Durant la saison sèche, des feux de brousse sont fréquents. Les conséquences sont désastreuses tant sur l’environnement que sur l’homme. Léonidas Nzigiyimpa, expert en biodiversité interpelle.
Parlez-nous de l’importance des aires protégées ?
Elle est inestimable. Les aires protégées sont là pour préserver la biodiversité floristique et faunique, pour préserver les différents services écosystémiques, promouvoir le tourisme et l’écotourisme.
Ce dernier est centré sur la découverte des écosystèmes et implique une participation active des populations locales et des touristes à la sauvegarde de la biodiversité. Bref, les aires protégées sont là pour l’homme.
Néanmoins, les feux de brousse y font rage durant la saison sèche. Quelles sont les causes ?
Elles sont généralement anthropiques. Ils sont causés par l’homme suite aux défrichements agricoles, à la recherche des pâturages et des moyens de survie. Par exemple, l’élevage traditionnel des abeilles ou la recherche du miel sauvage en est à la base. Dans la Kibira, des Batwa utilisent le feu pour déloger les abeilles et récolter le miel.
Quels sont les types de feux de brousse ?
Des feux criminels provoqués par des pyromanes pour détruire la biodiversité. Des feux involontaires ou accidentels existent aussi.
Est-ce que ce phénomène s’amplifie ou diminue d’ampleur ?
Cela dépend des régions. En 2018, 2017, les chiffres variaient entre 700 et 900 hectares. A peu près 240 hectares ont été décimés par les feux de brousse en 2019. Fort heureusement, dans la Kibira, ce phénomène tend à disparaître. Ce qui démontre une prise de conscience des riverains.
Qu’en est-il des conséquences ?
D’abord, il y a la perte de la biodiversité. Le sol est dénudé. Ce qui accentue ou entraîne l’érosion. Il y a perte des puits de carbone. Car, les arbres constituent leurs stocks. Les forêts sont aussi des châteaux d’eau. Avec leur disparition, vous stoppez l’infiltration de l’eau.
Et là, l’homme est l’auteur des feux de brousse mais aussi la première victime. C’est pour son intérêt qu’il devrait bien gérer cet ensemble éco-systémique. Malheureusement, en détruisant ces écosystèmes, nous ne nous rendons pas compte que nous sommes en train de scier la branche sur laquelle nous sommes assis.
Que dit la loi ?
Le Burundi dispose de pas mal d’outils pour faire face aux feux de brousse. Il y a le code de l’environnement, le code forestier révisé, etc. Ils prévoient beaucoup de dispositions pour lutter contre ce phénomène.
Entre autres ?
L’article 99, une disposition obligeant toute personne qui est sur le sol burundais d’œuvrer pour lutter contre les feux de brousse. Et ce, par tous les moyens : l’extinction, la prévention, etc. C’est un devoir. Tout le monde est interpellé.
Citons aussi l’article 100 qui dégage une responsabilité par rapport à tout auteur d’un feu de brousse. Des sanctions sont réservées aussi. L’article 212 prévoit des sanctions allant de 10 ans à 20 ans d’emprisonnement. Un auteur des feux de brousse est considéré comme un criminel.
Pour des feux involontaires, la loi est aussi claire. L’auteur doit être puni d’emprisonnement allant de 2 mois à une année.
Quelles sont les différentes techniques pour prévenir ou maîtriser des feux de brousse ?
La première technique est la pratique des feux précoces. Ce qui se fait souvent dans le parc de la Ruvubu. Car, c’est un parc où il y a encore des mammifères herbivores. Ces derniers doivent avoir de l’herbe fraîche. Les feux précoces sont donc pratiqués pendant qu’il est encore humide. C’est entre le mois d’avril et mai. Ils ne sont pas très ravageurs. On les appelle aussi de feux de gestion. En cas de feux criminels, ces espaces stoppent la propagation.
Puis, on ouvre les pare-feu. Il s’agit des sentiers qu’on aménage et qu’on nettoie. Ils sont une largeur variant de 3 à 6 mètres. Plus les herbes sont hautes, plus il faut faire des pare-feu très larges. Quand il y a des feux de brousse, les flammes ne vont pas sauter ces espaces. Il s’agit là d’une technique ancienne pratiquée même autour des boisements artificiels.
Existent-ils d’autres techniques ?
Oui. Une technique pratiquée par les spécialistes consiste à mettre le feu sur une bande de 100 mètres et l’éteindre sur une certaine longueur. S’il advenait que les malfaiteurs mettent le feu et les flammes arrivées sur cette bande-là, le feu va s’arrêter. Il s’agit d’une manière d’éteindre le feu par le feu. Une façon de devancer les feux criminels ou accidentels.
D’autres techniques plus sophistiquées utilisent les nouvelles techniques de l’information et de la communication pour faire la surveillance. Avec la télédétection, avec les satellites, il y a moyen de surveiller les feux à distance, étant aux bureaux ou d’une base. Malheureusement, au Burundi, il n’y a pas cette technologie.
Que faire ?
Quand il y a des feux, des incendies, les impacts touchent tout le monde. C’est pour cette raison que le combat contre ce phénomène doit être une affaire de tout le monde : le ministère en charge de l’environnement, la police, l’armée, l’administration, etc.
Pour réussir, il faut miser sur la sensibilisation permanente. Ce qui pourra augmenter la prise de conscience de la population, de tous les acteurs. Tous les textes en rapport avec la lutte contre les feux de brousse, la protection de l’environnement, … nécessitent d’être traduits en deux langues : français et Kirundi.
Il faut trouver des alternatives telles des activités génératrices des revenus, etc à ces populations qui dépendent de ces espaces, créer une situation gagnant-gagnant. Impossible de faire de la conservation des forêts d’une manière effective, si on ne s’occupe pas des problèmes des riverains.
Au Burundi, nous avons un ministère rassemblant les secteurs comme l’Agriculture, l’Elevage et l’Environnement. Est-ce conciliable ?
Loin de là. C’est mon souhait le plus ardent, c’est même mon rêve de revoir un ministère indépendant en charge de l’environnement, dissocié de celui de l’Agriculture et de l’élevage. Là, il y a énormément à faire. Les questions en rapport avec l’eau, la biodiversité, les changements climatiques, les déchets, etc. Tout cela nécessite un ministère propre, spécialisé en la matière. C’est ma prière.
Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze