Etat d’avancement de la construction du barrage hydroélectrique Rusumo Falls, des initiatives connexes, des projets régionaux en cours ou d’autres en cours de négociation, … Dr Ir Isaac Alukwe, coordinateur régional de l’Unité de coordination du Projet d’Interconnexion Électrique des Pays des Lacs Équatoriaux du Nil (NELSAP-CU) de l’Initiative pour le Bassin du Nil (NBI) fait le point. Il s’est confié à la presse, il y a quelques jours, après la 9ème session de formation des journalistes du bassin du Nil, au Rwanda.
Le projet du barrage hydroélectrique Rusumo Falls a déjà atteint plus 90%. Qu’en est-il de la collaboration entre différents partenaires ?
L’aventure avec ce projet de barrage hydroélectrique de Rusumo vient de totaliser 44 ans. En effet, c’est en 1977 qu’il a été lancé par l’Initiative pour le bassin de la Kagera. Mais quand ce projet a été dissout en 2002, les trois pays à savoir le Burundi, le Rwanda et la Tanzanie se sont mis ensemble et ont convenu à travers leurs ministres chargées de l’Eau que ce projet de barrage hydroélectrique de Rusumo était bénéfique pour ces trois pays.
Et en 2005, les ministres chargés de l’Energie de ces trois pays ont signé un accord tripartite. A travers cet accord, ils ont soumis une requête à ce Projet d’Interconnexion Électrique des Pays des Lacs Équatoriaux du Nil (NELSAP-CU) de l’Initiative pour le Bassin du Nil qui regroupe 10 pays, afin de chercher des fonds pour la mise en œuvre de ce barrage hydroélectrique.
Et c’est ainsi que le NELSAP-CU s’est mis à la recherche des financements auprès des différents bailleurs. En 2014, la Banque Mondiale à travers sa branche IDA (Association internationale de développement) a accepté de financer ce projet et elle a signé un accord de financement avec les trois pays.
Pour sa part, la BAD a accepté de financer les lignes électriques. Du côté du Burundi, les financements de la Banque Mondiale étaient sous forme de don, pour le Tanzanie, c’était une dette et pour le Rwanda, une partie des financements était sous forme de don et l’autre, sous forme de dette.
C’est le NELSAP-CU qui a été mandaté comme maître d’œuvre pour l’exécution des travaux. Et c’est en 2017 que les travaux ont débuté.
Le constat est que l’exécution du projet n’a pas respecté les délais. Pourquoi ?
Il était prévu que les travaux se terminent au bout de deux ou trois ans. Mais, vous vous rappelez qu’il y a eu irruption à cause de la pandémie Covid19. Ce qui a été un coup dur pour l’avancement des travaux. Dans un projet impliquant trois pays, il y a toujours des défis à relever et chaque pays a ses attentes.
Au fil de l’exécution de ce projet de construction du barrage de Rusumo, les travaux n’ont pas avancé au rythme voulu, il y a eu d’autres contretemps même si les trois pays ont signé le même accord de financement.
Des imprévus ont aussi retardé ce projet. Mais, aujourd’hui, nous nous réjouissons que le projet Rusumo Falls ait été exécuté à 99,9%. Il y a trois turbines pour la production de l’électricité. Deux sont déjà fonctionnelles et les travaux ont été livrés et réceptionnés par les trois pays et surtout à l’entreprise Rusumo Company Power Limited. La troisième turbine subit pendant tout ce mois une série d’essais pour voir si elle fonctionne tel que prévu.
Selon notre agenda, les chefs d’Etat des trois pays devraient procéder à l’ouverture officielle de ce barrage hydroélectrique le mois passé. Mais, suite aux pourparlers qui se poursuivent le lancement officiel sera fait au mois de mars.
Comment estimez-vous les retombées avec ce projet ?
Mise à part la production de l’électricité, que se partage ces trois pays, le Burundi, le Rwanda et la Tanzanie, la centrale génère 8OMW et chaque pays reçoit 27MW. Au vu du déficit énergétique, cette centrale va booster l’économie dans ces trois pays. Les habitants vont avoir de l’électricité.
Il y a également des initiatives de développement socioéconomique de ces zones. Nous avons donné une aide de 15 millions de dollars et chaque pays bénéficiait de 5 mille dollars pour financer ces initiatives. De notre côté, nous assurions un appui technique pour ces montants octroyés.
Qu’est ce qui est déjà concrètement dans chaque pays dans ce cadre ?
Avec ces montants, la Tanzanie a, par exemple, construit des routes et des centres de santé et fait des adductions d’eau. Le Rwanda a également fait des adductions d’eau dans les zones rurales, construit des hôpitaux et il y a un stade d’une valeur de 2,5 millions de dollars en construction.
Avec cette aide, le Burundi prévoir construire des centres de santé, des centres pour jeunes, des femmes et des administratifs, il y a eu d’autres constructions selon les besoins exprimés. Il y a également un programme de relèvement communautaire. Et sous cette rubrique, il y a différents projets qui ont été financés dans le secteur agricole, l’élevage de vaches, de porcs, et d’autres activités génératrices de revenus.
Malgré certaines avancées, certains pays comme le Kenya n’ont pas encore signé certains accords de partenariats. Pourquoi ?
Tout ce que je peux dire c’est que tout partenariat impliquant plusieurs pays comporte beaucoup de paramètres, politiques et techniques. Et chaque pays tient à sa souveraineté et n’accepte d’apposer sa signature sur tel accord que quad il juge que c’est le moment opportun.
Vous savez les pays comme l’Ethiopie, l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie ont déjà signé l’accord sur l’Initiative pour le Bassin du Nil, (Cooperative Framework Agreement) accepté par tous les pays membres. Et il y a également six pays qui ont déjà agréé l’entité appelée Nile River Bassin Commission pour initier des projets de développement et faciliter la recherche des financements.
Le Kenya n’a pas encore décidé de signer cet accord mais nous continuons à rappeler les autorités kenyanes à s’acquitter de ce devoir. Il y a également l’Égypte qui n’est pas d’accord sur certains points surtout en rapport avec le partage des eaux, mettant en avant la sécurité hydrique. Ce pays a rétropédalé. Mais des négociations se poursuivent et nous espérons qu’il va signer les accords.
Même pour le Burundi, il y a encore quelques tractations mais les accords peuvent être signés à tout moment.
Est-ce que la position du Kenya n’a pas de conséquences sur l’ensemble des opérations ?
Les conséquences sont nombreuses pour l’Initiative du bassin du Nil surtout sur les projets de développement à mettre en œuvre dans les pays membres. Comme nous devons chercher des fonds, les bailleurs exigent d’abord un cadre légal et comme notre organisation n’a pas encore ces textes signés, il devient difficile d’avoir ces financements recherchés.
Il y a par exemple l’Union européenne (UE) qui avait promis de nous donner l’année dernière une enveloppe de 10 millions d’euros. Mais, au vu des différences de points de vue et de la position de l’Égypte qui n’a pas encore signé les accords, cette organisation a décidé d’attendre.
Mais au fond, la plupart des bailleurs apprécient notre travail et nous continuons nos tractations pour décrocher ces financements. Et ces fonds étaient très importants parce qu’ils étaient destinés aux projets en rapport avec le changement climatique. Et cela aurait été bénéfique pour différents pays.
Et c’est pourquoi je réitère mon appel aux pays qui n’ont pas encore signé l’accord, à l’occurrence le Kenya et le Burundi, de le faire parce que nous subissons des pertes. Si ces pays signent cet accord, cela va nous faciliter la tâche de convaincre les bailleurs à nous octroyer leurs appuis afin de financer les projets bénéfiques pour nos populations.
Ce sont donc des pertes énormes
Le NELSAP-CU compte 128 projets que différents pays ont donné une priorité pour leur développement et notre rôle comme organisation mandatée par ces pays pour leur mise en œuvre est de tout faire afin de les faire aboutir.
Par exemple le projet comme cette centrale hydroélectrique de Rusumo est bénéfique pour ces pays. Il y a d’autres projets bénéfiques pour ces pays et cela contribue à consolider également leurs relations. Les projets communs renforcent l’intégration comme pour l’EAC. Cela vaut également pour le commerce.
Le NELSAP-CU s’est occupé de l’interconnexion des lignes électriques entre différents pays, de telle sorte qu’un pays peut s’approvionner à partir d’un autre.
Et quelles sont les autres opportunités ?
Dans ces différents projets que ces pays ont priorisés, nous essayons de favoriser l’intégration, la coopération et nous nous convenons sur le projet à mettre en avant.
Par exemple, nous avons un projet d’interconnexion des lignes électriques pour le Soudan du Sud et l’Ouganda et un autre similaire pour ce pays et la RDC.
Entre l’Ouganda et la Kenya, il y a un projet Angololo d’irrigation sur 4000 ha et d’adduction d’eau pour plus de 270.000 ménages. Il y a également ce projet d’électrification. Toutes ces initiatives sont bénéfiques et créent du travail pour les jeunes qui s’accompagnent du développement de cette région.
Pour le Burundi, il y a un projet sur la Ruvyironza que la branche de la BAD appelée « Facilité africaine de l’eau » a accepté d’appuyer. Nous allons bientôt signer un accord de financement de ce projet. Et il y a un autre projet en tractation sur la Kanyaru entre le Burundi et le Rwanda.
Il y a un autre projet appelé Nsongezi Power, centrale hydroélectrique, un projet soumis par la Tanzanie et l’Ouganda dans le cadre de l’EAC comme suggéré par les bailleurs. Les négociations sont avancées et la signature est pour bientôt.
Dans tous les projets que nous exécutons, il peut y avoir délocalisation, il s’en suit une indemnisation. Chaque pays doit se charger de la relocalisation, c’est dans les accords signés. Il peut y avoir un impact environnemental avec l’exécution du projet et des réclamations.