Par Dr. Laurence Dierckx
Iwacu, ce n’est pas seulement toutes les voix du Burundi. C’est un journalisme professionnel indépendant et de qualité. C’est aussi, et peut-être surtout, un précieux témoin de l’histoire du Burundi, dans une culture ancrée dans l’oralité.
Je me souviendrai toujours de ma première journée chez Iwacu. Les murs pastel du bâtiment de l’avenue de France, les petites marches étroites, et le couloir menant à la rédaction web. Je connaissais peu ce média et encore moins les médias burundais. Je me trouvais en mission au Burundi pour former des professionnels aux techniques numériques et au journalisme en ligne. Un des journalistes de la petite équipe web m’avait parlé d’Antoine Kaburahe, le patron, Belge lui aussi. J’avais compris qu’il les impressionnait tous. Lorsque j’ai poussé la porte et que je lui ai dit, avec enthousiasme, « Bonjour, cher compatriote », le courant est passé immédiatement. Nous avons appris à nous connaître et à nous prendre à rêver. Nous avons travaillé sur le site, encore loin de ce qu’il est aujourd’hui, et je suis revenue rapidement pour professionnaliser l’outil et le faire évoluer en s’inspirant des pratiques européennes, où se trouve également une part non négligeable du lectorat en ligne d’Iwacu.
Antoine était un patron paternaliste et très respecté, désireux de tirer le meilleur de ces jeunes journalistes chez qui il avait flairé du talent. Enthousiaste, toujours prêt à se lancer dans nouvelles aventures, pour le bien de sa belle et grande équipe – on parle alors d’une cinquantaine de personnes – et pour celle de ce journal qu’il dirigeait avec beaucoup de passion. Je passais aussi beaucoup de temps à la Maison de la presse, un endroit dynamique où les formations s’enchaînaient, un lieu de rencontre entre les journalistes de l’ensemble des médias Burundais. Le soir, on y savourait bières et brochettes. C’était le temps de l’insouciance.
J’ai appris à connaître un paysage médiatique incroyablement riche et volontaire, cité en exemple dans la région pour son professionnalisme et sa liberté d’action. Chez Iwacu, la situation était florissante. Antoine avait de beaux projets, et c’était un honneur d’y participer : un nouveau site web, une web TV, un portail open data, une équipe de journalistes de données et un data manager à former, des équipes web, des stratégies pour les réseaux sociaux, une imprimerie… Les idées ne manquaient pas et Iwacu était rapidement devenu un modèle non seulement au Burundi mais aussi partout en Europe, en témoignent ses collaborations avec de grands médias étrangers.
Puis est venu le troisième mandat. Les manifestations. Les radios incendiées. 2015. L’année où tout a basculé. Iwacu devait prendre son envol, son autonomie, tout était prêt. Les équipes étaient bien formées. Tout le monde était motivé. Mais ces rêves se sont brisés, un à un. Des journalistes ont dû fuir le pays, leur vie étant en danger. Des talents sont partis ailleurs, car le média peinait à les rémunérer. La vie de Jean Bigirimana a été emportée sans que son corps ne soit jamais retrouvé, une disparition forcée. Des journalistes ont été arrêtés puis emprisonnés pour avoir fait leur métier. C’est une charge émotionnelle forte, des coups durs qu’il a fallu encaisser en se disant à chaque fois que ce serait le dernier.
La situation rêvée d’il y a plus de dix ans a volé en éclats. Iwacu survit, modestement, mais reste intransigeant sur ses exigences de qualité. Malheureusement, tous les projets qui ont érigé Iwacu en groupe de presse à part entière n’ont pas survécu, malgré leur pertinence et leur qualité. Je pense aux rédactions en anglais et en kirundi. Je pense à la web radio. Je pense au service data qui a tenu bon coûte que coûte.
J’éprouve une immense admiration pour ces professionnels qui sont restés debout, refusant de céder face aux multiples embûches qui se sont dressées sur leur chemin. De belles plumes, engagées pour un journalisme de qualité, sont restées. De nouvelles recrues sont arrivées, pour continuer à écrire l’histoire d’Iwacu. Car Iwacu, ce ne sont pas que les voix du Burundi. C’est aussi la mémoire de tout un pays. « Le journaliste est l’historien de l’instant », écrivait Albert Camus. C’est ce rôle que joue Iwacu. Le voir tenir encore aujourd’hui tient du petit miracle.
Je sais qu’Iwacu n’est pas soutenu à sa juste valeur, qu’il est compliqué de trouver des financements dont il dépend pourtant fortement. Je sais qu’il est compliqué de ne pas se faire « voler » ses talents par d’autres qui paient mieux, compliqué de faire entendre aux muzungus les besoins réels de la rédaction et ils sont ceux des moyens permettant de faire tourner la maison. Je suis aussi consciente des pièges, d’un contexte qui n’est pas toujours le plus favorable, mais Iwacu reste debout, et c’est cela qui importe le plus, finalement.
Je continue à suivre de loin Iwacu, honorée d’avoir pu et de continuer à y apporter ma petite pierre lorsque cela est nécessaire. Je suis impressionnée par la force tranquille de Léandre, le rédacteur en chef, par la plume aussi belle qu’elle est bien trempée d’Abbas, son adjoint, par le travail fourni par Eddy à la web TV. Je suis aussi impressionnée par Fabrice et tous les autres que je n’ai pas eu l’honneur de connaître autrement que par leur excellent travail. Aujourd’hui, je rends hommage à cette courageuse équipe, professionnelle jusqu’au bout des ongles, une fierté pour le Burundi et pour le journalisme indépendant. C’est aussi la fierté d’Antoine, qui vous garde tous dans son cœur malgré l’éloignement. Et dans cette belle aventure, j’y ai gagné un ami cher que j’admire.
Bon anniversaire à Iwacu, puissent les planètes à nouveau s’aligner, pour recréer de nouveaux projets, continuer à grandir et à poursuivre cet indispensable travail qui témoigne de l’histoire d’un pays qui reste fortement ancré dans une culture de l’oralité : le soir, au coin du feu, on aime encore y raconter des histoires, n’est-ce pas ? Mon vœu le plus cher, pour les 16 ans d’Iwacu, serait que tout redevienne comme avant, à l’époque d’un groupe de presse florissant qui s’armait pour son indépendance. Mon autre vœu le plus cher serait de retrouver ce climat particulier que chacun enviait à la presse burundaise : riche de son indépendance et de sa diversité.
une belle plume. des courtes phrases, mais très lourdes de sens. un style simple mais dont le contenu ne laisse personne indifferente. Iwacu a forcè l.admiration des locaux et des etrangers. l’Histoire du Burundi contemporain sera intimement lièe a celle d.Iwacu. pour le bien des generations à venir.
Très bon témoignage d’une personne étrangère qui a connu Iwacu
D’accord avec elle, bravo à toute l’équipe Iwacu qui fait la différence
Cher Tony, bravo et le modèle ou le chemin parcouru à sa source dans la maison paternelle
Un ami à la famille