Retour du 1er convoi des réfugiés en provenance du Rwanda, la communauté internationale qui tendrait sa main au gouvernement, l’éventuelle reprise des relations avec le voisin Rwandais… Le politologue revient sur l’actualité politique de l’heure. Une occasion, également pour lui de dresser le bilan du processus électoral qui vient de s’achever. Entretien.
Quel bilan faites-vous du processus électoral qui vient de s’achever?
Par rapport aux élections antérieures, les dernières n’ont pas été caractérisées par des violences extrêmes. Mais, par rapport aux quatre caractéristiques de la démocratie, il y a un net recul .On a vu l’intolérance. Des membres du Cnl et des autres partis politiques ont été persécutés, emprisonnés durant tout le processus. Le recul s’est manifesté à travers des combines pour qu’ils ne soient pas élus. On pourrait dire que c’était de bonne guerre, mais le respect de l’opinion des minorités devrait être le moteur. Deuxième élément : ces élections ont renforcé les clivages existants. Dans certaines localités, on a vu une résurgence des clivages ethniques. Dans le discours de campagne, on a vu le parti au pouvoir accuser Rwasa d’être de mèche avec les putschistes. Le plus important recul, c’est la restriction de l’espace politique. De la base au sommet, c’est l’emprise politique du Cndd-Fdd.
Bref, au lieu de s’enraciner davantage, la démocratie a fléchi. Le Cndd-Fdd a usé de tous les stratagèmes pour s’accaparer la quasi-totalité des voix. Partout, il domine la scène politique. Un bien pour un mal pour le parti de l’Aigle. Ceci peut conduire au développement des consciences sans structures. Des masses entières de gens ne sont pas représentées dans les institutions alors qu’elles ont voté. Un grand risque pour le gouvernement. Il sera confronté à ces gens. Un facteur d’instabilité politique. Dans la plupart des cas, cela découle des frustrations. Des fois, à l’origine des mouvements de révolte.
Absent du gouvernement, exclu des bureaux des deux Chambres de représentants du peuple. La survie politique du Cnl et de son leader est-elle possible ?
La naissance ou la survie d’un opposant est conditionnée par les aléas de la société. Le plus souvent, c’est quand il y a trop de frustrations, trop d’espaces confisqués, quand l’opinion n’ose pas dire ce qu’elle pense tout haut. Dans ces cas, des fois, la population explose par la violence. Par le passé, c’est ce genre de phénomènes qui a donné naissance à des rébellions. Et quand viennent les moments électoraux, la parole se libère. A ce moment, la population rallie le candidat inattendu. Ce dernier peut capitaliser sur les frustrations. Pour dire que si Rwasa meurt, un autre de la même trempe viendra.
Lors de son investiture, le président Ndayishimiye a annoncé les grands chantiers. Le voyez-vous à même de relever ces défis ?
Un président de la République, particulièrement en Afrique, est capable de renverser des montagnes. Généralement, nos sociétés sont très obéissantes à l’égard de son autorité. La Constitution de 2018 lui donne une grande importance. Nous sommes dans un régime hyper présidentialiste. Je pense que tout dépendra de son bon vouloir. Sinon, s’il utilise efficacement toutes les institutions à son service, il sera à la hauteur des attentes. Toutefois, il importe de noter que depuis le début de la présidence de feu Nkurunziza, il y a toujours eu des groupes d’intérêts, des cercles d’influence qui ont tendance à occuper la place de celui-ci, s’il n’occupe pas valablement sa place de décideur. C’est de ceux-là qu’il doit se méfier. Car, si ces cercles constatent que vous n’êtes qu’un facilitateur, un médiateur plutôt qu’un décideur, ils s’engouffrent et prennent votre place.
C’est donc une bataille perdue d’avance ?
Loin de là. Ce qui importe c’est le caractère, la volonté. Le président a des institutions à son service. Il faut de la poigne. Néanmoins, il faut se le dire, il y a deux terrains sur lesquels il lui sera difficile d’avancer s’il ne fait preuve de fermeté. Des terrains déjà occupés par ces groupes d’influence hyper puissants, de grands « barons ». Il s’agit du terrain de la corruption et celui des libertés publiques.
Pourquoi vous dites que c’est difficile à combattre ?
Au sujet de la corruption, le parti au pouvoir s’est mis le doigt dans l’œil en acceptant de s’inféoder aux grands commerçants qui le financent. Se les mettre à dos en contrariant leurs ambitions sera difficile. Quant aux droits et libertés publiques, ce sera difficile si l’on regarde la composition du gouvernement : cet espace se trouve dans le giron de ces mêmes personnalités accusées de violer les droits et libertés des citoyens depuis 2015.
Qu’est-ce qui aurait motivé leur nomination dans son gouvernement?
C’est une histoire de rapports de force interne au sein du Cndd-Fdd. Je crois que le nouveau président a dû mesurer les rapports de force en présence. Pour être rationnel, il se serait demandé le moindre coût. Fallait-il éloigner les auteurs de ces violations, tant décriés par l’opposition et l’opinion internationale ? Non. Il ne va pas gouverner en fonction de l’opinion de l’opposition et de la communauté internationale. D’ailleurs, c’est une ligne qui colle avec le souverainisme hérité de Pierre Nkurunziza. Les garder à ses côtés et les contrôler? De toute façon, s’il avait fait le choix de les éloigner, il aurait eu à gérer deux oppositions : une opposition intérieure au sein du parti et l’autre, extérieure, « éternelle ». Je pense même que c’est cette logique qui aurait prévalu dans la mise en place des bureaux du Parlement, du Sénat, et des administratifs à la base…
Et si jamais ces « caciques » ne sont pas à la hauteur de leur mission ? Pensez-vous qu’il aura le courage de les démettre ?
Pourquoi pas ? Souvenez-vous de l’expérience de 2014. Feu président Nkurunziza avait éloigné à l’époque l’actuel premier ministre Bunyoni et feu Lt général Adolphe Nshimirimana, pour finalement revenir sur sa décision. Dans tous les cas, le président de la République garde la main puisque c’est lui qui signe les décrets. Il nomme et défait. Et quand vous avez ces prérogatives, il est impératif de vous doter des institutions qui vous soutiennent. L’autre exemple, c’est la déchéance de Radjabu, alors président du parti. Une année après l’accession au pouvoir du Cndd-Fdd, feu président Nkurunziza n’a pas hésité à écarter Hussein Radjabu. Si des conflits institutionnels fondés sur les résistances ou les réticences des uns par rapport à la mise en application de sa politique, sachez que dans la plupart des cas, la victoire revient au président de la République.
Dans les discours de certains officiels, à l’instar du ministre Ndirakobuca. On sent une volonté de lutter contre la corruption. Votre commentaire.
C’est une approche institutionnelle dénuée d’une certaine réalité. La preuve, il y a certains aspects sociologiques qu’il ne prend pas en compte. Depuis, on parle de balayer même « dans le salon », c’est -à-dire même au sein du corps des officiers. Quand il a mis en garde les fauteurs de trouble, les Imbonerakure qui perturbent l’ordre public sur les collines, les communes…Quelques semaines après, le ministre de la Jeunesse à Kayanza les appelle à être vigilants, si besoin il y a, à se substituer même aux forces de l’ordre. Là, c’est une illustration d’une certaine incohérence au sein du gouvernement. Pour que cette volonté soit effective, il faut que tous ses ministres parlent le même langage, en plus du ferme engagement du président de la République.
Pourquoi les autorités n’arrivent pas à s’entendre sur le rôle des Imbonerakure ?
Ce sont des tergiversations, conséquence de deux problèmes majeurs. Problème de vision politique au sein du parti de l’Aigle et le problème de philosophie au sein du gouvernement. La 1ère raison serait liée au clivage existant au sein du parti Cndd-Fdd entre les idéologistes et les institutionnalistes. Ces derniers voudraient que l’armée, la police jouent leur rôle. Au moment où, les idéologistes, parmi lesquels, sans doute le ministre de la Jeunesse et des Sports, voudraient voir ces Imbonerakure contrôler la société. Par rapport à la philosophie du gouvernement, c’est tout le monde qui se perd. Et les institutionnalistes et les idéologistes, tous confondent le parti et l’Etat. Ils ne savent pas la ligne de démarcation. Et du coup, au lieu d’être un mouvement de jeunesse affilié à un parti politique, les Imbonerakure deviennent des forces de l’ordre parallèle. C’est ce que j’appelle un problème de culture institutionnelle au sein du parti Cndd-fdd. Pour lever toute équivoque, un jour le chef de l’Etat devrait dire : voici la ligne du parti, voici l’espace de l’Etat.
Dernièrement, le 1er convoi des réfugiés burundais se trouvant dans le camp de Mahama(Rwanda) est rentré. Un espoir que tous les réfugiés politiques regagnent le bercail un jour ?
Loin de là. N’eût été l’instrumentalisation médiatique, ce retour aurait été un non-événement. Sur plus de 60.000 réfugiés se trouvant au Rwanda, seuls 1000 comptent rentrer. Plus que n’importe qui, nos autorités savent que le nœud du problème est ailleurs. C’est la sécurité. C’est une question politico-idéologique. Et par rapport à ce retour des réfugiés, c’est l’attitude du Rwanda qui intéresse. Maintenant, il joue franc jeu en balayant l’argument de leur rétention. La balle est dans le camp du Burundi. Les autorités doivent montrer leur bonne foi par la reprise des relations, du dialogue…
Lors de la rencontre avec les diplomates, le ministre Shingiro a annoncé une ouverture à commencer par la « sous-région ». Quelques jours plus tard, le président s’en est pris au Rwanda. Où est la cohérence du discours gouvernemental?
C’est ce qu’on appelle l’absence d’unité de direction du pays. En diplomatie, il faut aussi se rappeler que l’on a deux piliers. Un pilier réaliste et un pilier diplomatique. Le hic, c’est que le chef de l’Etat veut jouer sur les deux tableaux. Ce rôle revient au chef de la diplomatie. Il doit arbitrer entre le discours diplomatique et réaliste. Quant au ministre Shingiro, il est en opération « séduction ». Par rapport à ses discours dévastateurs à l’ONU, il doit se racheter. Concernant la sortie du président de la République, c’est comme s’il fixait la barre très haut .En matière de négociations, une stratégie souvent payante quand on veut voir la position de l’autre fléchir.
Voyez-vous le Rwanda fléchir ?
Au fond, quel est le nœud du problème entre ces deux pays ? Le Rwanda reproche au Burundi le soutien aux FDRL (rebelles rwandais). Un soutien qui date d’avant 2015. De son côté, le Burundi met sur la table la question des réfugiés burundais accusés d’avoir comploté contre le régime en 2015.Face au statu quo : qui perd, qui gagne ? Depuis 1960, même au plus fort des crises répétitives entre le Rwanda et le Burundi, il y a toujours eu une approche réaliste. Qu’il s’agisse de Kayibanda ou Habyarimana. D’ailleurs, qui n’étaient pas de hutus modérés, ils avaient réussi à conclure des pactes avec Micombero et Bagaza. Egalement tutsis, qui n’étaient pas modérés.
Le pacte consistait pour Kayibanda de dire à Micombero de garder à l’œil les Tutsi rwandais au Burundi. De son côté, Micombero lui demandait de faire de même avec les rebelles hutus burundais qui perturberaient le Burundi. Et des années, ils ont cohabité de la sorte. Pour l’intérêt de leur population, nos dirigeants doivent faire preuve de cet état d’esprit : être des diplomates réalistes et non des diplomates idéologiques.
Prochainement, il est annoncé à Goma un sommet qui devrait réunir l’Angola, la RDC, le Kenya, le Rwanda, le Burundi. Peut-il jeter de nouvelles bases dans la coopération sous-régionale?
L’espoir reste de mise. Actuellement, ce genre de médiation est l’approche la plus utilisée. En témoigne, le récent rapprochement du Rwanda et de l’Ouganda. Assis sur une même table, sous la houlette du président angolais, Museveni et Kagame ont pu aplanir leurs différends. Et le constat est que dans cette réunion, la Tanzanie n’ait pas été invitée. Certes, nos deux pays entretiennent de bonnes relations, mais c’est pour une autre raison. Beaucoup de Burundais ne savent pas que la Tanzanie ne fait que profiter de l’isolement du Burundi. Toutes les voies d’approvisionnement passent par elle. Vous imaginez-vous un pays enclavé comme le Burundi s’approvisionnant via un seul corridor avec le manque de devises ? C’est sans parler des autorités et des commerçants tanzaniens ou burundais qui profitent de cette situation. Il est grand temps que cette dynamique change.
Depuis des jours, sur les réseaux sociaux, on parle d’attaques rebelles. Si jamais cette éventualité venait à se confirmer, quelles sont les conséquences possibles ?
Actuellement, je n’ai aucune information. Mais, face à de telles questions, il est de la responsabilité du gouvernement de communiquer, de rassurer la population. Dans l’hypothèse d’une émergence d’une véritable rébellion, je me demande : est-ce que le Burundi a un espace de vie, un espace d’expression pour les rebelles ? J’en doute. Le Burundi n’est pas la RDC où des ressources naturelles non contrôlées profitent à la naissance et à la formation des rébellions. Au Burundi, le peu de ressources profiterait à une rébellion s’il y a une dimension idéologique ethnique, à l’instar de celle dont le Cndd-fdd a profité à ses débuts. Est-ce que c’est le cas actuellement ? Je ne pense pas.
Autre raison, la formation d’une rébellion suppose aussi l’unicité ethnique, idéologique au niveau du leadership. Est-ce que c’est le cas ? S’il faut négocier avec le gouvernement, qui discuterait ? On parle de Red Tabara, du Forebu ? Qui sont-ils ? Ils ne se déclarent même pas. La plausibilité de leur existence est à remettre en cause.
Et dans le cas, où elles seraient une invention du gouvernement pour se défaire des foyers d’opposition, comme on le lit sur les réseaux sociaux, il y a un grand risque. Un gouvernement qui entretiendrait une guerre civile court le risque de se perdre lui -même. L’exemple au Congo Brazzaville avec feu Pascal Lissouba est probant. Lorsqu’il a voulu entretenir une milice en marge de l’armée républicaine, c’est lui qui est tombé en premier.
L’UE et ses autres pays partenaires ne cessent de manifester de gestes de bonne volonté. Des observateurs politiques avisés parlent même d’une communauté internationale qui tendrait la main au gouvernement pour une reprise de la coopération. Est-ce votre impression ?
Les relations internationales, le plus souvent, ont une dimension philanthropique, humanitaire forte. Elle est très perceptible à travers l’action des ONG. Une situation aux antipodes des relations entre Etats.
Dans ce cas de figure, ce sont le réalisme, la logique d’intérêts qui prévalent. Je pense qu’en se retirant avec la crise de 2015, certains pays de l’UE ont vu leur zone d’influence se réduire dans la région des Grands Lacs. A titre d’exemple, la France regrette toujours son départ du Rwanda. Un départ qui a profité aux anglophones. Actuellement, la tendance est de saisir les bonnes intentions, saisir la balle au bond dans les discours du nouveau chef de l’Etat. Si une brèche se présente, s’y engouffrer et revenir.
Quelle est, aujourd’hui, l’approche prônée?
Si j’ai bonne mémoire, en 2018, il ya eu une évaluation. C’était par rapport à la décision de se retirer en 2015. Elle partait de ce postulat : « Est-ce que nous avons gagné en nous retirant du Burundi ou nous avons perdu ? ». Avec leur retrait, tous leurs chevaux de bataille : la bonne gouvernance, l’état des droits, les libertés publiques se sont réduits comme peau de chagrin. Actuellement, je pense que ces pays de l’UE, à l’instar de la Suisse et du Royaume des Pays-Bas, ils expérimentent une nouvelle approche. Elle consiste à dire : « On demande plus à un ami, plutôt qu’à un ennemi ». Il vaut mieux donner et rester à ses côtés pour négocier les réformes, plutôt que de s’éloigner.
Propos recueillis par Hervé Mugisha