Perchée sur les hauteurs de Bujumbura, la commune Isare fait partie des dernières régions à être sortie de la crise. Cela fut un frein au développement, mais ces dernières années, cette circonscription tend à rattraper ce retard à pas de géant.
Un chemin cahoteux relie Rushubi, centre de la commune Isare, à la Route Nationale n° 1.On est à 23 kilomètres de Bujumbura.
Faix sur la tête, des femmes bravent quotidiennement ce tronçon poussiéreux pour rejoindre le centre Rushubi. Elles avalent des kilomètres pour aller au marché ou au moulin, avant de refaire rapidement le même chemin en sens inverse.
« Vite, il faut que tout soit prêt avant l’arrivée de l’homme’ », lance Angèle à son jeune fils qui l’aide à râper le manioc, pour le passer après au meunier. C’est le matin, et elles sont plus d’une dizaine devant l’établissement du meunier. Elles pourraient donner l’impression d’avoir tout le temps devant elles puisque leurs hommes ne rentrent que le soir, mais c’est sans compter les activités qu’elles peuvent cumuler dans une seule la journée. Elles, ce sont les «femmes à tout faire » : soit on les rencontre sur les chantiers à Bujumbura avec leurs hommes, soit elles sont dans les carrières d’extraction de matériaux de construction, soit elles sont dans les champs, cultivant un terrain à 60°. « Isare engendre des femmes fortes », commente avec fierté l’administrateur de cette commune, Hyacinthe Kuwuhoraho.
Une commune qui vient de loin
Isare est une des neuf communes constituant la province de Bujumbura rural. Elle est composée de quatre zones : Rushubi, Kibuye, Nyambuye et la zone de Benga. Elle est peuplée de plus de 86 o00 habitants, en majorité des femmes. Les moins de 30 ans constituent plus de 60% de la population.
Cette commune a été frappée considérablement par la crise depuis 1993. Fief du Fnl, cet ancien mouvement rebelle a opéré dans ce territoire jusqu’en 2008. Ce qui fait de cette région une des dernières à sortir de la crise.
Les séquelles de cette crise se font toujours remarquer. Sur la colline Bibare de la zone Rushubi, un village moderne de cinquante ménages recueille les sinistrés de guerre : handicapés, orphelins, ou veuves, tous essaient d’y survivre, mais « l’essentiel est d’avoir au moins un toit au-dessus de la tête », explique Rama, un ex-combattant, assis dans un fauteuil roulant devant sa petite maisonnette.
2015, une échéance électorale compliquée
Depuis 2008, la commune connaît une période d’une certaine accalmie pendant sept ans. Des disparitions et assassinats aux motifs politiques certes, mais tous se conviennent pour dire qu’en comparaison avec les années passées, la sécurité est satisfaisante.
À la fin avril 2015, la tension monte à Bujumbura. Des manifestations embrasent plusieurs quartiers urbains. À Isare, certains tentent de suivre l’exemple de la capitale. Deux journées de manifestations, mais contrairement à ce qui se passe à Bujumbura, aucune répression violente pour contenir le mouvement. L’administration réunit plutôt les leaders des principaux politiques et négocie. Au final, ils débouchent à un compromis : pas de manifs, mais en retour aucune persécution envers ceux qui y ont participé.
Ce n’est qu’après les présidentielles que la tension monte. L’arrestation d’une personne affiliée au parti Fnl est suivie quelques jours après de l’assassinat d’un homme affilié au parti présidentiel. La méfiance s’installe entre les habitants d’Isare. Les membres des deux principaux partis, le Cndd-Fdd et Fnl, se regardent en chiens de faïence. Fin juillet, aidée par des associations œuvrant pour la paix comme l’OAP, l’administration essaie de calmer le jeu. Tant bien que mal, ils finissent par éteindre la mèche, même si dans certaines zones comme Nyambuye, la présence d’individus armés continue à inquiéter la population.
La dynamique
Une des grandes forces d’Isare est sa jeunesse. Beaucoup de jeunes avaient rejoint les groupes rebelles par le passé, mais ils ont été par la suite démobilisés. Tout comme les autres jeunes civils qui n’ont pas pu continuer leurs études, ils ont dû chercher des moyens pour être autonomes et subvenir à leurs besoins. La plupart sont soit dans les carrières d’extraction de matériaux de construction, soit dans la maçonnerie.
Les habitants d’Isare aiment dire que plus de 80% de maçons et des aides-maçons qui travaillent dans la capitale viennent de leur région. Ce qui n’est pas en partie faux. Il faut aller aux différents sites d’embauche de main d’œuvre à Bujumbura pour se rendre compte que la plupart des ‘tâcherons’ viennent d’Isare. Une appellation qui a fini par symboliser justement la main d’œuvre venue de cette région. « Être appelé ainsi est en soi un honneur, car cela signifie que tu es un grand travailleur », explique un maçon rencontré sur un chantier de Bujumbura.
Cette jeune population active est à l’origine du développement de la commune. À titre d’exemple, l’important réseau routier d’Isare. Ils ont pu rendre tous les coins de la commune accessibles, même si à quelques endroits, l’état de ces routes laisse à désirer du fait des intempéries et des poids lourds qui les empruntent.
Malgré tous les problèmes que la commune Isare a rencontrés dans le passé, ses habitants disent avoir confiance en l’avenir, car pour eux, le pire est derrière eux. Le centre Rushubi témoigne de leur désir de se développer. Peuplé de jolies maisons modernes, ils l’exhibent avec fierté et disent l’avoir érigé sans aucune aide extérieure, à la seule force de leurs bras, et de leurs « braves femmes ».
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Les jeunes d’Isare s’expriment
Partageant en grande partie les mêmes problèmes, ces jeunes essaient de transcender leurs divisions et de construire un avenir meilleur, car ils partagent la même aspiration : vivre dans la paix. Echanges entre des ex-combattants et des jeunes affiliés à différents partis politiques.
Dieudonné Butoyi : « Seuls ceux qui ne connaissent pas le maquis peuvent vouloir y aller. »
Dieudonné est le représentant des ex-combattants issus du Cndd-fdd. Pour lui, la fraternité dans laquelle il vit avec ses anciens ennemis, à savoir les ex-combattants du Fnl, devrait servir d’exemples pour tout le monde. « Il faut aller regarder de près ceux qui se font attraper maintenant en voulant intégrer de nouveaux mouvements rebelles, tu ne verras personne qui a combattu par le passé, et pourquoi donc ? Nous savons tout ce que ça implique. »
Pour Dieudonné, tout ce qui compte c’est le développement. Ce qui l’a poussé, avec ses pairs, à fonder une association pour l’élevage de poissons.
Alexis Kwizera, « C’est la peur qui est à l’origine de tout le mal.»
Membre de la coalition des indépendants Amizero y’Abarundi, Alexis aspire à vivre dans une entente cordiale avec tout le monde. « Qu’on ne me suspecte pas de ce que je ne suis pas. Si on commence à arrêter mes amis, c’est normal que je me sente visé et que je réplique. »
Pour lui, les plus grands maux sont le chômage et la pauvreté. « C’est normal de vouloir un changement, quand on est un ‘ oublié du système’. » Et il conclut en espérant que « partager les mêmes problèmes devrait nécessairement rapprocher les jeunes. »
Gordien Manirakiza, « Il faut élaborer des lois claires.»
Gordien est le représentant de la ligue des jeunes du parti Cndd-Fdd dans la commune Isare. Avec une formation de juriste, il pense qu’en grande partie la pierre d’achoppement réside dans les lois floues. « Les questions qui divisent la classe politique se répercutent sur nous. Ce sera alors à nous, la génération future, d’éclaircir certaines choses, et de bâtir une société meilleure. »
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Nelly Irakoze, la jeune ombudsman
A seulement 19 ans, Nelly s’est déjà démarquée dans sa commune. Rassembleuse, engagée, elle a conquis les jeunes de sa région, qui n’hésitent pas à lui confier d’importantes responsabilités.
« S’il y a un don inné pour la réconciliation, je pense que Nelly est née avec », confie Claudine Nsabimana, une amie. Le charmant sourire de Nelly n’y est peut-être pas étranger. De taille moyenne, la jeune fille n’en est pas moins remarquable. « Caractéristique d’une personne à l’aura ravageuse », commente Alexis, un ami, qui a du mal à cacher son béguin pour elle.
Née à la colline Rushubi, zone Rushubi, Nelly Irakoze, ‘Néné’ pour les intimes, est l’aînée d’une fratrie de 8 enfants. « Ce qui implique automatiquement des responsabilités», confie-t-elle. Pour elle, servir d’exemple est le meilleur moyen de donner une bonne orientation à ses jeunes frères et sœurs. « Ce qui n’est pas très compliqué, parce que moi aussi j’ai eu de bons exemples », renchérit-elle.
Et les exemples en soi, ce sont ses parents. Son père est juge à Isare, et sa mère institutrice. « C’est ce cocktail qui fait de moi ce que je suis », conclut-elle, dans un sourire à faire fondre la glace.
Maturité précoce, responsabilités précoces
Néné est une passionnée de sport. Elle fait partie de l’équipe de football de Rushubi, dont elle est aussi capitaine, depuis trois ans. Ses coéquipières, dont Claudine, disent ne jamais songer à un probable changement.
La jeune fille a été aussi vice-présidente du Centre jeune de Rushubi, un centre qui essaie d’occuper les jeunes dans différentes activités d’autopromotion. Ne pouvant pas combiner ce poste avec ses études, elle préféra s’en défaire, mais continue tout de même à faire partie du comité permanent du centre. Pour Innocent Ndayizeye, actuel président du Centre Jeune, « Nelly reste une fille pleine d’initiatives, qui ne lâche jamais ce qu’elle entreprend.»
Si le rêve de Nelly est de devenir plus tard juge comme son père, c’est une conviction qu’elle ne partage pas avec ses amis. « Elle est bien trop conciliante pour ça, n’est-ce pas elle-même qui nous demande pourquoi devrait-on compliquer une affaire qu’on peut régler à l’amiable ? », tranche Claudine. Et à Nelly de rétorquer : « Alors, c’est quoi pour vous être juge ? »
Visa pour l’enfer
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Merci pour cette information positive. Ca fait du bien.