Détentions arbitraires, surpopulation carcérale, non-respect des règles de procédure, la problématique liée aux contraintes par corps…. Me Fabien Segatwa fait le point ;
Pourquoi y- a-t-il toujours une surpopulation carcérale ?
C’est une question qu’on se pose depuis longtemps. Et même les autorités judiciaires et politiques se la posent. Mais le problème est qu’on ne parvient pas à trouver véritablement une solution à cela.
De mon point de vue, la problématique est liée d’abord à la mentalité des Burundais. Les gens ne pensent pas aux autres.
Que cela veut dire ?
Cela veut qu’il faut donner la chance à quelqu’un qui est en prison de pouvoir être défendu, d’être emprisonné suivant les règles de la procédure pénale et de pouvoir bénéficier de la protection de la loi.
Or, lorsqu’on regarde très bien, ceux qui appliquent la loi le font d’une manière biaisée. Ils ne pensent pas que la prison fait mal. L’exemple frappant qui fait qu’il y ait justement trop de prévenus en détention préventive, c’est que la loi prévoit des délais pour emprisonner quelqu’un. Mais ces délais ne sont pas souvent respectés.
Quels sont ces délais ?
Ses délais sont prévus par le code de procédure pénale. Au maximum 14 jours au cachot de la police, 15 jours sous un mandat d’arrêt du ministère public et au maximum 30 jours sous une ordonnance de mise en détention ordonnée par le juge.
Si on a fait un grand effort pour qu’au moins les premiers délais soient respectés, c’est-à-dire les délais de la police, les délais de la détention sur mandat d’arrêt provisoire du ministère public, rien n’est fait pour qu’on respecte les délais de 30 jours qu’on attribue aux juges. Cela veut dire que lorsque le ministère public présente un prévenu en détention préventive devant le juge, ce dernier ordonne le maintien en détention pour un délai 30 jours.
Mais ce délai ne sera jamais renouvelé avec le risque que l’on peut oublier les détenus en prison. Les magistrats ayant beaucoup de choses à faire, ces détenus peuvent passer deux ans, trois ans, quatre ans sans pouvoir se présenter devant le juge.
L’opinion pense que le ministère public a plus de pouvoir que le juge en matière de détention. Qu’en dites-vous ?
Justement, on a l’impression que le ministère public, puisqu’il emprisonne, a plus de pouvoir que le juge qui rend les jugements. Or, devant le juge, le ministère public est une partie au procès. La loi est très claire.
Un détenu est placé dans la situation dans laquelle le juge l’a mis. Si le juge l’a mis en la liberté provisoire, il va en liberté provisoire. Si le juge l’a mis en liberté conditionnelle, il va en liberté conditionnelle. Si le juge l’a mis en liberté par acquittement, il va en liberté par acquittement.
Mais dans la pratique ça ne se passe pas comme cela ?
Lorsque le juge rend le jugement de liberté provisoire, l’on constate malheureusement que le directeur de la prison a besoin de l’aval du ministère public pour qu’il puisse libérer un détenu. Et lorsque le ministère public ne veut pas, le prévenu ou le détenu libéré par le juge ne sort pas. Le détenu peut passer facilement deux mois en prison après sa libération.
J’en connais des gens qui ont été acquittés, qui ont reçu la liberté provisoire par un juge et ça fait déjà trois mois qu’ils croupissent en prison. Le ministère public a refusé de les libérer.
Y-a-t-il des lois qui sanctionnent un magistrat qui ne respecte pas les règles de procédure ?
La loi prévoit que lorsque le magistrat instructeur d’un dossier pénal ne fait pas observer les règles de procédure, il doit être aussi poursuivi.
Par ailleurs, le ministère public sait bien qu’on ne peut pas emprisonner quelqu’un en détention préventive au-delà d’une année lorsqu’on est poursuivable de 1 à 3 ans au moins. Il ne peut pas détenir quelqu’un pendant trois ans lorsque l’infraction est punissable de moins de dix ans.
La loi dit aussi que le directeur de la prison lorsqu’il trouve qu’il y a quelqu’un qui est détenu sans titre de détention valable, il avise l’autorité qui l’a mis en détention en lui disant qu’il y a quelqu’un qui n’a pas de titre de détention.
L’on devrait donner au directeur de la prison la latitude de libérer les gens qui viennent de passer beaucoup de temps dans une situation irrégulière, c’est-à-dire les personnes détenues sans titre de détention.
Pourquoi ne pas donner aussi aux inspecteurs de la justice le pouvoir de libérer les gens qui sont en situation irrégulière.
Dans cette situation de détention arbitraire et illégale, à qui incombe la responsabilité ?
La responsabilité incombe à ceux qui n’appliquent pas la loi. Elle incombe à ceux qui ont détourné la loi. C’est-à-dire ceux qui disent que c’est le ministère public qui doit libérer alors que c’est le juge qui statue, qui dit le droit et qui libère. Le ministère public ne peut pas s’opposer à ce que le juge a dit.
Seulement, le ministère public, en exerçant les voies de recours, peut maintenir quelqu’un en prison malgré que le juge ait prononcé sa liberté, mais en ce moment, il doit motiver sa position en disant au juge pourquoi il préfère maintenir le prévenu en prison. Il doit encore une fois le renvoyer devant le juge en motivant ce refus de le libérer.
Et là encore une fois, si le magistrat refuse par mauvaise foi ou par mauvaise volonté de libérer le détenu, il peut être poursuivi pénalement.
Avez-vous des cas où un magistrat a été poursuivi ?
Je n’ai pas encore vu ou entendu des cas où le magistrat qui refuse de libérer quelqu’un a été mis en prison pour cela. Non. Il n’y a pas même de demande d’explication pour avoir agi ainsi. Or, maintenir quelqu’un en prison contre la loi, c’est une arrestation arbitraire.
Quid des détenus maintenus en prison pour non-paiement des dettes civiles ?
Aujourd’hui, il y a une autre catégorie de gens à qui on ne pense pas mais qui sont en situation irrégulière. Ce sont des gens qui sont emprisonnés pour des dettes civiles. Lorsqu’un juge rend une décision pénale, il a latitude de prendre ce qu’on appelle « les contraintes par corps » pour les gens qui ont des dettes civiles.
Par exemple, lorsqu’une personne est accusée d’escroquerie, le juge peut accessoirement la condamner à rester en prison jusqu’au paiement de cette dette.
Mais c’est une dette civile. Et les Conventions internationales des droits de l’Homme disent qu’on ne peut pas emprisonner quelqu’un pour une dette civile.
Concrètement, que dit la loi à propos de la contrainte par corps ?
Dans notre loi, il est dit qu’il y a une contrainte par corps de six mois pour une dette d’une tranche de 100 mille BIF. Cela date du temps de la colonisation. A l’époque 100 mille BIF c’était une fortune. Aujourd’hui cent mille francs c’est à peu près 30$.
Mais imaginez-vous condamner quelqu’un à passer six mois en prison pour une dette de 30$. Cela dépasse l’entendement. Or, les escrocs peuvent escroquer beaucoup d’argents. Il y en a ceux qui peuvent escroquer 100 millions, 200 millions, 300 millions. Ça reste une dette civile.
Si on calcule six mois par tranche de 100 mille BIF, il y a ceux qui sont condamnés à 400 ans, 500 ans, 700 ans. Bref, des personnes qui sont condamnées à perpétuité véritablement pour des dettes civiles.
Mais c’est une loi rétrograde…
Ce sont des lois qui ont perdu leur légitimité. Ce sont des lois que le législateur aurait dû revoir parce qu’elles sont contraires aux Conventions internationales. Or, dans notre pays on a dit que les Conventions internationales, qui sont ratifiées par le Burundi, font partie intégrante de la Constitution.
En définitive que faire ?
Il faut penser à ces gens maintenus en prison par contrainte par corps. Ils doivent jouir des bénéfices des lois burundaises. La loi pénale est faite pour l’intérêt du prévenu et non pour l’intérêt du ministère public. Elle doit être respectée et est d’interprétation stricte.
En d’autres termes, si on dit que l’ordonnance de mise en détention préventive a une durée de 30 jours, c’est une durée de 30 jours. Après ces 30 jours, il faut, soit amener le détenu devant le juger pour un jugement, soit le libérer, soit lui ajouter les autres 30 jours.
Propos recueillis par Félix Haburiyakira
C’était une très bonne interview, merci
Umunyamategeko yibuka ko amategeko adakurikizwa canke akurikizwa nabi mu gihe agezweho. Iyo yagiriwe n’icaha agakoregwa ibisa n’ivyo yakoreye abandi nabi.-
« De mon point de vue, la problématique est liée d’abord à la mentalité des Burundais. Les gens ne pensent pas aux autres. »
Cette phrase fait vraiment mal. Donc cela doit être la vérité!. On peut aussi le regarder dans le sens inverse: Le Burundais ne pense pas à lui même. Traite les autres comme on aimerai être traité. Sinon, c’est le cercle vicieux. Un serpent qui mange sa queue!