En dépit du soutien affiché du Sommet de l’Etat à leur requête, les retraités de l’ISABU ne voient toujours pas le bout du tunnel. Pire, certains d’entre eux, atteints de pathologies diverses, témoignent d’obstacles liés à l’accès aux soins et appellent à l’aide les autorités habilitées.
E.T. nous accueille dans son vaste salon. Son poste de haut cadre pendant de nombreuses années à l’ISABU lui a permis de s’offrir la splendide maison qu’il habite dans un quartier nord de Bujumbura. Parti à la retraite en décembre 2020, E.T. n’a pu avoir accès aux indemnités de fin de carrière octroyées par l’ISABU suspendues en octobre de la même année. « Aujourd’hui encore, je suis passé au ministère. J’ai insisté pour bénéficier d’une audience auprès du ministre, en vain ! », déplore amèrement ce sexagénaire.
E.T. s’exprime avec une voix hachée et a de la peine à marcher. En effet, en 2020, le père de famille a contracté un AVC. « Je n’arrive pratiquement pas à me faire soigner actuellement. Les séances de massage coûtent assez cher et j’ai même tenté l’exil médical sans succès », se plaint ce passionné de football. Un sport qu’il n’est plus apte à pratiquer, ce qui le rend encore plus triste.
Quand l’ancien haut cadre de l’ISABU prend connaissance de la lettre de la Présidence de la République du 26 août dernier en faveur de la levée de la suspension des indemnités de fin de carrière en faveur des retraités de l’ISABU, le soulagement l’étreint. « Cette lettre présidentielle m’avait donné l’espoir », se rappelle-t-il. Un espoir vite tombé en incertitude après maintenant cinq mois d’attente.
A l’instar des entraves liées à l’accès à des soins de qualité, le retraité de l’ISABU pointe du doigt les conséquences d’une telle situation sur son état de santé : « Je suis soumis à un stress permanent. Pour quelqu’un comme moi ayant été victime d’AVC, c’est assez dangereux.»
En dépit de sa santé défaillante, l’homme d’un certain âge se dit prêt à se battre jusqu’au bout pour avoir accès à ses indemnités de fin de carrière.
« On nous a laissés sombrer dans la décrépitude »
A.D. était employé à l’ISABU depuis 38 ans quand il a pris sa retraite en 2018. Atteint de coxarthrose (arthrose de la hanche) depuis six ans, le cadre retraité de l’ISABU exprime sa détresse : « Les radiographies effectuées auprès d’un orthopédiste ont montré une détérioration du fémur. Je n’arrive même plus à marcher 100 m sans m’essouffler.»
Comme pour son ancien collègue E.T., la principale source d’angoisse réside dans le coût des soins, assez onéreux : « L’orthopédiste qui m’a radiographié m’a indiqué que l’opération visant à juguler ma maladie allait revenir à cinq millions BIF.»
D’après le retraité, le même spécialiste lui fait savoir par la suite que l’opération n’est pas praticable sur place. « J’ai entamé des démarches pour partir me faire soigner à l’étranger, mais avec l’interruption de l’octroi des indemnités de fin de carrière qui, me concernant, atteignaient huit millions BIF, j’ai perdu la seule source de revenus pouvant me permettre de financer mon voyage médical », détaille le sexagénaire.
Le retraité souligne également qu’au-delà de sa santé déclinante, il n’est plus être en mesure de pourvoir aux besoins de sa famille, ce qui alimente son sentiment de frustration : « Mon épouse, sujette à des migraines chroniques, n’occupe actuellement aucun emploi. Bilan des courses : je me suis retrouvé à être le seul à faire bouillir la marmite alors que je suis moi-même privé aujourd’hui de mes principales sources de revenus.»
Interrogé sur le non-déblocage de la situation des retraités de l’ISABU en dépit de la lettre présidentielle du 26 août 2021, A.D. se dit indigné : « Les autorités concernées nous ont tout simplement laissés sombrer dans la décrépitude.» Et d’ajouter : « J’aimerais bien qu’ils gardent en tête que notre destin d’hommes âgés à la retraite est aussi celui qui les attend. Le dynamisme juvénile n’est pas éternel.»
Le ministère en charge des Finances a été contacté à plusieurs reprises sans succès.
Un feuilleton interminable
D’après le procès-verbal de la réunion du Conseil d’Administration de l’ISABU tenue en date du 23 et 24 novembre 2020, la direction générale du budget au ministère des Finances, du Budget et de la Planification économique a donné au comité de direction de l’ISABU des instructions de nature verbale visant à ne pas inscrire sur la liste de paie les agents de l’ISABU en retraite normale.
D’après toujours le même document, en date du 29 octobre, la direction de l’ISABU a adressé une correspondance au Directeur Général du Budget et de la Politique Fiscale, lui demandant des éclaircissements sur la gestion du personnel en fin de carrière et subsides de l’ISABU.
Et de rappeler que la non inscription des agents en retraite normale sur la liste de paie est contraire aux dispositions de l’article 17 du statut révisé du personnel de l’ISABU.
Le procès-verbal du Conseil d’Administration a précisé qu’en date du 12 novembre 2020, le Ministère en charge des finances a notifié à l’ISABU que l’octroi des indemnités de fin de carrière n’est pas autorisé par la loi budgétaire 2020/2021 qui stipule en son article 35 que toutes les annales ainsi que les primes sont gelées financièrement pour tous les établissements publics sauf pour les secteurs de la défense et de la sécurité.
Le document issu de ce Conseil d’Administration a tenu à souligner que la direction de l’ISABU a notifié au Ministère en charge des finances que l’article 35 de cette loi énonce le gel de primes et non pas le gel d’indemnités, y compris celles en fin de carrière.
Le Ministère en charge des finances, a révélé toujours le même document, a rejeté cette demande et a exigé de retirer sur la liste de paie le personnel en retraite normale.
Le 26 août 2021, dans une lettre adressée au ministre chargé des Finances et au ministre en charge de l’Agriculture et l’élevage, le chef de cabinet civil du président de la République, Gabriel Nizigama, a plaidé pour la levée de la suspension des indemnités de fin de carrière en faveur des retraités de l’ISABU. « Le président de la République vous recommande chacun en ce qui le concerne de continuer à accorder l’indemnité de fin de carrière au personnel de l’ISABU si le budget est prévu et le permet et de réviser le statut du personnel de l’ISABU pour prévoir une indemnité de fin de carrière unique afin de rompre avec la pratique de payer des avantages exorbitants au détriment des intérêts de l’Etat. », précise notamment cette correspondance.
Interviewé par Iwacu le 1er décembre de l’année qui vient de s’écouler, Emmanuel Ndorimana, secrétaire permanent au ministère de l’Agriculture et de l’Elevage, avait indiqué que « la situation va se décanter prochainement ».
M. Ndorimana a, par la suite, fait savoir qu’une équipe restreinte des deux ministères va être mise sur pied afin d’étudier les modalités de mise en œuvre des recommandations du président de la République. « Ce n’est pas une grande équipe. Même deux personnes peuvent trouver une solution à ce problème», a-t-il conclu.
Qu’est-ce qui coince après les injonctions de son excellence le président de la république ? Pas de délais ?