Les rideaux sont tombés sur les obsèques de l’ancien « homme fort de Bujumbura », avec les derniers hommages rendus à Bamako et à Bujumbura. Son successeur, Domitien Ndayizeye, président de la deuxième partie de la Période de Transition, d’avril 2003 jusqu’en août 2005, témoigne.
Le président Pierre Buyoya laisse quel héritage ?
De Buyoya, je retiens de lui deux choses que les Burundais et les générations futures pourraient garder à l’esprit. Il y a Buyoya connu avant les négociations d’Arusha et il y a Buyoya d’après ces pourparlers. Entre les deux, il y a la Période de Transition que les gens devraient savoir.
Je ne vais pas revenir ce qui a caractérisé cet homme avant les négociations d’Arusha, mais je peux parler de la manière dont on a évolué. Après son coup d’Etat, il fallait trouver une solution pour sortir de la crise dans laquelle nous étions embourbés à l’époque. Il a fallu que le Frodebu organise une sorte de sondage pour savoir l’esprit qui l’animait, ce qu’il entrevoyait pour l’avenir du pays.
Et qu’avez-vous fait ?
Au fait, le Centre Nyerere venait de passer toute une année à venir chaque mois au Burundi pour essayer de savoir comment l’opposition et le pouvoir comptaient s’organiser afin d’aller aux négociations d’Arusha. Nous avions constaté que le pouvoir de Buyoya était bloqué.
Nous avions compris que Buyoya n’était pas prêt à aller à ces négociations d’Arusha seul contre tous. Et là je vous fais une petite confidence : c’est là l’origine du partenariat politique intérieur qui a duré deux ans avec M. Frédéric Bamvuginyumvira comme vice-président.Nous avons mis en place ce partenariat pour que Buyoya accepte d’aller, avec tous les autres, aux négociations globales d’Arusha. C’était là le point de départ.
Que gardez-vous des négociations ?
Les débats tenus à Arusha ont influencé chaque Burundais, autant ceux qui étaient au pouvoir que ceux qui étaient à l’opposition intérieure et extérieure. Ces débats nous ont conduits jusqu’à la conclusion d’un Accord pour la paix et la réconciliation au Burundi.
Ce texte ne satisfaisait ni ceux du Frodebu encore moins ceux de l’Uprona, il incluait tout ce qui est nécessaire pour parvenir à la paix et prenaient en compte les préoccupations des uns et des autres pour que nous puissions avoir un juste milieu capable de conduire les Burundais vers cette paix et cette réconciliation.
Est-ce que Buyoya est venu de bon cœur ?
Buyoya a mordu à l’hameçon et c’est une des raisons qui a fait qu’au moment de la mise en application de cet accord, lui comme président de la République et moi comme vice-président, nous croyions en ce texte historique, nous nous en sommes appropriés, imprégnés.Sans exagérer, c’était du sans-faute. Je n’ai jamais eu d’altercation avec le président Buyoya. Nous avons discuté de toutes les questions d’égal à égal et c’est une des raisons qui a fait qu’il n’y a pas eu d’incident à la fin de la première période de transition et au début de la deuxième période de celle-ci.
Est-ce qu’il y aurait eu une certaine métamorphose chez Buyoya?
C’est là qu’il fait cerner et comprendre les deux hommes : Buyoya avant les négociations et Buyoya après l’Accord d’Arusha. C’est pourquoi je dis que sa disparition est une tragédie parce qu’il part avec certains inconnus de ce qui s’est passé avant les négociations. Même s’il est dit que la justice a fait son travail et croit à son prononcé, le président Buyoya tenait aussi à se défendre et nous ne l’avons pas écouté et cela me ronge un peu parce qu’au-delà de cela il y a la Commission Vérité et Réconciliation qui avait besoin de l’écouter pour connaître certaines vérités de l’époque et malheureusement, il part avec.Et c’est quelque part une chose qui nous manque au niveau de la connaissance réelle de l’histoire de notre pays. C’était une nécessité pour la jeunesse burundaise et l’avenir, cela va nous manquer, le destin en a décidé ainsi.
Ceci dit cela ne remet pas en cause les appréhensions que certains ont, elles ont besoin d’être clarifiées mais malheureusement elles ne peuvent pas l’être parce qu’il n’est plus là pour nous en donner les confidences.
Est-ce qu’il n’était pas méfiant ?
Quand j’ai été son adjoint, il ne souhaitait pas que je sois son vice-président. Et c’est d’ailleurs la vérité, moi-même je ne souhaitais pas travailler avec lui comme président. Mais nous avons appris, à deux, à travailler ensemble. Et il a fallu que nous discutions avec franchise avec lui.
Comment est-ce que votre première rencontre s’est passée ?
Je me souviens, le premier jour quand je l’ai rencontré, je suis allé à son bureau et nous avons commencé à discuter à bâtons rompus et je me rappelle, j’ai amorcé le débat sur la question ethnique. Je lui ai dit que même si je suis cessé représenter les Hutu et lui les Tutsi au niveau de l’Etat, nous sommes là principalement pour l’ensemble de notre pays.
Je lui ai dit que si nous sortions de la présidence en disant que moi je travaille pour les Hutu et lui pour Tutsi, personne n’aura confiance en nous et personne ne nous aidera mais si par contre nous sortons d’ici en parlant pour l’ensemble des Burundais, nous pourrions avoir un léger mieux pour notre pays. Nous sommes tombés d’accord.
Je lui ai également dit, monsieur le président, nous devons cultiver un esprit de confiance entre nous et pour y parvenir, il va falloir que nous soyons francs entre nous. Je me souviens lui avoir dit, monsieur le président, si vous me trompez, je le saurai parce que j’ai des services qui m’informeront et si je vous trompe, il en sera pareil et comme résultat nous allons perdre toute confiance entre nous et cela aura des répercussions négatives sur notre pays. Et je lui ai dit, monsieur le président, soyons honnêtes et francs entre nous.
Vous a-t-il accordé sa confiance ?
Il l’a fait et je me souviens, on se voyait deux fois l’avant midi et à deux reprises l’après-midi, c’était trop mais c’était nécessaire pour que nous puissions nous connaître mutuellement. Et un mois après, la fréquence a diminué, une fois l’avant midi et une fois l’après-midi. Par après, c’était une fois tous les jours et plus tard nous nous sommes répartis les tâches. Il savait comment je voyais les choses et avant de prendre une décision, je l’appelais et lui aussi faisait la même chose.
Confiance totale vraiment ?
Nous avons appris à nous connaître, personne n’a jamais forcé quelqu’un à sortir un décret. Nous avons toujours discuté et débattu et il nous arrivait de faire des consultations parallèles que ce soit au niveau de l’Uprona ou du Frodebu et il m’a dit, monsieur le vice-président, si vous rencontrez des problèmes pour convaincre vos gens, il faut m’appeler et je vais leur dire ce que pensent les Tutsi. Je lui ai dit si vous éprouvez des difficultés, je ferais la même chose. Et nous nous sommes convenus comme ça. C’est ainsi que nous nous sommes imprégnés des problèmes de chaque camp. Et c’est dans cet esprit que nous avons dirigé la période de transition avec succès.
Nous avons élaboré la Constitution post-transition, nous avons organisé les élections, nous avons intégré les Corps de défense et de sécurité, nous avons redémarré la coopération internationale, signé l’Accord global de cessez-le-feu que Buyoya avait commencé à négocier. Je suis parti du pas franchi, j’ai continué et conclu. Il y a sa main dans ce texte.
Parfaite symbiose?
100%, ça serait trop dire. Mais j’ai bien travaillé avec lui, et nous avons appris à être honnêtes entre nous. Il y a eu estime mutuelle. Nous sommes restés en contact avec lui, même après son départ de l’institution présidentielle et quand j’ai moi-même remis le bâton de commandement au nouveau président élu. Même avant son décès, on ne pouvait pas passer un mois sans se parler. Pour moi, c’est une perte, essentiellement pour la connaissance de l’histoire, avant l’Accord d’Arusha, il y a des inconnus sur lesquels, il pouvait nous éclairer. Il a quitté le pays pour une carrière internationale avec les bénédictions du gouvernement. Et ce travail de médiation au Sahel, il le faisait en quelque sorte pour le Burundi.
Vous avez été dernièrement au ’’Pays des hommes intègres’’, comment est-ce Buyoya est perçu là-bas ?
J’ai été dernièrement au Burkina-Faso, j’ai rencontré beaucoup d’autorités politiques, c’était avant son décès, ils étaient fiers du travail accompli par le Haut représentant de l’UA. Ces autorités me l’ont dit à plusieurs reprises. L’estime dont j’ai pu bénéficier au Burkina-Faso provenait de cet état d’esprit qui existe dans cette région de par le travail que le président Buyoya était en train de faire.
Propos recueillis par Abbas Mbazumutima