Samedi 23 novembre 2024

Politique

Interview exclusive avec Faustin Ndikumana : « Nos analyses dérangent »

28/06/2019 Commentaires fermés sur Interview exclusive avec Faustin Ndikumana : « Nos analyses dérangent »
Interview exclusive avec Faustin Ndikumana : « Nos analyses dérangent »

Pour la première fois après la suspension de son organisation, le Président de PARCEM s’est confié à un média. Il ne comprend pas cette mesure soudaine et extrême. Il estime que leur travail d’analyse basé sur des faits inattaquables était plutôt utile pour les autorités.

Comment tout ceci est arrivé ? Est-ce que vous aviez eu une mise en garde, vous avez vu le coup venir ?

Pas vraiment. Je n’ai subi aucune pression ni intimidation. Plutôt, PARCEM était même régulièrement invité dans les activités organisées par le gouvernement. Aucune autorité du ministère de l’Intérieur ne m’avait jamais invité pour un avertissement ou un blâme. Mieux, le ministère de l’Intérieur venait de nous signer le 19 mars dernier sa prise d’acte prouvant que ce que nous faisions et nos textes réglementaires étaient en conformité avec la nouvelle loi. Entre  le 19 mars et le 3 juin dernier, je ne vois rien qui ait changé pour justifier cette mesure.

Mais à un moment PARCEM avait été suspendu. Est-ce que l’autorisation de reprendre vos activités n’était pas assortie de « conditionnalités » ? Vous n’auriez pas franchi une « ligne rouge ? »

Quelle conditionnalité ? Je n’en connais aucune ! La suspension que vous évoquez était liée au fameux dossier judiciaire des évènements de 2015. PARCEM a été acquitté par le ministère public à l’issue de ses enquêtes et ça s’est limité là. Nous avons repris les activités le plus normalement du monde. Dieu m’est témoin, je n’ai rencontré aucune autorité pour recevoir des conditionnalités. A l’époque, comme c’était un dossier judiciaire dans les mains du procureur général de la République, même le ministère de l’Intérieur était tenu à l’écart.

Mais alors, qu’est-ce qui explique le courroux soudain des autorités contre PARCEM ?

Je ne sais pas vraiment… Mais d’après certaines personnalités contactées, PARCEM fait régulièrement des analyses qui s’appuient sur des faits inattaquables et cela dérange, car certaines autorités se sentent particulièrement visées. D’autres ne veulent pas se sentir responsables ni redevables de ce qui se fait. Or, nous pensons que  c’est  justement la vérité qui nous sauvera.

Il semblerait aussi que le fait que PARCEM continue de bénéficier des appuis de la part des bailleurs qui ont fermé les robinets au gouvernement n’est pas bien vu. Qu’en dites-vous ?

 

J’ai entendu de cela,  mais franchement,  ce sont des rumeurs et ça n’a pas de sens. Il ne peut pas y avoir de concurrence entre le financement du gouvernement et celui de la société civile. Chacun reçoit ce qui lui revient par rapport à ses missions qui sont habituellement connues. Pour ceux qui maîtrisent les mécanismes de financement de la société civile, cette idée est fausse. Les financements de PARCEM ne peuvent jamais concurrencer ceux du gouvernement.

Parlons justement de vos « missions ». PARCEM vise notamment à « réveiller la conscience citoyenne ». Sur quoi vous basez-vous pour dire qu’elle serait « endormie » au Burundi ?

La société burundaise en général est aveugle devant les véritables problèmes auxquels il faut s’attaquer pour s’épanouir. Nous avons une classe politique qui veut régner sans gouverner réellement un pays qui est confronté à des multiples défis. Et nous avons une population  parfois ignorante par rapport à ses droits. Cette situation permet la manipulation, l’instrumentalisation, on crée des alibis, des échappatoires, des boucs émissaires. Bref, la politique de l’autruche.

PARCEM, dites-vous, c’est « Paroles et Actions ». Vous parlez, c’est vrai. Mais quid des actions à l’actif de votre organisation ?

Nous avons beaucoup de jeunes et plateformes citoyens que nous formons, que nous encadrons, que nous appuyons dans plusieurs communes. La preuve est que le ministère de l’Intérieur avait entamé un grand travail d’identification des organisations œuvrant et présents sur terrain dans les provinces. 14 provinces avaient été déjà concernées par le travail. Nous étions l’une des rares organisations félicitées par les services techniques  du ministère pour avoir prouvé des actions concrètes de terrain dans toutes ces provinces. Le service des ONG local du ministère de l’Intérieur peut en être témoin.

Vous travaillez depuis plus de dix ans, mais est-ce que vos rapports sont utilisés,  exploités par les autorités ?

A plusieurs reprises, les commissions parlementaires sollicitaient nos contributions pour des analyses. Il y a des ministères avec qui on allait concrétiser des partenariats techniques de collaboration sur des cas concrets. Dans plusieurs retraites gouvernementales organisées, PARCEM était toujours présente.

En général, les think tanks, en plus des activités apparentes,  font des lobbyings auprès des parlementaires pour influencer le vote des lois. Avez-vous tenté cette stratégie ou bien vous vous arrêtiez aux déclarations ?

Tout le monde sait combien PARCEM a contribué dans le processus de révision  du cadre légal de lutte contre la corruption, même si ce processus n’est pas achevé, la loi d’accès à l’information pour renforcer la transparence dans l’administration, la loi sur les coopératives et bien d’autres. Nous étions donc présents sur ce terrain.

Le ministère de l’Intérieur vous accuse notamment de ternir « l’image du pays ». S’il  levait la suspension, changeriez-vous votre façon de travailler pour être en bons termes avec les autorités ?

J’ai été complètement surpris. La ligne directrice de PARCEM n’a jamais changé depuis sa création. On vient de boucler 10 ans d’existence. C’est la première fois qu’une telle accusation nous est adressée. Là où le bât blesse, ces accusations ne sont étayées ni  par un exemple concret de message ni par une déclaration écrite ou verbale. Par ailleurs, aucune autorité n’a porté plainte contre PARCEM pour avoir été salie par ses déclarations. A  l’heure actuelle, je ne comprends pas le contenu du message de suspension.

Etes-vous optimiste quant à l’avenir de la société civile burundaise ?

La place de la société civile est incontournable, qu’on le veuille ou pas dans la vie de la nation. La société civile est le pilier de la redevabilité des dirigeants, du respect des droits de l’homme, du dynamisme et de l’autopromotion citoyens sous plusieurs aspects. Le problème est que certaines  autorités ne comprennent pas la mission  de la société civile.

Et, vous personnellement, comment vivez-vous cette situation ?

Je reste optimiste. Je veux croire que tout cela  est passager…

 

                                                                                                                Propos recueillis par Egide Nikiza

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