La Commission Vérité et Réconciliation est confrontée à plusieurs défis. Son président, l’ambassadeur Pierre-Claver Ndayicariye, en appelle à la volonté des acteurs sociopolitiques pour réussir sa mission. Pour plusieurs chercheurs, de telles commissions n’atteignent que quelques objectifs.
Que faire pour gagner le pari de la vérité et de la réconciliation et ne pas trahir les espoirs suscités chez les victimes ?
Les CVR dans le monde sont l’émanation d’une volonté politique. Au Burundi, c’est le même schéma, la CVR est le fruit du dialogue politique qui a abouti à l’Accord d’Arusha signé en août 2.000.
Les vérités recherchées par les CVR sont des vérités possibles quand uniquement la population, en général et les acteurs sociopolitiques en particulier acceptent de témoigner, de dire ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont fait et ce qu’ils ont vécu. Ceci est une dimension fondamentale.
La dimension thérapeutique dans le processus de la justice transitionnelle prend une place importante. Dans les tragédies que nos pays ont connues, le temps du deuil, le temps du souvenir, le temps de la commémoration a souvent manqué.
Lorsque le débat conduit par la CVR permet aux populations de s’exprimer, à 75%, à 80%, voire 90%, c’est déjà une chance. Une chance si les gens qui s’expriment disent la vérité, éclairent l’obscurité. Quand il y a tragédie, il y a des morts et là, la CVR dit qu’il y a des présumés auteurs. Les victimes sont facilement identifiables.
Identifier les présumés auteurs n’est pas chose aisée…
Il faut que les présumés auteurs soient nommés. Il faut que ceux qui sont connus puissent demander pardon quand ils le peuvent. Ceux qui sont connus doivent être listés et c’est ce que la loi nous demande.
La vérité n’est pas facile à regarder en face, elle est dure à assumer parce que quand on a tué cent personnes, quand on a fauché deux cents familles, quand on a été le cerveau des tragédies politiques et sécuritaires qui ont décimé des millions de vies innocentes, on a peur d’affronter cette vérité.
Mais pour les victimes et surtout pour les survivants, l’essentiel n’est pas de regarder derrière, l’essentiel se résume en deux mots : la vérité au moins et la réconciliation surtout. Cela s’appelle : regarder devant.
Pour les survivants, c’est aussi parier sur la réconciliation pour vivre ensemble, la réconciliation pour survivre ensemble. C’est pour protéger les générations présentes et futures parce que ces enfants qui tombent aujourd’hui dans la globalisation, accusés de tout et de rien, alors qu’ils n’étaient pas encore nés, cela est un autre crime.
Si la CVR peut sauver les générations présentes et futures, ce serait déjà un résultat louable, un acte de salut public et communautaire.
Mais c’est tout un défi !
C’est vrai, parce que nous avons passé plusieurs années d’impunité. C’est tout un défi également parce que nous avons connu des tragédies qui se sont répétées.
La violence a appelé la violence, la justice n’a pas fonctionné. Les appareils de l’Etat sont tombés en déficience fonctionnelle, institutionnelle. Ceux qui devraient prendre la responsabilité de corriger le tir, ont eu peur d’affronter le passé douloureux, et ce passé ne passe pas.
Il nous enchaîne, il crée l’ombre sur les innocents. Il angélise les présumés auteurs et tout le monde devient coupable alors que tout le monde ne l’est pas. Tout le monde n’est pas innocent, tout le monde n’est pas responsable.
Est-ce que le poids politique ne pèse pas sur votre travail, ce qui freinerait la manifestation de la vérité, hypothéquant la réconciliation recherchée ?
Depuis ma nomination en décembre 2018, en toute sincérité, je n’ai jamais senti aucune pesanteur politique sur mon travail, sur la mission de la CVR. Si une telle commission subit des pesanteurs des acteurs sociopolitiques, mieux vaut ne pas la mettre en place. En toute vérité et je le dis parce que j’ai été ailleurs dans des fonctions où c’était difficile, je n’ai jamais senti le poids des pesanteurs externes. En réalité, ceux qui le disent ne savent pas comment nos commissions fonctionnent.
Donc la réconciliation est à espérer ?
Pour que la réconciliation soit possible, il faut que notre société sorte de la solidarité négative, il faut que notre peuple accepte de dire la vérité. Il faut que la CVR soit un outil technique au service de la recherche de la vérité et de la vraie réconciliation. C’est cette réconciliation qui permettra aux générations futures de vivre ensemble dans le respect de la vie et de la différence.
Propos recueillis par Abbas Mbazumutima