines dans des facteurs structurels plus fondamentaux. L’économie burundaise souffre d’une faible diversification la rendant particulièrement vulnérable aux chocs externes. La forte dépendance aux importations, combinée à une production nationale limitée, expose le pays aux fluctuations des prix internationaux. Les politiques monétaires, parfois inadaptées, contribuent également à cette situation inflationniste.
Les dysfonctionnements du marché intérieur jouent un rôle crucial dans cette dynamique inflationniste. La concentration des activités économiques entre les mains d’un petit nombre d’acteurs privilégiés, comme nous l’avons vu précédemment, crée des distorsions qui maintiennent les prix à des niveaux artificiellement élevés. Cette situation est exacerbée par une gouvernance économique qui peine à mettre en place les réformes structurelles nécessaires.
Dans ce cas, on risque de prendre des mesures inadaptées ?
En effet, attribuer l’inflation principalement à la croissance démographique risque donc de conduire à des politiques inadaptées. Cette vision simpliste détourne l’attention des véritables réformes économiques nécessaires : la diversification de l’économie ; l’amélioration de la production nationale ; la régulation des marchés et le renforcement de la gouvernance économique. C’est sur ces leviers que devraient se concentrer les efforts du gouvernement pour maîtriser durablement l’inflation.
L’expérience d’autres pays en développement montre qu’une population jeune et dynamique peut être un atout pour le développement économique, à condition de mettre en place les politiques appropriées. Le défi pour le Burundi n’est donc pas tant sa démographie que sa capacité à créer un environnement économique capable de transformer son potentiel démographique en véritable moteur de croissance.
Et la suggestion selon laquelle la production future d’avocats et de café pourrait résoudre la crise actuelle des carburants au Burundi ?
Premièrement, il est important de comprendre que les crises des carburants sont liées à des questions de devises étrangères. Le Burundi, comme beaucoup de pays africains, importe la totalité de ses carburants en devises fortes (principalement en dollars). La capacité d’importation dépend donc directement des réserves en devises du pays.
L’argument du parti au pouvoir repose sur l’idée que les exportations futures d’avocats et de café généreront suffisamment de devises pour financer les importations des carburants. Cependant, cette logique présente plusieurs failles importantes.
Lesquelles ?
Le facteur temps pose un premier problème majeur. Les plantations actuelles d’avocatiers et de caféiers ne seront productives que dans plusieurs années – les avocatiers prennent généralement 3 à 5 ans pour produire leurs premiers fruits, et les caféiers environ 3 à 4 ans. La crise actuelle des carburants nécessite des solutions immédiates et ne peut pas attendre ces délais de production.
La question des volumes et des revenus est également critique. Même lorsque ces cultures seront productives, les revenus générés pourraient être insuffisants pour plusieurs raisons : les cours mondiaux du café sont volatils et sujets à des fluctuations importantes ; le marché mondial de l’avocat, bien qu’en croissance, est très compétitif avec des acteurs déjà bien établis ; les coûts de production et de transport pourraient éroder significativement les marges bénéficiaires ; les volumes exportables pourraient être limités par des contraintes logistiques et de qualité.
Peut-on compter sur ces produits pour trouver une solution ?
Par ailleurs, la dépendance exclusive à ces deux produits d’exportation expose le pays à des risques importants dont la vulnérabilité aux aléas climatiques qui pourraient affecter les récoltes, les risques phytosanitaires pouvant détruire une partie de la production ainsi que la dépendance aux variations des prix sur les marchés internationaux
Quelles sont les stratégies alternatives ?
Une solution plus durable à la crise des carburants nécessiterait une approche plus diversifiée incluant la diversification des sources de devises à travers différents secteurs d’exportation ; le développement d’alternatives énergétiques locales ; l’amélioration de l’efficacité énergétique ; la mise en place des réserves stratégiques de carburants et le renforcement des partenariats régionaux pour l’approvisionnement en carburants
Le développement des cultures d’exportation est positif pour l’économie burundaise à long terme. L’avenir du Burundi n’est pas dans l’agriculture dont la part dans le PIB diminue sans cesse mais dans les services.
Que faire pour une gestion efficace de la crise actuelle des carburants ?
Cela nécessite un ensemble de mesures immédiates et coordonnées. La première urgence concerne la gestion des réserves stratégiques. Le Burundi doit impérativement renforcer sa capacité de stockage, car elle existe, contrairement à ce que certains laissent croire et maintenir un niveau minimal de réserves des carburants.
Cela implique une révision du système actuel de gestion des stocks et la mise en place d’un mécanisme de surveillance plus rigoureux. Les autorités devraient également négocier des accords d’approvisionnement plus fiables avec les pays voisins, notamment la Tanzanie et le Kenya, pour sécuriser les voies d’importation. La réforme du système d’importation constitue un deuxième axe crucial.
Expliquez
L’ouverture contrôlée du marché d’importation à davantage d’opérateurs privés permettrait de réduire les risques de pénurie. Actuellement, la concentration des importations entre les mains d’un nombre très limité d’acteurs crée des vulnérabilités systémiques. Une diversification des importateurs, accompagnée d’un cadre réglementaire strict, pourrait améliorer la résilience du système d’approvisionnement.
Et la gestion des devises ?
Cela représente un troisième levier d’action urgent. La Banque centrale du Burundi devrait mettre en place un mécanisme prioritaire d’allocation des devises pour les importations des carburants. Cela nécessite une coordination étroite avec le secteur bancaire commercial et les importateurs. Parallèlement, des mesures devraient être prises pour augmenter les entrées de devises à court terme, notamment en facilitant les transferts de la diaspora et en encourageant les exportations à cycle court.
La distribution semble causer de problème
Au niveau de la distribution, des mesures de régulation plus strictes s’imposent. Un système de quotas transparent pour les stations-service, couplé à un contrôle rigoureux des prix, permettrait de limiter la spéculation et le marché noir. La mise en place d’un système de surveillance numérique des stocks dans les stations-service améliorerait la traçabilité et permettrait une meilleure anticipation des pénuries.
Le transport et le stockage des carburants nécessitent également une attention particulière. La réhabilitation et la sécurisation des infrastructures de stockage existantes doivent être une priorité. Le renforcement de la coordination logistique entre les différents acteurs de la chaîne d’approvisionnement, notamment les transporteurs et les distributeurs, permettrait d’optimiser l’utilisation des ressources disponibles.
Sur le plan de la consommation, des mesures d’urgence de rationalisation doivent être mises en place. Cela peut inclure la limitation temporaire de certains usages non essentiels des carburants ; l’encouragement du covoiturage et la promotion des transports en commun. Le secteur public pourrait montrer l’exemple en adoptant des mesures strictes d’économie des carburants.
Parlons de la communication
Les autorités doivent mettre en place une stratégie de communication claire et régulière sur l’état des stocks, les approvisionnements attendus et les mesures prises. Cette transparence contribuerait à réduire les comportements de panique qui aggravent souvent les pénuries.
Ces mesures d’urgence doivent être mises en œuvre de manière coordonnée, avec un suivi rigoureux de leur efficacité. Elles devraient être accompagnées d’un mécanisme de surveillance impliquant toutes les parties prenantes pour assurer leur bonne exécution et permettre des ajustements rapides si nécessaire.
Quid de la Banque centrale dans tout cela ?
L’indépendance de la Banque de la République du Burundi (BRB) représente un enjeu fondamental dans la gestion des défis économiques actuels du pays. Cette question mérite une analyse approfondie pour comprendre son impact potentiel sur l’inflation et la crise des carburants.
L’indépendance de la Banque centrale constituerait un changement structurel majeur. Dans la situation actuelle, la BRB fait face à des pressions politiques qui limitent son efficacité dans la conduite de la politique monétaire. Son manque d’autonomie se manifeste notamment dans la gestion des réserves de change et dans sa capacité à résister aux demandes de financement monétaire du déficit public.
Et dans sa lutte contre l’inflation ?
Une Banque centrale indépendante pourrait adopter des mesures plus efficaces. Elle serait en mesure de définir des objectifs de stabilité des prix sans interférence politique ; mettre en œuvre une politique monétaire rigoureuse basée sur des critères techniques ; résister aux pressions pour le financement monétaire des dépenses publiques et maintenir une discipline dans la création monétaire.
Pour les carburants ?
Concernant la crise des carburants, l’indépendance de la BRB pourrait avoir des effets positifs significatifs. Une gestion plus autonome des réserves de change permettrait une allocation plus efficiente des devises pour l’importation des carburants ; une meilleure prévisibilité des ressources disponibles pour les importateurs ; un renforcement de la confiance des partenaires internationaux et une réduction des distorsions dans le marché des changes.
La BRB est une solution ?
Toutefois, l’indépendance de la Banque centrale ne peut pas être considérée comme une solution miracle. Son efficacité dépendrait de plusieurs conditions préalables. Premièrement, cette indépendance doit être effective et pas simplement formelle. Elle nécessite un cadre juridique solide, des garanties constitutionnelles et une réelle volonté politique de respecter l’autonomie de l’institution.
Et ?
L’indépendance doit s’accompagner d’un renforcement des capacités techniques de la BRB. Cela implique une professionnalisation accrue de son personnel et une modernisation de ses outils d’analyse et d’intervention.
La coordination avec les autres politiques économiques reste cruciale. L’indépendance de la Banque centrale doit s’inscrire dans un cadre plus large de réformes économiques comprenant une politique budgétaire responsable ; une amélioration de la gouvernance économique ; un renforcement du secteur financier et une diversification des sources de devises
Par ailleurs, l’indépendance de la Banque centrale soulève des questions de responsabilité démocratique. Il est essentiel de mettre en place des mécanismes de contrôle et de redevabilité appropriés sans compromettre l’autonomie opérationnelle de l’institution.
L’indépendance de la Banque centrale apparaît comme un élément important dans la lutte contre l’inflation et la gestion de la crise des carburants. Elle ne peut pas à elle seule résoudre ces problèmes. Elle doit s’intégrer dans une stratégie plus globale de réformes économiques et institutionnelles. La réussite d’une telle réforme dépendra largement de la capacité du pays à maintenir un équilibre délicat entre autonomie technique et responsabilité démocratique, tout en assurant une coordination efficace avec les autres politiques économiques.
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