Depuis la crise de 2015, les relations entre Kigali et Bujumbura vont de mal en pis. L’escalade verbale inquiète les observateurs. Iwacu a rencontré un spécialiste des questions sécuritaires. Eclairage.
Depuis quelque temps on assiste à une surenchère verbale entre Kigali et Bujumbura. Il y’a lieu à craindre un embrasement ?
Si, bien sûr. Les mots sont porteurs de maux. Et tous les conflits naissent des contacts et des discours échangés, surtout des gestionnaires au sommet de l’Etat.
Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer cela
Quand les mots prennent racine dans des faits ou des allusions aux faits du passé, les ingrédients discursifs peuvent alimenter des ressentiments, des non-dits, des peurs, etc. Ces derniers débouchent généralement sur le dilemme de sécurité. Chacun veut être plus sécurisé et plus fort que l’autre. Et finalement ce dilemme peut mener au conflit ouvert. C’est ce qui semble s’observer. Progressivement, les deux pays se traitent déjà d’« ennemis .Un mot très chargé symboliquement.
En d’autres mots, il suffirait d’une petite étincelle pour l’embrasement ?
Vous savez, toutes les guerres entre les Etats, tout comme les guerres civiles, ont toujours été le fait d’une petite étincelle. La Première Guerre mondiale est directement liée à l’assassinat du prince héritier de l’Empire austro-hongrois par un fanatique panslaviste serbe.
Dans la région, le génocide des Tutsis rwandais a été déclenché par l’attentat contre le jet présidentiel, de même que la guerre civile au Burundi reste associée à l’assassinat du président Ndadaye.
Bien évidemment, ces différents assassinats ou attentats n’auraient pas conduit aux guerres s’il n’y avait pas d’antécédents. Donc il faut voir derrière les causes immédiates, les causes lointaines.
Mais à qui profiterait un tel embrasement ?
Pour comprendre tout embrasement, il faut pouvoir se situer sur une dyade conflit-intérêt. Et ici la question : «A qui profiterait cet embrasement ? », reste interpellante. A mon avis, ni le Burundi ni le Rwanda n’en profiterait pour l’instant. Pour deux raisons principales.
La première est liée à la contiguïté ou à la proximité géographique et historique qui ferait que chacun des deux pays subisse les conséquences d’un conflit qui affecte l’autre, son voisin. L’exemple c’est la crise de 2015 au Burundi qui continue à alimenter des passions conflictogènes entre les deux pays. Autant dire que si l’embrasement advenait, aucun des deux pays n’en serait épargné pour plusieurs générations en termes de répercussions sur le plan interne (flux de réfugiés, ralenti des relations commerciales, interopérabilité des bandes de criminels, répercussion sur la structuration des oppositions internes, etc.).
La seconde est d’ordre géopolitique. Dans le contexte actuel du Burundi, un embrasement déboucherait sur une guerre interne internationalisée, ce qui suppose divers jeux d’alliance au niveau régional. Or, nous sommes dans une région qui en a déjà expérimenté plusieurs (Ouganda avec implication active de la Tanzanie; Rwanda avec implication de l’Ouganda; Congo avec l’implication de l’Ouganda et du Rwanda notamment).
Si on suit votre analyse, en cas de conflit, il y aurait donc un jeu d’alliance qui se construirait à l’aune des intérêts directs ou indirects entre les Etats, c’est cela ?
Oui, l’histoire regorge d’exemples. Or les intérêts à défendre au Burundi, même s’ils ne manquent pas, sont tout de même minorisés par rapport aux intérêts découlant de la stabilité sous régionale. Par ailleurs, le Rwanda serait sans doute porté à protéger ses acquis même si cela peut exiger de passer par des moyens belliqueux.
En d’autres mots, c’est toute la sous-région qui est concernée…
On marche sur des œufs. Il ne s’agit pas d’une affaire entre les hommes, d’une simple petite colère d’un chef d’Etat, cela concerne des Etats. Même si des accrochages peuvent exister, il faut éviter l’embrasement.
Propos recueillis par Abbas Mbazumutima