Le Burundi a célébré ce lundi 14 octobre 2019, le 58ème anniversaire de l’assassinat du Prince Louis Rwagasore, héros de l’indépendance. Son héritage, réunification de son parti Uprona, … Tatien Sibomana, un politicien indépendant et ancien Uproniste s’exprime.
58 ans déjà après la mort de Rwagasore. Que reste-t-il de son héritage ?
Je vais d’abord faire une précision de taille. De cœur, je suis très Uproniste et je le resterai jusqu’à la fin de mes jours. Parce que je ne vois pas d’autres modèles. Seulement, aujourd’hui, être appelé Uproniste, cela relève d’un décret, ça ne relève pas obligatoirement de l’adhésion aux idéaux du Prince Louis Rwagasore. C’est pourquoi on est obligé d’être ‘’Uproniste de cœur’’ et de conviction sans l’être officiellement.
Au niveau des cœurs des Burundais, l’héritage est toujours là. Mais la question qui mérite d’être posée est de savoir si les gens qui lui ont succédé comme gestionnaire de l’Etat Burundais ont gardé ou ont fait perpétuer son héritage ? Non. Et c’est dommage.
Qu’est-ce qui le prouve ?
Plusieurs raisons motivent cette assertion. Rwagasore était un patriote hors pair. Il prônait l’unité, la quiétude pour tout le monde, la paix et la sécurité sans exclusion. Après sa victoire, lui, il ne voulait pas en découdre avec ceux-là mêmes qui le combattaient. Jusqu’à même à ne pas en vouloir aux Belges. Il savait que tout ce monde-là avait à contribuer pour l’édification d’une nation réconciliée, unie, développée. Bref, une nation où il fait beau vivre.
Il disait que le vainqueur et le perdant sont tous des Barundi, des membres de la même famille nationale, enfant d’un même Mwami. Il renchérissait en disant que le Burundi a besoin de tous. Sa victoire n’était pas d’un parti, mais le triomphe de l’ordre, de la discipline, de la paix, et de la tranquillité publique. Il avait pour objectif de servir le peuple et le pays.
N’est-ce pas le cas aujourd’hui ?
Ce n’est pas évident. Il y en a qui viennent au pouvoir pour assouvir leurs propres intérêts sans nécessairement cet objectif ultime de servir le pays et le peuple. Ses successeurs ont failli à son héritage.
Rwagasore prônait l’autorité forte de l’Etat. Ce qui ne signifie pas une dictature. Mais une autorité qui ne tolère pas le désordre, la corruption, l’injustice sociale, … Bref, une autorité forte pour sécuriser et tranquilliser tout le monde et qui assure le bien de tous. Pour lui, sans autorité forte, il n’y a pas de progrès. Il avait compris la démocratie.
Comment ?
Selon lui, la démocratie est la justice sociale pour tout le monde, la bonne gouvernance politique et économique, le fait de se pencher sur de véritables questions qui hantent vos administrés. Et il en avait épinglé les plus cruciaux notamment les problèmes de paix, de justice sociale, de terres, de l’éducation, etc. Pour lui, la victoire signifie la solution à tous ces défis. Et voilà, les mêmes questions se posent aujourd’hui.
Il disait que ‘’il faut éviter que le prestige, l’honneur et l’avenir du pays soient compromis par quelques exaltés. Il n’était pas d’accord avec l’impunité’’. Il disait : ‘’aux voleurs, agresseurs et bandits de toute espèce, nous annonçons une répression énergique et impitoyable, un châtiment dont ils se souviendront.’’ 58 ans après, l’impunité est des maux qui hantent la société burundaise.
Une cinquantaine d’années après son assassinat, son parti Uprona peine à se réunifier. Qu’est-ce qui bloque ?
Evidemment, c’est une autre démonstration de la non-continuité de son héritage. Deux raisons majeures expliquent cette situation. La problématique du leadership charismatique visionnaire. Au sein de l’Uprona, maintenant et c’est déplorable, il y a un manque criant de leadership, d’hommes et de femmes qui gèrent le parti fidèles aux objectifs visés par le Prince et à son idéologie.
Plus grave, et c’est un facteur exogène, il y a des adversaires pour ne pas dire des ennemis du parti comme à l’époque de Rwagasore. Ils passent par des ‘’pseudo-Upronistes’’ pour détruire Uprona. D’où, les dirigeants du parti sont aujourd’hui décrétés de quelque part. C’est la volonté d’un autre parti qui gère l’Uprona et pas les statuts.
Espérez-vous qu’un jour le parti du Prince pourra ‘’redevenir fort’’ ?
Nous n’en doutons point. Parce que ce qui arrive au Burundi n’est pas une fatalité. Les peuples perdurent, les pays resteront toujours là, mais les gouvernements doivent toujours changer. C’est pourquoi nous ne désarmons pas.
Toute la lumière sur l’assassinat du Prince Louis Rwagasore n’est pas connue. Pourquoi selon vous ?
Après sa mort, le parti a été infiltré par des gens forts du Front commun. Il n’y a pas longtemps, certaines personnes étaient des secrétaires du parti tout en étant du Frodebu. Aujourd’hui ceux qui se targuent des Upronistes sont plutôt militants d’autres partis, etc. Donc, la vérité sur l’assassinat du Prince souffre de tout cela. Ça n’a pas été une préoccupation pour eux. On ne peut pas invoquer sa propre turpitude.
Quand même, il y a une partie de la vérité qui est connue. Le flou reste au niveau de véritables commanditaires du crime. Et le mobile était d’annihiler l’élan indépendantiste de Rwagasore et si possible étouffer l’indépendance dans l’œuf.
A l’intérieur du pays, dans certains coins, il n’y a pas eu de messe pour cette occasion. Votre commentaire.
Mon interprétation a un double aspect. D’abord, ils chantent Rwagasore sans le considérer comme une référence. S’il y avait moyen de ne plus parler de lui, il y a certains hommes et femmes qui sauteraient sur l’occasion. C’est peut-être lié aussi à ce conflit latent entre l’Église catholique et les institutions actuelles.
A ceux qui sont toujours attachés aux idéaux du Prince Louis Rwagasore, et ils sont encore nombreux, je leur dis : ‘’gardons le courage, la flamme allumée’’. Le président Bagaza avait tenté de nier cette célébration. Beaucoup d’années sans célébrer le 13 octobre. Mais il a suffi qu’il parte pour que le Mausolée brille encore.
Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze