Respecté pour sa conduite du processus électoral de 2005 et sollicité sur la scène africaine pour son expérience en matière d’élections, le professeur Paul Ngarambe a pris part au colloque des leaders d’opinion burundais. Sans langue de bois, cet ancien président de la Ceni brosse les « leçons tirées des élections déjà organisées au Burundi » et propose des pistes pour ne pas réveiller les « vieux démons ». Il s’est confié à Iwacu.
Professeur Paul Ngarambe, pourquoi une thématique sur les leçons à tirer des élections déjà organisées au Burundi a retenu votre attention ?
C’était en 2014, presque dix ans après les élections de 2005 dont j’étais un des serviteurs en qualité de président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Au vu des difficultés qu’il y avait eu en 2010 et à voir les difficultés qu’il allait y avoir en 2015, j’avais suggéré que le président de la République organise une rencontre entre les anciens hauts dignitaires du pays pour échanger sur la situation du pays et en tirer des leçons.
Dans cette même perspective, j’avais proposé que le président de la République rencontre également les associations des jeunes, les associations des femmes, les confessions religieuses, la société civile et les partis politiques pour voir avec les uns et les autres ce qu’il faudrait faire.
Sur cette base devait sortir un rapport dont le contenu devait être présenté et discuté à travers tout le pays et à la diaspora burundaise en vue de son enrichissement pour un projet de Constitution à soumettre de nouveau pour amendement à tout le pays pour que l’on fasse un pas en avant afin de trouver des solutions aux problèmes que le Burundi a connus et connaît depuis l’indépendance. Quand bien même cette idée a été partagée avec quelques personnes et même des institutions ainsi que d’autres acteurs, malheureusement, cela n’a pas eu lieu.
Alors, ce colloque national dont j’étais l’un des conférenciers sous le thème : « Les leçons qu’il faut tirer des élections que le Burundi a connues depuis l’indépendance à ce jour », a été une satisfaction pour moi.
Alors quelles sont ces leçons ?
Pour comprendre ces leçons, il faut tout d’abord passer en revue les différentes époques concernées : l’époque de la monarchie constitutionnelle (avant 1966) ; l’époque de la 1ère République (1966 – 1976) ; l’époque de la 2e République (1976-1987) ; l’époque de la 3e République (1987-1993) ; l’époque qui a précédé et suivi la longue marche qui a abouti à l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi (1993-2000) ; l’époque du processus électoral de 2005 ; l’époque qui a suivi l’année du processus électoral de 2005 et maintenant en préparation aux échéances électorales de 2025 et 2027.
D’ailleurs, il est beau de sauter d’une période à une autre pour indiquer des ressemblances alors que les deux périodes sont éloignées l’une de l’autre.
Epoque de la monarchie constitutionnelle : il y a eu les élections du 18 septembre 1961 qui ont donné la victoire à l’Uprona. Il y a eu peu après une Constitution provisoire datant du 23 novembre 1961 avant sa version définitive du 16 octobre 1962. Et là, je voudrais m’arrêter sur le préambule et en faire un commentaire.
Une partie de ce préambule énonçait qu’« affirmant notre croyance en Dieu et notre conviction de l’éminente dignité de la personne humaine ;
Décidés à garantir les droits fondamentaux de l’Homme ;
Cherchant à promouvoir l’unité du peuple murundi ainsi que le progrès économique, social et culturel de chacun des habitants du Burundi dans un régime réellement démocratique ;
Nous inspirant de la déclaration universelle des droits de l’Homme et de la Charte des Nations-unies ;
L’Assemblée nationale a adopté et nous sanctionnons ce qui suit : … »
Ceci est inscrite dans toutes les Constitutions que le Burundi a connues. Mais, est-ce que cela correspond à ce qui se fait réellement sur le terrain ?
Par ailleurs, avec ce qui s’est passé en 1961-1962 : les histoires de Casablanca et Monrovia, c’est la même confrontation qui va se retrouver en 1993 entre l’Uprona et le Frodebu. C’est cela même qui va marquer la crise socio-politique de 2015. Chaque fois, ce sont les mêmes erreurs que nous répétons. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que nous n’avons pas encore compris les leçons sur ce qui s’est passé ?
Evoquons, si vous voulez bien, la première République (1966-1976), que retenir de cette période ?
Le roi Mwambutsa quitte le Burundi et reste en Suisse. Un groupe de personnes réussit à convaincre son fils, Charles Ndizeye, de prendre le pouvoir et succéder ainsi à son père alors que celui-ci était toujours en vie. C’est un coup d’Etat.
Le jeune roi Ntare V signe ainsi l’arrêté royal instaurant le parti Uprona comme parti unique. Il nomme Michel Micombero comme Premier ministre qui, quelques mois après, le 28 novembre 1966, fait un coup d’Etat et remplace la royauté par un régime présidentiel.
La Constitution de la République n’est venue que le 11 juillet 1974. Une Constitution qui a été promulguée par le lieutenant-général Michel Micombero et secrétaire général du parti Uprona. Cela montre qu’au-delà du parti-Etat, le Burundi était également dirigé par un militaire. Comment est la situation aujourd’hui à peu près 50 ans après ?
C’est le général qui gouverne même aujourd’hui alors que nous avons une Constitution civile. Les choses n’ont pas changé si ce n’est tout simplement de nom. Cela veut dire en outre que nous n’avons toujours pas tiré des leçons du passé. Faut-il alors continuer à copier les mêmes erreurs ?
Quid de la deuxième République (1976-1987) ?
Concernant cette période, mon attention est tirée sur le décret-loi no 1/23 du 20 novembre 1981 portant promulgation de la Constitution de la République du Burundi. Notamment dans ses articles 9, 22 et 81.
L’article 22 stipulait que « les institutions fondamentales de la République du Burundi sont le parti, le président de la République, le gouvernement, l’Assemblée nationale et l’Assemblée judiciaire. » Tandis que l’article 22 énonçait que « la République du Burundi adopte le principe du parti unique de masse, dénommé « Parti de l’Unité pour le progrès national » (Uprona). ».
Et l’article 81 de stipuler que « la présente Constitution est adoptée par référendum populaire après avoir été approuvée par le comité central du parti. »
Ceci, en 1981. Maintenant quarante ans après, est-ce que les choses ont changé ?
Enfin, la troisième République ?
Pour cette période, je me focalise sur le décret-loi no 1/022 du 16 mars 1993 portant Code électoral et la Constitution
En 1987, Pierre Buyoya prend le pouvoir. Il n’était pas différent de ces prédécesseurs. Mais face à la crise de Ntega-Marangara, il a réagi autrement. Il a mis en place un « gouvernement d’union ».
Il a fait adopter la Charte de l’unité nationale. Les travaux de la Commission constitutionnelle qui ont fait passer le Burundi du mono au multipartisme (1991-1992) ont abouti à l’élaboration d’une Constitution multipartite qui a été par la suite promulguée.
Quand les élections de 1993 ont eu lieu, on s’est dit que le Burundi vient de franchir un pas. Mais tout de suite, le président élu a été assassiné. Et la crise s’est abattue sur le pays. Or, cela rappelle bien évidement Rwagasore qui a été assassiné au lendemain de la victoire du parti Uprona aux élections du 18 septembre 1961. De tout cela, il y a lieu de se poser la question de savoir à quoi tous ces instruments ont-ils servi ?
Que retenir alors de la période post-Arusha ?
Après la longue marche qui a abouti à l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi le 28 août 2000, il y a eu une Constitution post-transition et un Code électoral. La loi no 1/015 du 20 avril 2005 portant Code électoral et la Constitution de 2005, instruments de référence pour l’organisation des élections de 2005. Mais en 2015, dix ans après, c’est comme si l’Accord d’Arusha n’existait pas.
C’est regrettable d’ailleurs que certains observateurs s’obstinent de dire que ce qui s’est passé en 2015 présente quelques similitudes avec ce qui s’est passé en 1993. Alors, pendant les élections de 2005, quelques faits ont marqué le travail de la Ceni.
Pouvez-vous énoncer ces faits ?
Il y a eu d’abord une visite inattendue à la Ceni et un coup de téléphone. Ceux qui avaient gagné les communales m’ont envoyé une équipe de hautes personnalités pour me demander de dire qu’ils ont eu plus que ce qu’ils avaient obtenu. J’ai dit que c’est impossible.
Le ministre de la Bonne gouvernance de l’époque, futur candidat à la présidentielle, m’a téléphoné pour m’informer qu’il m’a envoyé une équipe de gens et qu’il viendra me rendre visite un jour pour constater ce que nous étions en train de faire. Et je lui ai répondu que cela ne rentrait pas dans ses attributions. Même le président de la République qui m’a mis ici par décret, je suis indépendant de lui.
Un autre fait qui s’est produit est qu’un membre de la Ceni, Clotilde Niragira, a été nommée ministre de la Justice avant la fin même du processus électoral. C’était un signal pour la Ceni qui allait nous succéder que si elle va obéir aux ordres du chef, il en tiendra compte.
En novembre 2005, la Ceni effectue des missions électorales en Europe, au Canada et aux Etats-Unis. Mais toutes ces missions ont été faites non pas sous la conduite du président de la Ceni, mais sous celle de la ministre de la Justice. Chacun peut se demander ce qu’un membre du gouvernement vient faire dans les missions assignées à un organe de gestion électorale supposé être indépendant ? Cela montrait déjà quel genre de Ceni devait être mis en place.
Remise et reprise « manu militari » non pas avec une structure électorale, mais avec le ministère de l’Intérieur. Considérant le travail de la Ceni, nous avions suggéré qu’une autre Commission électorale soit mise en place, au moins en 2007 pour lui permettre de bien préparer le rendez-vous électoral de 2010. Mais, ils m’ont plutôt sommé de faire la remise et reprise avec le ministère de l’Intérieur.
Que faut-il retenir de la période post-2005 ?
L’époque d’après l’année 2005, à savoir 2010 ; 2015 ; 2020… a été caractérisée par une déconstruction des lois électorales. Ici, l’attention est portée sur la loi no 1/22 du 18 septembre 2009 portant révision de la loi no 1/015 du 20 avril 2005 portant Code électoral ; puis la loi no 1/20 du 3 juin 2014 portant révision de la loi nº 1/22 du 18 septembre 2009 portant elle-révision de la loi no 1/015 du 20 avril 2005.
Juste à la veille des élections de 2015, on a fait la même chose : loi organique no 1/11 du 20 mai 2019 portant modification de la loi no 1/20 du 3 juin 2014 portant révision de la loi nº 1/22 du 18 septembre 2009. Telle a été la même chose pour les élections générales de 2020. Entretemps, il y a la Constitution de 2018 qui a abrogé celle de 2005 où le mandat présidentiel est passé de 5 à 7 ans.
A la veille de chaque échéance électorale, on change le Code électoral. Cela surprend les partenaires politiques ainsi que les partis politiques de l’opposition. Et ce qui gêne ici, c’est que ce changement périodique du cadre légal régissant les élections se fait souvent sans prendre en considération les avis de tous les intervenants dans un processus électoral.
Est-ce que cela n’a pas un impact sur la préparation du processus électoral ?
Un grand impact. Dans ce cas, la Ceni n’est pas capable de travailler convenablement. Car ce changement s’opère à l’avant-vite. D’ailleurs pourquoi il faut chaque fois changer une loi électorale ?
Que dire du processus électoral en cours en partant de toutes ces leçons tirées des élections que le Burundi a déjà organisées ?
Pour les échéances électorales à venir, 2025-2027, une Commission électorale a été déjà mise en place. Mais, il y a à regretter que les partenaires n’aient pas été consultés. Cela a été fait de manière unilatérale. Il aurait fallu avoir des avis des autres partis politiques, au moins ceux qui sont agréés ; ceux de la société civile, des confessions religieuses, etc. pour justement éviter les erreurs que nous avons vues dans un passé récent, depuis pratiquement 2010. Eviter des contestations.
Deuxième chose, il y a les démembrements de la Ceni qui vont bientôt être mis en place. Cette fois-ci, il faudrait que les responsables politiques puissent consulter leurs partenaires. C’est très important.
Troisièmement, il se peut qu’il y ait un nouveau découpage administratif. Ce découpage administratif exige une certaine maîtrise. Est-ce que ça serait le moment d’utiliser ce découpage ou bien faudrait-il attendre ? Parce que, comme c’est un nouveau découpage administratif, les partenaires politiques ne sont pas autorisés à aller s’exprimer là-bas.
Mais, le constat est que le parti au pouvoir est déjà à l’aise. Son secrétaire général fait des tournées à travers tout le pays. Alors, est-ce que c’est conforme à la loi ? Il y a pas mal de questions qu’il faut se poser. Et c’est ici que les leaders d’opinions devraient intervenir pour demander qu’il ne faille pas qu’il y ait le deux poids, deux mesures. Car cela pourrait nous amener à des confrontations ultérieures.
S’il faut commencer la campagne électorale, il faut que tous les autres partis politiques qui sont concernés puissent le faire.
Il faut également se rendre compte que les lois, surtout électorales, ne soient pas changées tout le temps. Aussi, quand il faut qu’il y ait changement, il faut impliquer tous les acteurs qui interviennent dans le processus électoral. Eviter surtout que cela ne soit pas une surprise pour ceux qui vont organiser les élections.
Le processus électoral est en marche au moment où l’opposition politique se plaigne d’une « atmosphère politique peu sereine. » Votre commentaire ?
Là, c’est vraiment un problème très délicat.
Précisément, la solution vient d’un dialogue qui peut être organisé sous forme de colloque comme je l’ai d’ailleurs suggéré, il y a longtemps. Dans ce cadre, les gens peuvent s’exprimer librement sur les défis. Le dernier colloque a été organisé sous le haut patronage du ministre ayant les partis politiques dans ses attributions.
Le ministère doit donc être conséquent pour tenir en compte les différentes suggestions émises. Et c’est ce dialogue entre tous les partenaires des élections qui pourra apaiser le climat politique.
Si nous regardons dans le passé, c’est que les élections étaient organisées pendant que le climat socio-politique n’était pas apaisé alors qu’il y avait des gens qui se plaignaient de ceci ou de cela.
Aujourd’hui, il y a des questions sur lesquelles les gens se plaignent effectivement. Il faut devoir passer en revue toutes ces questions et le ministre de l’Intérieur et les autres hauts responsables doivent pouvoir en tirer des leçons.
Alors, pour tirer justement des leçons de ce qui a marché lors du processus électoral de 2005, quel serait le comportement de la nouvelle commission qui va gérer les prochaines élections ?
Ce qui a été fait en 2005, ce n’est pas parce que c’est moi qui dirigeais la commission. Je n’étais qu’un serviteur avec bien sûr des collaborateurs sur tout le territoire national. Les commissions électorales qui ont suivies l’échéance électorale de 2005, ont été d’une raison ou d’une autre, moins rassurantes. Si je devais alors suggérer quelque chose, je me demande s’il n’y aurait pas moyen de corriger ce sur quoi les gens semblent avoir des doutes ? Parce qu’il y en a qui parlent d’une commission non pas indépendante mais in-dépendante.
Pour corriger cette lecture, qui peut ne pas correspondre à la réalité, et au vu de ce qui s’est passé avec les commissions électorales antérieures, il faut que la Ceni se comporte réellement comme une structure indépendante. Il faudrait ensuite qu’il y ait des personnalités académiques, dans les domaines différents, pour aider la commission à se former pour pouvoir mener à bien son travail.
Il faut également créer des coopérations avec d’autres commissions électorales où nous sommes sûrs que les choses marchent bien. Cela permettrait à redonner confiance à notre commission qui s’est détériorée depuis le processus électoral de 2010.
Un dernier commentaire sur le processus électoral en cours ?
Le processus électoral est effectivement déjà lancé, mais tous les ingrédients ne sont pas réunis. Ce colloque aurait dû s’organiser avant la mise en place de la Ceni. Mais comme cela n’a pas été possible, la Ceni devrait pouvoir profiter de ces moments de dialogue en vue de répondre aux aspirations et aux attentes du peuple burundais et non pas à celles des dirigeants ou du parti au pouvoir.
Propos recueillis par Pascal Ntakirutimana
Pour moi, les elections qui se deroulent bien se sont des elections qui mettent en place des gouvernants capables et soucieux de develloper le pays. Selon cette analyse, il revient A chacun de determiner quand le BURUNDI aurait organisE de bonnes elections?!!!
Cela s’appelle « Insanity »: Faire la même chose à maintes reprises en s’attendant des résultats différents. Comme on dit dans le language informatique » Garbage In, Garbage out! ».
Quoi que c’est pas encore fini, saluons tout de même nos confrères Sénégalais. Merci à leur conseil constitutionnel car ils nous donne l’espoir.