Le 16 avril de chaque année, le monde célèbre la journée internationale contre l’esclavage des enfants. Iwacu est allé à la rencontre d’une victime de cette pratique.
Elle s’appelle Caritas Niyonkuru, ressortissante de la commune Kiremba, en province Ngozi. En 2015, elle travaille comme femme de ménage à Bujumbura. Un beau jour, une copine vient la voir et lui parle d’une offre alléchante de travail à l’étranger. A la clé, une possibilité d’un salaire d’un million par mois.
Sans hésiter, Caritas embarque dans cette aventure : «De mon existence, je n’avais jamais touché une telle somme. C’était un jackpot synonyme de fin de la misère pour mes proches et moi-même.»
Et les préparatifs débutent. Un intermédiaire se charge de leur trouver les documents de voyage. Au bout de quelques jours, les voilà embarquer pour l’Arabie Saoudite avec 28 autres jeunes filles.
Arrivées en terre sainte de l’Islam, l’espoir cède à l’inquiétude. La jeune Niyonkuru découvre, à son grand dam, que leur accueil est moins chaleureux.
Des individus munis de leurs photos les « ramassent » une à une à leur descente d’avion. Au total, elles sont 30 jeunes burundaises. Chacune prend sa propre destination. Caritas se sépare de sa copine. Elle est seule à l’autre bout du monde. En outre, elle n’a plus de passeport car les Saoudiens le lui ont déjà confisqué. Avant d’atteindre son supposé lieu de travail, elle va passer dans les mains de trois trafiquants.
Après 7 mois, elle prend le large
Après un périple de quatre jours, elle arrive enfin dans un endroit où elle va travailler. C’est un baraquement de sept étages situé dans une vaste propriété. Pendant sept mois, la jeune fille de 17 ans va y exécuter toutes sortes de corvées. Elle nettoie les murs, frotte les bêtes et prépare leur nourriture.
Elle se sert de nettoyants chimiques, sans protection. Ses mains sont toujours ensanglantées. Le travail est si exténuant qu’elle s’évanouissait souvent. « Je n’avais pas le droit de me reposer. Lorsque je m’assoupissais en peu, des coups me réveillaient en guise de rappel que je n’avais pas ce droit.»
Seul « privilège », elle ne subit pas de violences sexuelles. Lassée de son traitement inhumain, elle décide de s’évader au péril de sa vie. Dans cette partie du royaume wahhabite, les employeurs préfèrent voir leurs « esclaves » mourir que de les laisser retourner dans leurs pays.
La native de Kiremba choisit les heures matinales pour tromper la vigilance de ses patrons. Sans aucun salaire des sept mois, elle s’échappe et gagne la rue. Attirée par son apparence chétive et ses vêtements délabrés, la police l’arrête et l’emmène au commissariat. Son arrestation sonne le début de la fin de son calvaire. La police réussit à lui rapporter son passeport et à l’embarquer pour un vol de retour au Burundi.
Selon David Ningaza, activiste des droits des enfants, l’esclavage externe de jeunes enfants est une triste réalité au Burundi. Il évoque plus de 2000 enfants déportés dans les pays du Golfe, ces 4 dernières années. Bujumbura Mairie, Muyinga, Ngozi et Gitega sont les provinces les plus concernées.
Des administratifs pointés du doigt
Il assure que son organisation (SOJPAE) a pu rapatrier 87 filles en 2018. «Quand elles arrivent, la plupart sont encore sous l’emprise de la drogue. Elles doivent subir une cure de désintoxication ».
M. Ninganza explique qu’il existe des réseaux de recrutement pour ce trafic. Avant de les emmener, ils s’assurent que les candidates ne sont pas enceintes. Une anecdote, les filles encore vierges ne sont pas éligibles. Ces dernières, selon les recruteurs, possèdent un esprit de révolte très prononcé.
Malgré les efforts de la police de l’air et des frontières (PAFE), son organisation continue à enregistrer des départs. L’activiste pointe du doigt des administratifs à la base : «Ils sont complices des trafiquants. Ils les aident à falsifier des attestations de naissance pour échapper au contrôle de la PAFE ».
M. Ninganza rappelle que l’esclavage externe des enfants ne doit aucunement occulter celui opéré à l’intérieur du Burundi : « Beaucoup de ménages emploient des enfants de moins de 15 ans. Une pratique criminelle à bannir des habitudes de Burundais vivant surtout dans les villes.»
Caritas Niyonkuru vit actuellement à Bujumbura. Grâce à un « petit » capital lui octroyé par la SOJPAE, elle vit du commerce. Elle a une fille de deux ans. La petite Queen est née d’un automobiliste qui l’a prise à l’aéroport à son arrivée. N’ayant pas de logis dans la capitale, elle passe la nuit chez son hôte et tombe enceinte, la même nuit. Récemment, Caritas dit avoir appris la mort de sa copine restée en Arabie Saoudite.