Jeudi 21 novembre 2024

Société

Interview exclusive avec Sixte Vigny Nimuraba :« Il est inacceptable qu’il y ait des détenus qui restent écroués alors qu’ils ont été acquittés ou ont purgé leur peine. »

29/07/2024 3
Interview exclusive avec Sixte Vigny Nimuraba  :« Il est inacceptable qu’il y ait des détenus qui restent écroués alors qu’ils ont été acquittés ou ont purgé leur peine. »

Intolérance politique, séquestration et détention des journalistes, conditions de détention, risque de rétrogradation de la CNIDH au statut B… Telles sont, entre autres, les questions abordées par Sixte Vigny Nimuraba, président de la Commission nationale indépendante des droits de l’Homme (CNIDH) au Burundi.

Comment appréciez-vous le climat politico-sécuritaire qui prévaut actuellement au Burundi ?

Il y a quelques temps, la ville de Bujumbura a été la cible des attaques à la grenade.  Mais, pour le moment, deux mois après, nous assistons à un calme. Nous remarquons que les forces de l’ordre ont fourni des efforts pour stabiliser le pays en général, et la capitale économique en particulier.

Nous apprécions positivement cette situation. Mais, nous en appelons à la vigilance de tous les acteurs pour que la situation sécuritaire ne soit plus perturbée.

Du côté politique, la situation est aussi bonne. Dernièrement, il y a eu un climat malsain au sein du parti CNL, mais le différend semble aujourd’hui avoir trouvé une solution.

Que ce soit pour le CNL, que ce soit pour d’autres formations politiques, nous les encourageons à mettre toujours en avant le dialogue pour vider tout différend. Tout recours à des actes de violence est à bannir.

Quel a été le résultat de vos enquêtes par rapport à ces dernières attaques à la grenade ?

Cela relève de la compétence des instances policières et judiciaires. La CNIDH n’est pas là pour se substituer aux institutions étatiques qui sont en place. Notre rôle est d’interpeller les organes compétents à diligenter des enquêtes et à traduire en justice les personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions.

Il faut que toute personne présumée d’avoir commis un crime puisse y répondre selon les procédures prévues par les lois nationales ou les lois internationales ratifiées par le Burundi.

Interdiction de tenir une réunion pour le parti CDP, vols des symboles des partis politiques, Permanences saccagées du parti Sahwanya Frodebu… Est-ce que cette intolérance politique ne vous inquiète pas vu que nous approchons les élections de 2025 ?

Nous nous inscrivons en faux contre de tels agissements. Il faut une compréhension mutuelle. L’autre n’est pas un ennemi. On doit accepter la diversité des idées, des opinions. Nous dénonçons ce genre de comportement et nous allons continuer à le faire.

Qu’est- ce que l’un ou l’autre gagne en détruisant une Permanence d’un quelconque parti politique ? Mais, comme on a la diversité des ethnies au Burundi, la diversité des couleurs des partis politiques fait aussi la beauté du pays. Il faut que les uns et les autres comprennent que la différence dans les idées n’a rien de mauvais dans la construction d’un pays.

Mais, il faut que les forces de l’ordre puissent redoubler d’efforts pour punir sévèrement tous ces gens qui s’adonnent à ces actes de vandalisme, de destruction, de démolition des Permanences, sans distinction aucune.

Des journalistes malmenés, séquestrés, détenus et des jets de pierres sur le bureau du journal Iwacu. Qu’en dites-vous ?

Cette situation nous inquiète. Pourquoi malmener une personne qui est en train d’accomplir son métier ? Moi, je viens et travaille au bureau tranquillement. Alors, pourquoi ne pas laisser tout autre citoyen travailler librement ? Non seulement un journaliste doit travailler tranquillement mais aussi il doit être protégé dans l’exercice de son métier. On ne pourra en aucun cas tolérer un tel comportement.

Si nous voulons un pays respectueux des droits de l’Homme, si nous voulons un pays où les élections sont paisibles et transparentes, il faut qu’on laisse la possibilité aux journalistes, aux médias d’opérer en toute indépendance. Vous ne pouvez pas terrifier un journaliste. Sinon, il va avoir peur de dire ce qu’il a vu. Et s’il ne dit pas ce qu’il a vu, vous manquerez l’occasion de vous corriger.

La diversité des médias va permettre aux leaders de prendre des décisions étant suffisamment informés.

Il y a des voix que nous devons accepter d’entendre et de comprendre. Et ces voix peuvent dire et dénoncer des choses qui ne marchent pas. Si vous ne voulez pas que les gens dénoncent ce qui ne marche pas, vous n’allez pas leur permettre de vous aider à vous corriger.

Des jets de pierres sur les bureaux d’un journal, la situation va de mal en pis….

Nous ne cessons jamais de déplorer ces actes de vandalisme et de jets de pierres. Je ne comprends pas et je ne sais pas si je vais le comprendre. Pourquoi aller jeter des pierres à Iwacu ou à Isanganiro ou ailleurs par exemple ? Pour en arriver où ?

C’est à vérifier. Il y a des gens qui peuvent faire des actes juste pour montrer à l’opinion que le climat pour les médias n’est pas assaini. Il faut que la police et la justice fassent leur travail. J’en profite pour saluer la police qui est vite intervenue.

De tout ce qui précède, qu’est-ce que vous recommandez ?

Il faut garantir la liberté et la sécurité aux journalistes. La seule chose qu’il faut faire est de chercher et de punir les gens qui commencent à manifester ce genre de comportement. Il faut rendre publics les auteurs de ces actes comme on l’a fait pour les auteurs des attaques à la grenade. Nous sommes tous appelés à dénoncer ce genre de comportement tendant à adopter un traitement inadéquat envers les journalistes.

Si vous voyez un journaliste qui est en train de travailler et que peut-être son travail semble ne pas se conformer aux exigences du métier, il faut aviser les responsables de son médium. Il faut savoir qu’il y a la loi qui régit les médias ainsi que le Conseil national de la communication qui les régule.

Mais il y a des journalistes qui restent en exil et d’autres qui croupissent en prison, …

Chaque personne a le droit de rester dans un endroit qui lui garantit la sécurité. Il n’y a pas de décision à obliger quiconque de rentrer si sa conscience ne lui sent pas que sa sécurité sera assurée. Ces journalistes sont des citoyens comme d’autres Burundais.

J’invite le gouvernement à lancer un appel aux journalistes qui le veulent de regagner la mère-patrie. Et d’ailleurs, il y a certains hommes politiques qui sont déjà rentrés de leur propre volonté.

J’encourage ces journalistes à rentrer et ces médias à demander de rouvrir et d’émettre à partir du Burundi. Par ailleurs, ceux qui ont réouvert continuent à exercer leurs activités. Nous devons tous comprendre que le fait qu’il y ait diversité des médias contribue dans le renforcement de la démocratie au Burundi.

Comment appréciez-vous le traitement des dossiers des journalistes qui sont en prison ?

Nous ne pouvons pas nous ingérer dans le traitement de ces dossiers. Cela relève de la compétence des juridictions. Cependant, d’un côté, personne n’est au-dessus de la loi. De l’autre, toute personne est présumée innocente jusqu’à ce qu’une juridiction compétente prouve sa culpabilité.

Tout détenu doit bénéficier d’un traitement humain quelles que soient les circonstances. Il lui faut une alimentation, des soins de santé, des conditions de logement plus ou moins acceptables. Il faut qu’il ait aussi accès à un procès équitable.

Justement, quelle évaluation faites-vous des conditions carcérales ?

Nous ne le dirons jamais assez, les conditions de détention restent précaires. Les détenus n’ont pas accès aux soins de santé comme ils le souhaitent, à une assistance judiciaire comme ils le veulent.

Mais, pourquoi toujours cette surpopulation carcérale malgré des mesures de désengorgement qui sont prises même au plus haut sommet de l’Etat ?

Nous nous posons la même question. Pourquoi les personnes habilitées au niveau du ministère de la Justice peinent à appliquer les orientations données par le Juge Suprême ?

Au niveau de la Commission, chaque fois qu’on sort un rapport, nous donnons des chiffres concernant la population carcérale qui dépasse largement la capacité d’accueil des prisons. Ces chiffres sont alarmants et déplorables pour notre pays.

C’est déplorable de voir des prisonniers qui restent écroués alors qu’ils ont été acquittés ou ont déjà purgé leurs peines. C’est inacceptable. C’est un lourd fardeau pour le pays.

Des cas de disparition de dossiers pour certains justiciables et une lenteur dans le traitement de leurs dossiers pour d’autres ? Etes-vous au courant de ces lamentations ?

Nous avons déjà constaté ces irrégularités et avons saisi la Cour suprême et le Parquet général de la République pour présenter nos préoccupations. Toutes les informations relatives à ces irrégularités ont été transmises à qui de droit. Il appartient aux instances habilitées à prendre toutes les dispositions nécessaires.

Des dossiers disparaissent mais dès que l’on décide la reconstitution du dossier et quand ce dernier est au complet, le dossier disparu réapparaît. C’est étonnant. Où est-ce qu’on a trouvé le dossier ? Pourquoi lorsqu’on a fini de reconstituer le dossier, l’ancien réapparaît ?

Ce sont ces irrégularités qui ont poussé la CNIDH à soutenir et à plaider en faveur de la numérisation des services de toute la chaîne pénale. On aura ainsi une base de données qui permettra à accéder facilement au dossier de chaque personne. On pourra démasquer aussi telle ou telle autre personne qui sera en train d’user de la mauvaise foi dans le traitement des dossiers des justiciables. Mais avant tout cela, il faut la bonne volonté de ceux qui traitent ces dossiers.

Dans le cadre de la lutte contre les unions libres, certains gouverneurs de province et administrateurs communaux ont pris des mesures de chasser les concubines. Mais quid de la garde et de la protection des enfants issus de ces unions ?

La Convention internationale sur les droits de l’enfant recommande que toute décision devrait être prise pour le bien de l’enfant. La sauvegarde du bien-être de l’enfant devrait guider les différentes décisions.

Que de telles mesures soient prises dans le but de protéger les ménages, la société, c’est une bonne chose. Mais, il faut qu’il y ait des mesures accompagnatrices.

Le gouvernement doit réfléchir et voir quelles sont les mesures qui doivent être prises et comment ces dernières puissent contribuer à la protection des droits de l’enfant.

Chaque décision bien prise doit être accompagnée, contextualisée et mise en œuvre. Il faut des systèmes, des personnes et même des institutions pour que la mise en œuvre de cette décision soit effective tout en veillant aux droits de l’enfant.

Dans tout cela, quelle serait la contribution des notables collinaires ?

Les notables devraient être associés chaque fois qu’une décision est prise au niveau collinaire. Ils savent qui vient d’où, qui va où et qui est allé où ? Ils sont au courant des problèmes qui hantent tel ou tel autre ménage. Ils peuvent ainsi proposer des orientations et même des solutions.

Au sein de la société civile burundaise, il se dégage deux positions : celle qui milite pour le maintien de la Commission au statut A et l’autre qui dit qu’elle ne le mérite pas arguant que la CNIDH n’est pas indépendante. Qu’en dites-vous ?

Le droit d’expression est garanti au Burundi. Chaque personne, institution, ou organisation a le droit de s’exprimer comme elle veut. Et nous nous en félicitons. Nous n’allons en aucun cas en vouloir à aucune organisation pour l’un ou l’autre propos émis à l’endroit de la Commission.

Nous continuons à faire notre travail. Il y a des décisions qui peuvent être prises pour des motifs que nous ignorons. Si on décide de rétrograder la CNIDH au statut B, on va l’accepter mais quelle incidence cela va faire sur les droits de l’Homme au Burundi ?

En ce qui nous concerne, la protection et la promotion des droits de l’Homme au Burundi incombe au premier chef à la CNIDH. Nous continuerons à lire la loi et à écouter les citoyens qui nous saisissent.

Au-delà des critiques, il y a des gens qui reconnaissent toujours que la contribution de la CNIDH leur a été bénéfique.

Mais le sous-comité d’accréditation de l’Alliance mondiale des institutions internationales des droits de l’Homme vous a accusé, dans sa 2e session de 2023, de quelques manquements notamment le fait de ne pas avoir coopéré avec le rapporteur spécial. Que comptez-vous faire pour rectifier le tir ?

Nous n’allons rien changer. Nous allons travailler comme nous l’avons toujours fait. Celui qui dit que nous n’avons pas coopéré, il a d’autres visées.

On vous accuse aussi qu’il y a des dossiers politiquement sensibles que vous ne traitez pas…

Tout cela ne tient pas. Notre conscience est tranquille. Nous savons ce que la CNIDH a déjà accompli dans ce sens. Qui d’autre a visité les cachots du Service national des renseignements ? Nous avons bien suivi et traité des cas de torture rapportés ici et là.

A ma connaissance, il n’y a aucun dossier transmis à la CNIDH qui n’a pas été traité et un rapport y relatif a été toujours écrit et rendu public.

Etes-vous confiant que la CNIDH va garder le statut A ?

Cela ne dépend pas des actions ou de la compétence de la Commission. Nous commençons à douter qu’il y aurait d’autres motifs derrière. Mais cela ne va pas nous empêcher de continuer notre travail.

Propos recueillis par Félix Haburiyakira

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Voltaire Kaziri

    Non on va enlever le I, et le président continuera à avoir des émoulements princiers.
    Il n’est pas le seul au Burundi.
    Avez vous jamais entendu le Vice président donner une interview?

  2. Ivyo nibihend aban ngo nyokuru numugore. Aho biherey aho nyen

  3. Anonyme

    Les vraies questions sont absentes comme leurs réponses, et d’ailleurs comme aussi est absente l’action de la CNIDH sur les innombrables violations des droits et libertés des citoyens malmenés. Quand une commission est dite indépendante mais que son président répond comme s’il s’agissait d’un représentant du parti au pouvoir, on ne peut rien espérer d’elle, et avec ça, même la lettre B va passer à quelque chose d’autre négativement.

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