Manque de moyens financiers, de matériel et de livres écrits en kirundi, des bibliothèques qui ne sont pas à jour, peu d’engouement chez les jeunes. Quelques défis qui handicapent le bon fonctionnement du Cebulac et des Clac. Sébastien Ntahongendera, directeur du Cebulac, s’exprime.
A quand date la création du Cebulac ?
Le centre burundais pour la lecture et l’animation culturelle (Cebulac) a été créé en 2007 avec deux objectifs jumelés. D’abord ledit centre visait la mise en place des bibliothèques, au moins une, au niveau de toutes les communes du pays.
Ensuite, la mise en place d’un centre d’animation culturelle. Nous voulons puiser dans notre patrimoine culturel. Nous visons un centre pour la lecture et l’animation culturelle (Clac) dans chaque commune. Nous avons aussi besoin de connaître ce qui se passe ailleurs même si nous mettons un accent particulier sur les livres qui ont été écrits par les Burundais.
Qui sont censés fréquenter ces centres ?
Le centre est normalement ouvert à tout le monde. Mais comme on le dit en kirundi : « Igiti kigororwa kikiri gito » (Il faut redresser l’arbre quand il est encore jeune). La cible privilégiée est donc la jeunesse.
Les Burundais, toutes les couches sociales, nous ne sommes pas très friands de la lecture. La crise s’accentue d’année en année. Et s’il faut aiguillonner quelque chose, il faut une sorte de révolution dans ce domaine en commençant par la jeunesse.
Combien de Clac y a-t-il au Burundi ?
Nous en sommes maintenant à 45 Clac. Parmi ceux-là, il y en a qui sont déjà équipés, d’autres sont en train de l’être. Une dizaine fonctionne normalement.
Des résultats ?
Nous avons déjà constaté que les écoles qui se trouvent dans les communes dotées de ces centres enregistrent de bons résultats scolaires. Dans la province Ngozi, qui a cinq communes dotées de Clac, les performances scolaires sont satisfaisantes, meilleures que dans les communes qui n’en ont pas.
Quels sont les grands défis auxquels font face le Cebulac et les Clac ?
Tout tourne autour des moyens financiers. Nous invitons les ressortissants des communes à investir dans ces centres qui vont profiter à leurs progénitures. C’est un investissement à long terme, mais nous disons qu’il faut déjà y penser.
Il y a aussi un manque de matériel. Nous avons besoin du matériel, comme des postes téléviseurs pour que les jeunes puissent visionner certaines émissions. Et des téléphones portables pour exploiter les réseaux sociaux.
En plus, il y a cette méconnaissance de l’importance de ces centres par les administratifs et les parents.
Vous plaidez pour la revalorisation du kirundi mais ces Clac accusent un manque de livres écrits en kirundi. Est-ce que ce n’est pas un paradoxe? Comment y remédier ?
Vous savez que les gens qui écrivent en kirundi se comptent sur les doigts d’une main. Nous sommes en train de contacter les personnes qui ont écrits ces livres. Il y a des professeurs d’universités qui ont écrit des livres en kirundi. Dans les Clac que nous allons installer, on va privilégier la lecture panoramique en y mettant des livres écrits en kirundi et en français par des Burundais.
L’on entend souvent dire que le kirundi est pauvre. Faites-vous le même constat ?
Le kirundi est une bonne et belle langue. Les gens disent que le Kirundi est pauvre mais c’est nous qui sommes pauvres au niveau de l’esprit. Par exemple, en France, il y a ce qu’on appelle le « Certificat Voltaire », c’est-à-dire qu’il y a des entreprises qui ne peuvent engager des employés qu’après avoir constaté qu’ils ont une certaine connaissance de la langue française.
Dans d’autres pays, est intellectuel celui qui maîtrise d’abord sa langue maternelle du moins s’il est né, a grandi et étudié dans ce pays. Par contre, chez nous, est considéré comme un grand intellectuel quelqu’un qui massacre sa langue maternelle. Si vous parlez bien le kirundi, on va vous taxez de paysan. Il y a des situations qui sont catastrophiques. Quand on lance des appels d’offres, on dit qu’il faut une maîtrise du français et de l’anglais en faisant fi du kirundi. Ailleurs, en France, en Angleterre, en Allemagne, la première condition c’est la maîtrise de la langue du pays.
Voulez-vous privilégier le kirundi au détriment d’autres langues ?
Que les gens nous comprennent bien. Nous prônons la maîtrise d’un kirundi authentique. Mais cela ne veut pas dire que nous sommes exemptés des autres langues. Nous sommes dans un monde où la communication est devenue une pierre précieuse. Celui qui maîtrise plusieurs langues a plus de chances de s’en sortir dans cette mondialisation qui est devenue incontournable.
Le niveau du français a sensiblement baissé au Burundi. Si nous prônons le kirundi, ce n’est pas pour délaisser les autres langues. Loin de là, on a besoin du français, de l’anglais, du kiswahili, etc.
Mais il faut nous connaître nous-mêmes, comme disait Socrate. Quelqu’un qui ne maîtrise pas la langue de sa mère ne peut pas maîtriser sa culture. Celui qui ne maîtrise pas sa culture n’aime pas son pays. Finalement, le patriotisme et la langue sont intimement liés.
Est-ce qu’une langue ne peut pas emprunter à une autre ?
Toutes les langues s’enrichissent avec des mots et des expressions empruntés à d’autres langues. Mais quand quelqu’un qui se dit locuteur d’une langue commence à conjuguer un verbe avec les structures grammaticales de conjugaison d’une autre langue, cela devient un problème.
Par exemple, quelqu’un vous dit : « Ivyo bintu sindabi comprena » (Je ne comprends pas), « baradivorshije », (Ils ont divorcé). Est-ce que cela relève de l’emprunt ou plutôt d’une manifestation du complexe d’infériorité linguistique ? Il faut recourir aux règles grammaticales de votre langue maternelle. Mais certains Burundais ont senti qu’il faut emprunter quand même quelque chose ailleurs. Ils le font aisément.
Nous avons emprunté et nous empruntons toujours. Nous avons emprunté des mots comme « ishati » de l’anglais « shirt », « uburengeti » de l’anglais (blanquet), « ipantaro) du français « un pantalon ». Vous prenez un mot et vous l’intégrez dans les structures grammaticales et les règles syntaxiques de votre langue. Ce n’est qu’une question d’adaptation.
La langue étant le véhicule de la culture, comment envisagez-vous redynamiser le kirundi et la culture burundaise ?
Il y a des Clac qui sont installés dans les grandes villes. Le risque d’acculturation est plus grand que chez les gens habitant les milieux ruraux. Nous allons initier des séances d’enseignement du kirundi et des valeurs culturelles du Burundi dans ces Clac.
Comment allez-vous collaborer avec la nouvelle Académie Rundi dans la revalorisation du kirundi ?
Elle n’est pas encore dotée de personnel. Les académiciens ne sont pas encore là. Le cadre de travail n’est pas encore bien défini. Mais nous présumons que ces académiciens seront nos proches collaborateurs. Il faut une renaissance du kirundi.
Les élèves qui fréquentent ces Clac se lamentent comme quoi le contenu des livres qui s’y trouvent ne cadre pas avec celui des matières apprises en classe. Votre commentaire. Et comment y remédier ?
C’est un autre défi. Nous avons des livres et des bibliothèques qui ne sont pas à jour. Les gens qui fréquentent nos centres nous le signalent souvent. Il est vrai que la lecture ne vieillit pas, mais il nous faut des livres qui soient à jour. Nous osons espérer qu’avec la coopération et des personnes qui nous ont toujours accompagnés, ce défi sera progressivement relevé.
Il s’observe un manque d’engouement pour ces Clac. Que comptez-vous faire pour stimuler ces jeunes ?
Le peuple est intelligent, mais le peuple s’éduque. Ce sont des centres qui sont au milieu des gens. Il faut que l’environnement s’imprègne de l’importance de ces centres.
Nous allons d’abord sensibiliser l’administration et les parents. Les parents assurent l’éducation de leurs enfants, tandis que les professeurs ou maîtres d’école instruisent. Le livre rend intelligent. Un élève qui se contente uniquement de ce que lui donne l’enseignant sera instruit, mais il ne deviendra pas un intellectuel.
Nous allons montrer à ces jeunes que ce qu’ils gagnent à la maison est bon, mais que cela ne suffit pas. Nous allons leur faire comprendre que la fréquentation de ces centres est plus bénéfique que les matières apprises en classe. Et n’oubliez pas que certaines écoles n’ont pas de bibliothèques. Ainsi, ils s’épanouiraient plus en fréquentant ces Clac.
Quel appel lancez-vous à l’endroit du gouvernement ?
Il faut que le gouvernement pense à mettre un peu de tonus dans son projet. Il faut des moyens pour que le Cebulac et les Clac puissent bien fonctionner. Ces Clac sont des miroirs qui montrent que le gouvernement à l’intention de redynamiser la lecture et la culture auprès des jeunes.
Propos recueillis par Félix Haburiyakira
Je me permets de réagir au passage suivant de votre article:
« Mais quand quelqu’un qui se dit locuteur d’une langue commence à conjuguer un verbe avec les structures grammaticales de conjugaison d’une autre langue, cela devient un problème.
Par exemple, quelqu’un vous dit : « Ivyo bintu sindabi comprena » (Je ne comprends pas), « baradivorshije », (Ils ont divorcé). Est-ce que cela relève de l’emprunt ou plutôt d’une manifestation du complexe d’infériorité linguistique ? »
Sans être un spécialiste, je constate qu’il y a différents langages en fonction des contextes: l’âge, les interlocuteurs, … y sont souvent pour quelques choses. J’entends souvent les ados parler de meuf, chui dég, chez oim…. Une langue qui leur appartient et qui leur permet de communiquer. Ils vivent dans leur monde et on ne peut pas leur demander (ou exiger) d’être des puristes. Je profite pour poster ce lien qui peut intéresser l’un ou l’autre:
https://www.montremoicomment.com/comment-comprendre-le-langage-des-ados.html
Je lisais, il y a deux ans, une traduction, officielle celle-ci, d’un article d’une loi signée de la main du Président de la République que je me permets de reproduire:
À l’article 2 [dédié aux définitions], paragraphe 4
« sachet en plastique, un matériel synthétique de faible densité composé de plusieurs molécules simples d’éthylène avec une formule chimique (CH2=CH2)n. »
La traduction en kirundi donnée en regard de cette définition est la suivante:
« isashe ikozwe mu kamwanya ni igikoresho gihinguwe mu buhinga bwa shimi (CH2=CH2)n gihwahutwe, kigizwe n’utumanyumanyu twinshi ntabonwa twa etileni ikomoka mu bitoro. »
Source: http://www.presidence.gov.bi/wp-content/uploads/2018/08/decret-099-2018.pdf
Je ne commente pas cette traduction mais je voudrais seulement dire qu’il ne faut pas chercher à réinventer la roue.