Dans une interview accordée à Iwacu, Sixte Vigny Nimuraba, président de la Commission nationale indépendante des droits de l’Homme (Cnidh), s’exprime sur les cas des personnes arrêtées et emprisonnées pendant et après les élections du 20 mai.
Comment appréciez-vous le déroulement du triple scrutin du 20 mai ?
Dans l’ensemble, le triple scrutin s’est bien déroulé. Partout où nous avons été, il n’y a pas eu de violence. Dans toutes les provinces et dans les communes, la situation était calme. Bien sûr, ici et là, on a entendu des gens qui se sont chamaillés, mais en général le pays est resté paisible. Et même aujourd’hui, la situation reste calme.
Mais pendant les élections et même après, on a enregistré des cas d’affrontement, surtout entre les militants du Cnl et du Cndd-Fdd suivis d’arrestations et d’emprisonnements. Avez-vous le nombre des personnes déjà arrêtées et emprisonnées ?
Il serait difficile de savoir le nombre de personnes déjà arrêtees et emprisonnées le jour du scrutin. Cela relève du travail de la police. Mais toutes les arrestations nous interpellent. Je dois souligner que la semaine passée et même au cours de cette semaine, la plupart de nos commissaires, y compris moi-même, avons fait le déplacement dans différentes provinces et communes pour voir la situation, selon les allégations parvenues à notre commission.
Quels sont les principaux chefs d’accusation ?
Ce sont d’abord les destructions méchantes le jour du scrutin. Des incitations à la violence. Des gens qui se sont battus.
Le parti Cnl assure que les allégations avancées ne sont pas fondées ? Avez-vous le même constat ?
Il est difficile de dire qu’une allégation n’est pas fondée tant que la justice ne s’est pas encore prononcée. Les allégations font l’objet d’enquête. Ce serait difficile de statuer tant que les enquêtes sont en cours. A notre niveau, nous suivons la procédure judiciaire pour voir si on respecte la loi à la lettre.
Des procès de flagrance. Votre commentaire par rapport à cette procédure ?
Selon l’article 21 du code de procédure pénale : « Est qualifié de crime ou délit flagrant, le crime ou le délit qui est en train de se commettre et qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque :
– après la commission de l’infraction, la personne est poursuivie par la clameur publique ;
– dans un temps très voisin de la commission de l’infraction qui ne peut dépasser 24h, le suspect est trouvé en possession d’un objet ou présente une trace ou indice laissant penser qu’il a participé à la commission du crime ou du délit… »
A titre illustratif, des gens ont été surpris en possession de bulletins après le vote ou des bulletins qui ont été falsifiés ou avec beaucoup plus de bulletins.
Dans des cas pareils, que la justice poursuive ces personnes et procède à des procès de flagrance, c’est tout à fait normal.
Le parti Cnl dénonce des sanctions disproportionnées à l’endroit de ses militants. Qu’en dites-vous?
Je doute. Ces derniers jours, nous effectuons des visites sur le terrain. J’ai été en province pour suivre les dossiers en cours de traitement. J’ai même participé à Muramvya à l’audience quand on était en train de juger les prévenus.
Parmi les personnes auditionnées, j’ai trouvé deux cas pour lesquels il n’y avait pas vraiment de preuves tangibles qui pouvaient justifier leur arrestation et emprisonnement. Ils ont été blanchis.
Pour d’autres cas, ils auraient été attrapés avec des spécimens qui étaient découpés. C’est une infraction. Seulement, il ne faut pas généraliser. Il faut toujours traiter les dossiers au cas par cas.
Le parti Cnl dresse une liste de plus de 400 personnes derrière les barreaux. Parmi elles, des mandataires politiques. Est-ce que ces arrestations et emprisonnements ne vous inquiètent pas ?
Ces cas nous interpellent de faire une descente sur le terrain pour vérifier le mobile qui est derrière ces arrestations. Après avoir consulté un dossier, on peut constater que la personne arrêtée ne devrait pas l’être. Et en collaboration avec la justice et l’administration, on parvient à faire libérer la personne avant même que la procédure continue.
Chaque fois qu’il y a des choses inquiétantes, la Cnidh est toujours disponible. Que ce soit le Cnl et la population en général, je pense que tout le monde apprécie ce que nous sommes en train de faire.
Encore des affrontements post-électoraux surtout entre les militants du Cnl et ceux du Cndd-Fdd. Est-ce que cela aussi ne vous inquiète pas ?
Je pense quand-même qu’il faut une nuance. En voyant le genre d’affrontements qu’il y avait avant les élections et le genre d’affrontements qu’on observe aujourd’hui, il y a eu plutôt réduction. Souvenez-vous de ce qui s’est passé à Muyinga. Il y a eu des morts et des blessés. Avant les élections, les esprits étaient surchauffés. S’il y a un cas, ici et là, cela ne veut dire pas qu’il y a regain de la violence. Toutefois, chaque cas, qu’il soit isolé ou pas, nous interpelle. Mais il faut reconnaître qu’il y a eu réduction de l’intolérance politique.
Un message d’apaisement…
Il faut toujours rappeler aux leaders politiques de prodiguer des conseils à leurs militants, surtout aux jeunes, pour prévenir toute confrontation.
Nous avons vu qu’il y a eu des confrontations à Ngozi, Muyinga, Kirundo, Bujumbura. Nous conseillons les leaders des partis politiques de prodiguer de bons conseils pour que la population continue à vivre et à cohabiter pacifiquement. Il faut surtout accepter qu’une personne soit punie si elle a commis un forfait, même si elle est de votre formation politique. Seulement, il faut veiller à ce que la punition soit équitable parce qu’on a entendu, ici et là, qu’il y a eu des sanctions disproportionnées. Nous sommes en train de faire nos propres enquêtes. Si cela s’avère vrai, nous nous adresserons aux organes compétents.
Quelle appréciation faites-vous de la collaboration entre la Cnidh et les instances judiciaires ?
Je pense que la collaboration est bonne. La preuve en est que la collaboration a abouti à beaucoup de procès. Nous avons organisé ensemble beaucoup de sessions d’itinérance judiciaire à Rumonge, Kayanza, Gitega, Muramvya et Ruyigi. Chaque fois que de besoin, nous nous confions au ministère de la Justice.
Propos recueillis par Félix Haburiyakira