22 juillet 2016 – 22 juillet 2024. 8 ans, jour pour jour, depuis que ta voix forte s’est éteinte. Tes chuchotements à peine audibles, murmurés au téléphone, étaient un SOS, un dernier message, des adieux lancés à tes collègues qui sont restés sans voix lorsqu’ils ont appris qu’un pickup aux vitres teintées venait de t’embarquer à Bugarama pour une destination inconnue. Ce fut finalement un voyage sans retour.
8 ans de mystère sur une disparition, disons-le, un enlèvement. 8 ans de déni de justice, 8 ans sans le moindre début d’enquête après une plainte contre X déposée par Iwacu. 8 ans de chape de plomb sur cette affaire qu’on veut enterrer comme ces cadavres en décomposition repêchés dans la Mubarazi, en zone Bugarama de la commune Muramvya, décapités et lestés de pierres pour les faire disparaître, les effacer à jamais de la surface de la Terre.
8 ans que « Gode », la veuve, et ses deux enfants, laissés dans la tristesse, sanglotent dans le silence de l’exil. 8 ans que la famille résignée, rongée par le chagrin, pleure dans l’angoisse, son être cher, son digne fils disparu. 8 ans que les larmes coulent, 8 ans que cette famille éprouvée essaie de les cacher.
8 ans que l’autre famille, celle des journalistes, reste impuissante après plusieurs appels pour que la vérité éclate au grand jour. 8 ans de deuil et de questionnements sur le sens de l’engagement à informer correctement.
Cher Jean, la presse burundaise, frappée de plein fouet par les événements qui ne t’ont pas épargné, reste aujourd’hui mortifiée et blessée par ta disparition. Elle porte des cicatrices. Traumatisée, tourmentée, elle peine à s’en remettre, essayant de se redresser et de tenir. Ce n’est pas le moment de flancher. Elle est tenue de tenir, car ne pas tenir serait te trahir.
Le flambeau de la liberté de la presse doit être porté et maintenu haut. Il faut plus d’espace et de liberté pour les médias. Je ne te raconte pas les dernières nouvelles, tu risquerais de te retourner là où tu reposes en paix.
Mais soit, je te fais un bref topo : tes collègues Agnès, Christine, Térence et Egide ont connu la prison, et récemment, il y a eu une tentative de kidnapping d’un collègue. Trois journalistes, dont deux dames, sont actuellement en prison, trois autres collègues de Gitega ont été brutalisés. Ce n’est pas tout, leur matériel a été momentanément confisqué injustement. Un autre confrère vient à peine de sortir d’une garde à vue, chez toi, à l’est du Burundi. D’autres collègues menacés ont pris le chemin de l’exil.
J’allais oublier, des pierres lancées par des inconnus ont terminé leur course dans les enceintes d’Iwacu il y a quelques semaines. Nous avons eu peur, et encore une fois, nous avons porté plainte contre X. Curieusement, les enquêtes n’ont toujours pas commencé alors que la police et les autorités locales avaient été témoins de cette tentative de lapidation ou d’intimidation.